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Travailler avec un collègue woke

  • par Quentin Périnel, pour la Revue des Deux Mondes - août 2023 Republié par JARL
Indignez-vous !, conseillait en 2010 Stéphane Hessel dans un bouillonnant petit essai. Un immense succès vendu à plusieurs millions d’exemplaires.
 
Treize années plus tard, on observe assez aisément qu’il a été entendu… Les raisons de s’indigner semblent n’avoir jamais été aussi nombreuses. Tantôt ces raisons semblent légitimes, tantôt elles semblent absurdes voire grotesques. Le courant woke a érigé le titre de l’essai susmentionné en véritable mantra.
Indignez-vous sans cesse, partout, et pour n’importe quoi. Faites-vous le défenseur de toutes les minorités possibles et imaginables. Indignez-vous pour des causes multiples avec ardeur. Il arrive même que certains défendent une minorité… qui n’avait jamais songé elle-même à s’indigner ! Cela n’est pas tout le temps vrai, mais observons que, parfois, les lanceurs d’alerte woke s’indignent pour des causes qui sont aux antipodes de leurs propres vies.

«Croiser un collègue woke chaque jour au bureau est devenu tout à fait banal. Si vous deviez, un jour, le côtoyer, voici quelques précieux points à savoir le concernant.»

Ils s’indignent pour des causes dont ils connaissent à peine les réalités et les coulisses. Le monde de l’entreprise est un univers dans lequel le wokisme s’est désormais installé. Croiser un collègue woke chaque jour au bureau est devenu tout à fait banal. Si vous deviez, un jour, le côtoyer, voici quelques précieux points à savoir le concernant, nécessaires à une bonne cohabitation.
 
À chaque jour son nouveau combat
 
Le collègue woke aime se renouveler en permanence : à chaque jour son nouveau combat. Il va sans cesse vous surprendre par son inventivité. Il est totalement accro aux pétitions en ligne et possède un talent hors pair pour dénicher au quotidien de nouvelles indignations auxquelles personne n’avait pensé avant lui. Ces trouvailles le rendent très fier.
Il lit en permanence des blogs et autres publications que signent d’autres woke, comme lui. Il avale tout cela d’un appétit insatiable et il a très bonne mémoire. Si tout va bien, vous devriez recevoir une dizaine de mails par semaine de votre fameux collègue, qui aimerait être certain que vous soyez sensibilisé à tous ces sujets précieux qu’il défend avec ardeur !
«Tu as vu passer mon mail de ce matin ?
– Celui qui concerne la réunion de cet après-midi ? Oui bien sûr !
– Non, celui qui concerne la sauvegarde des lapins nains de Papouasie du Nord.»
C’est en effet infiniment plus important.

«Sachez par ailleurs que votre camarade n’est pas doté du moindre sens de l’humour – il l’a perdu en menant ses multiples combats – et qu’il est extrêmement premier degré.»

Sachez par ailleurs que votre camarade n’est pas doté du moindre sens de l’humour – il l’a perdu en menant ses multiples combats – et qu’il est extrêmement premier degré. Exemple : il est quasiment certain qu’en lisant ces lignes – malgré leur ton objectivement caricatural et humoristique que vous avez probablement déjà décelé –, votre collègue woke ne puisse pas détendre sa mâchoire ne serait-ce qu’une microseconde : on ne plaisante pas à propos des sujets sérieux.
D’autant que c’est un ultrasensible. Victor Hugo a écrit que «la conscience est un instrument de précision d’une sensibilité extrême». Cela ne s’invente pas : votre camarade woke se revendique justement comme être de conscience ; le gardien de toutes les humanités. Vous imaginez la charge émotionnelle qu’il doit endurer en permanence… Mais le bien-être de ses propres collègues passe-t-il avant celui des lapins nains de Papouasie du Nord ? Posez-lui la question.
Il fallait s’en douter, le woke est extrêmement politique. Selon une étude très méticuleuse menée par un organisme indépendant en collaboration avec mon instinct, 98 % des woke sont des sympathisants de gauche ou d’extrême gauche biberonnés à la matinale de France Inter. Ils ont étudié les sciences politiques ou la sociologie.
 
Mais il existe également des profils plus intéressants : le diplômé d’école de commerce prestigieuse qui a commencé sa carrière dans les métiers de la finance… et qui désormais est un «repenti». Ces repentis sont de plus en plus nombreux. Les éléments de langage sont souvent similaires : ils auraient pu suivre une carrière toute tracée, gagner infiniment d’argent… mais ils ont eu un déclic. Celui de bien faire, de «trouver du sens» et de sauver le monde. Ils montent ainsi des associations et se transforment en «gourous» des réseaux sociaux, s’offusquent en permanence dans des posts LinkedIn qui cumulent des dizaines de milliers de vues. Quel courage ! Les meilleurs repentis sont ceux de la tech. Après avoir gagné des millions chez Facebook ou Amazon, ils se rendent compte qu’ils se sont mal comportés et deviennent des Calimero professionnels qui revendiquent leur mea culpa dans des «talk» inspirants et larmoyants.
 
Un justicier implacable
Chacun connaît Zorro, le justicier rusé et masqué. Le renard qui fait sa loi. Notre woke aussi se considère comme un justicier implacable, comme un arbitre des élégances et du savoir-vivre au bureau. Sauf qu’il ne porte pas de masque. Son ennemi public numéro un ? Le «boomer-réac» qui a eu la belle vie sans se soucier de tous les sujets qui agitent le wokisme aujourd’hui ! Vous êtes un mâle blanc hétérosexuel de plus de 50 ans et possédez une voiture Diesel de marque allemande ? Tremblez ! «Worro», le woke du bureau, se prend très au sérieux – avec des lubies de vocabulaire et une kyrielle de tics de langage, dit-il, toujours plus inclusifs ! Déconstructivisme, appropriation culturelle, intersectionnalité, transracialisme, adelphité… et la sacro-sainte cancel culture !
 
Selon une étude consacrée à cet épineux sujet – réalisée par Havas Paris et l’IFOP en décembre 2021 –, l’entrée du wokisme dans le monde de l’entreprise n’est plus au stade de la supposition. Les «éveillés» – traduction en français de woke – sont bel et bien dans les murs du bureau. Mieux : selon cette étude, les concepts associés à la dynamique woke bénéficient d’une notoriété croissante auprès des salariés du privé : le terme est reconnu comme familier par 28 % des personnes interrogées, contre 14 % du grand public en février 2021, tandis qu’une majorité d’entre elles ont entendu parler d’écriture inclusive, de culture du viol, ou encore de racisme systémique. L’étude révèle également que la compréhension de ces phénomènes demeure faible puisque seuls 12 à 37 % des salariés connaissent les mots et concepts cités précédemment : le degré de connaissance varie ainsi fortement en fonction du niveau de diplôme et de l’ancrage géographique.
 
Les actifs qui travaillent à Paris ou en région parisienne et/ou qui œuvrent pour un groupe international ont une meilleure appréhension de ces concepts. L’âge et le genre des salariés ont également leur importance. Si vous voulez vous faire une petite idée de la place qu’occupe le wokisme dans votre propre entreprise, vous pouvez sonder en interne… Si vous vous sentez l’âme d’un sociologue corporate ! Quelques exemples qui illustrent cette entrée du wokisme dans le capitalisme ? Le géant Google, aux États-Unis, propose de recenser les commerces tenus par des Afro-Américains. Le danois Lego a quant à lui inauguré des figurines aux couleurs LGBT+. Et la France, dans tout cela ? Pour le moment, les initiatives se font plus rares. Elles existent néanmoins… et ont fait des vagues ! En 2020, pendant une période de manifestations antiracistes, L’Oréal a banni les termes «blanc», «blanchissant» et «clair» des emballages de ses produits. L’enseigne Decathlon a quant à elle innové en commercialisant un hijab de running…
 
Revenons à notre bureau. N’espérez pas avoir un brin de répit : votre camarade woke est alerte, a l’oreille qui traîne en permanence, et est en mesure de juger la totalité de vos faits et gestes. Ainsi, si vous arrivez au bureau de bon matin en observant que, selon vous, il y a de plus en plus de rats à Paris, qu’ils se gênent de moins en moins pour sortir leur museau – y compris en pleine journée – et que c’est terrible, il vous rétorquera qu’il est insupportable de stigmatiser ainsi les surmulots, et qu’il est urgent, au contraire, de trouver une organisation pérenne qui permette de cohabiter avec ceux qui, décidément, sont une chance pour Paris et son attractivité. Il pense par ailleurs que la façon dont sont considérées les souris dans l’enceinte de l’entreprise est honteuse : il faudrait en effet les traiter avec élégance et leur servir le goûter chaque jour, ce qui aurait pour effet d’améliorer la cohésion sociale en interne.
Si vous avez le malheur de raconter, à la machine à café – espérons que la traçabilité du café soit impeccable –, que vos enfants adorent Babar, il prendra un air effaré en vous expliquant dans quelle mesure il est scandaleux de faire lire Babar à vos enfants, sachant qu’il a été prouvé que le pachyderme et l’ensemble de sa famille sont des immenses fachos, royalistes et racistes.
 
S’il vous vient l’idée extravagante – même si c’est peu probable – de déjeuner avec lui, vous vous rendrez très rapidement à l’évidence : c’est chose impossible, pour mille raisons. Aucun restaurant n’est assez inclusif et respectueux de l’humanité pour lui. Mais la première raison est la plus importante. Il ne mange rien, ni viande ni poisson, puisqu’il n’est évidemment pas un criminel. Les légumes ne sont pas envisageables non plus dans la mesure où, même s’ils sont bio, ils ont été forcément traités par des produits toxiques imaginés par des firmes assassines. Par ailleurs, il est indécent, aujourd’hui, de manger des fruits et légumes qui ont été récoltés à plus de cinq kilomètres à la ronde. Le tofu n’est pas une solution puisqu’il s’agit évidemment d’une appropriation culturelle. Un avocado toast peut-être ? Bien sûr que non : les avocats viennent de beaucoup trop loin. Un verre de vin ? Certainement pas, pour des raisons évidentes… Avant de vous lancer dans cette mission impossible du déjeuner, ­épargnez-vous souffrance et perte de temps. Contentez-vous d’un verre d’eau à la fontaine. Quoique : vous avez intérêt d’être muni de votre gourde écoresponsable et pas d’un verre jetable au risque de vous faire réprimander pendant dix minutes.�
  • Illustration : Quentin Périnel est journaliste et chroniqueur au Figaro.
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22/08/2023
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