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Zones à faibles émissions: les élus craignent une «bombe sociale»

  • par Claire Conruyt, pour Le Figaro - mars 2023 Republié par JALR
DÉCRYPTAGE - Les ZFE, où sont interdites les voitures polluantes, suscitent la colère des automobilistes.
 
Il y a des objets politiques plus explosifs que d’autres. La voiture, à n’en pas douter, en fait partie. Et si la dernière fois, c’est le passage à 80 km/h qui a cristallisé la défiance de la France périphérique, jusqu’à créer le mouvement citoyen des «gilets jaunes», ce sont aujourd’hui les zones à faibles émissions (ZFE) qui suscitent l’inquiétude.
 
Apparu en 2019, avec la loi d’orientation des mobilités, cet outil vise à interdire progressivement la circulation des véhicules les plus polluants au sein des villes dont la qualité de l’air ne respecte pas les seuils européens. Pas moins de onze agglomérations ont, depuis, instauré une ZFE. En 2021, la loi Climat et résilience a étendu le dispositif à l’ensemble des agglomérations de plus de 150.000 habitants: d’ici à 2025, 45 villes pourraient donc être concernées.
 
Loin de faire l’unanimité, les plus réticents au dispositif comptent se faire entendre. Et voici que commencent à fleurir des mobilisations, un peu partout à travers l’Hexagone. Aux abords de Rouen, une opération escargot a été organisée il y a une semaine sur l’A150. La députée insoumise de Seine-Maritime, Alma Dufour, aux côtés des manifestants, dénonce comme eux, des «zones à forte exclusion» et demande la suspension du dispositif dans la métropole. «À Rouen, la ZFE intervient de façon drastique en termes de calendrier: nous sommes concernés par la suppression des véhicules Crit’air 4 ou 5 sur le territoire en pleine crise économique», juge-t-elle. À Toulouse, un collectif d’habitants anti-ZFE s’est formé, fustigeant une mesure discriminatoire, et même «liberticide», pour les ménages les plus modestes, souvent propriétaires des voitures les plus polluantes, faute d’avoir les moyens d’en changer. «Ce n’est que le début», craint un député macroniste, faisant observer que dans sa circonscription, «on est très attachés au diesel en zone rurale».
 
«Plus vite que la musique»
 
Ainsi, estiment certains élus, naît le risque d’une nouvelle forme d’exclusion sociale, de celle qui viendrait creuser un peu plus le fossé séparant les Français «qui vont bien» de ceux qui, déjà fort éprouvés par la crise de l’inflation, vivent au quotidien en zone périphérique. «C’est une bombe sociale parce qu’il y a aujourd’hui dix millions d’automobilistes qui vont être interdits de se déplacer», a ainsi averti le secrétaire national du Parti communiste, Fabien Roussel. Il faut, a-t-il insisté, «revenir en arrière» et revoir cette mesure qui «pénalise les plus pauvres». La patronne des Verts, Marine Tondelier, s’est elle-même émue d’une mesure «injuste socialement».
 
«Il y a évidemment à être particulièrement attentif», estime auprès du Figaro le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu. «Mais il faut le rappeler: l’objectif n’est pas d’emmerder les Français ni d’empêcher les voitures diesel de rouler en ville mais d’avoir une qualité de l’air qui évite 40.000 décès par an.» Manière pour l’exécutif d’éviter de reproduire les erreurs du passé quand, en 2018, le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, s’en était pris à «la France qui fume des clopes et roule au diesel». En pleine opposition contre la réforme des retraites, le ministre de la Transition écologique veut à tout prix dégonfler la polémique en lançant une grande campagne de communication
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«C’est encore plus violent que les 80 km/h d’Édouard Philippe», affirme pour sa part Philippe Cochet, maire LR de Caluire-et-Cuire, située dans la métropole de Lyon. «Chez nous, la ZFE touche une grande partie des communes de l’est de Lyon, là où vivent des gens avec de faibles revenus et beaucoup de personnes âgées qui ne sont pas en mesure de réinvestir dans un véhicule», affirme-t-il. «Et maintenant, on leur dit: c’est terminé, il faudra se déplacer à vélo.» À Montpellier, les députés LFI, Sylvain Carrière et Nathalie Oziol, ont adressé une lettre ouverte au président de la métropole, Michaël Delafosse. «Dans ma circonscription, il y a des villages à plusieurs dizaines de kilomètres de Montpellier qui ne sont toujours pas desservis par des lignes de tram. On met la charrue avant les bœufs», estime Sylvain Carrière. Une lettre ouverte «de circonstance», balaie le socialiste Michaël Delafosse. «On ne peut pas faire campagne sur la bifurcation énergétique, comme ils l’ont fait, et être dans la pantalonnade dès qu’il s’agit d’engager la transition écologique: si la loi ne leur plaît pas, libre à eux de déposer des amendements.» Et d’ajouter: «Nous avons mis en place une dérogation pour les “petits rouleurs” et nous investissons massivement dans les transports en commun.» Qu’à cela ne tienne, les députés insoumis espèrent bien suspendre la ZFE de Montpellier. «La métropole de Lyon a bien revu le calendrier de sa ZFE…», fait remarquer Sylvain Carrière.
«La métropole de Lyon a voulu faire de la ZFE un étendard politique et prouver que sur l’écologie, elle irait plus vite que le gouvernement.» Christophe Béchu
En février dernier, le président écologiste de la métropole de Lyon, Bruno Bernard, a en effet annoncé un report de l’interdiction des véhicules Crit’Air 2 de 2026 à 2028. La raison? «On n’a toujours pas de quoi contrôler les ZFE existants: l’État nous promet des radars depuis 2020… On les attend toujours», déplore l’élu. «Rien dans la loi n’obligeait la métropole de Lyon à aller aussi loin dans l’interdiction», rétorque le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu. «On ne peut pas s’abriter derrière l’État, lui reprochant un manque d’accompagnement alors qu’on a décidé d’aller plus vite que la musique. La métropole de Lyon a voulu faire de la ZFE un étendard politique et prouver que sur l’écologie, elle irait plus vite que le gouvernement. Notre calendrier permet la mise en place progressive de ces périmètres pour que, justement, la mesure soit applicable et qu’elle ne conduise pas à un mécontentement.»
 
Il n’empêche que la métropole de Lyon n’est pas la seule à réclamer à l’État des aides supplémentaires. «Nous demandons la mise en place d’aides à la conversion automobile», exige par exemple Michaël Delafosse. «À la fin des années 1990, il y avait la “jupette”et la “baladurette” pour aider les gens à changer de voiture.» Et le maire de Bordeaux, Pierre Hurmic, d’insister: «Si on veut que les ZFE soient une réussite, il faut bien le faire… Or, ce n’est pas bien parti.» L’édile écologiste estime en effet que l’État «se défausse» sur les collectivités locales. «On nous dit: “C’est à vous d’organiser et de financer la baisse du nombre de véhicules circulant au diesel.” Il faudrait que ce soit nous seules, métropoles, qui rectifions une motorisation encouragée pendant des années par les pouvoirs publics? Ce n’est pas sérieux…» Une critique que récuse formellement Christophe Béchu: «Pour la première fois, nous mettons 150 millions d’euros à disposition des territoires concernés par une ZFE.» Pour les ménages amenés à se tourner vers des véhicules «propres», des dispositifs ont été mis en place, rappelle le ministre: bonus écologique, prime à la conversion ou encore le prêt à taux zéro dans les ZFE.
 
Et si ces aides «existent», reconnaît Pierre Hurmic, «elles ne sont pas à la hauteur de l’enjeu».
Sylvain Laval, coprésident de la commission Transports de l’Association des maires de France, évoque ainsi l’inégalité des territoires s’agissant des alternatives de transports en commun«Sur des sujets pareils, on ne peut pas être sur des incantations et des y a qu’à, faut qu’on: est-ce que c’est normal d’avoir des procédures d’une complexité infinie qui font qu’il faut sept à huit ans pour sortir un tramway?», s’émeut-il. «Il faut peut-être commencer par là…» Et d’ajouter: «Si on commence à interdire, contrôler et sanctionner tout le monde, sans proposer des alternatives crédibles derrière, on va braquer les gens.» D’autant que, poursuit-il, «une majorité de Français ne savent même pas que les ZFE existent.»�
  • Illustration : À ce jour, onze villes (ici, à Toulouse) ont instauré une ZFE. Avec la loi Climat et résilience de 2021, elles devraient passer à 45 d’ici à 2025. Frederic Scheiber / Hans Lucas via Reuters Connect
Peut être une image de plein air
  


12/03/2023
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