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Roland Cayrol : « On ne sortira pas de la Ve République »

Politologue réputé et écouté, longtemps patron de l’institut de sondages CSA, romancier, Roland Cayrol publie ses mémoires de la Ve République. Un livre indispensable quand on s’intéresse à la politique

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Son ouvrage, « Mon voyage au cœur de la Ve République » (éd. Calmann-Lévy, 345 p., 20,50 €), rempli de souvenirs, de portraits, d’anecdotes et de réflexions sur la politique, se lit comme un roman. À 81 ans, esprit curieux et courtois, mémoire solide, Roland Cayrol raconte avec passion sa vie d’étudiant engagé dans la social-démocratie, de chercheur à Sciences Po, d’universitaire, d’enseignant, de sondeur (vingt cinq ans à la tête de l’institut CSA), d’écrivain (dont trois romans) et de commentateur avisé dans la presse écrite et audiovisuelle

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Vous vous êtes fait prier pour rédiger ce livre.

 

C’est vrai. Je craignais d’être un peu ridicule en publiant des mémoires, moi qui ne suis pas un homme public. Mon éditeur et mon coauteur, Arnaud Mercier, ont su me convaincre que je devais raconter tout ce que j’ai vécu et connu de cette Ve République, dans un souci de transmission. Pour moi qui ai enseigné et qui ai adoré ça, je ne pouvais pas refuser. Et, si je raconte quelques anecdotes, je ne trahis aucun secret d’État.

 

Vous avez également été souvent sollicité pour entrer dans l’arène politique.

 

Et j’ai toujours refusé. On ne demande pas à un zoologue de devenir un animal. Moi, ce qui me plaît dans la politique, c’est d’observer, expliquer, décrypter, même si, à une place mineure, j’ai aussi été un acteur, au Club Jean-Moulin ou auprès de Michel Rocard. Quand j’ai acheté ma maison dans le Lot, grâce aux droits d’auteur de mes romans «Meurtre à l’Élysée » ou « Meurtre à TF1 », signés Jean Duchateau, les élus du département sont tous venus me persuader que je devais être élu conseiller général. Mais j’ai préféré préserver mon indépendance et mon métier de politologue.

 

Même si vous avez toujours veillé à cloisonner votre métier et vos opinions personnelles, le 21 avril 2002 reste pour vous un immense choc, non ?

 

C’est un choc pour le citoyen, certes, mais aussi pour le politlogue. Même si les courbes entre Jospin et Le Pen commençaient à se croiser et même si on alertait les états-majors et les rédactions sur le coup de théâtre possible, j’avoue que je n’y croyais pas. J’avais mis en garde JeanMarc Ayrault, alors patron des députés socialistes, qui m’a traité de fou. Un an avant, j’avais sollicité un rendez-vous avec Jospin pour lui conseiller de démissionner de Matignon et de se mettre en campagne. Il m’avait attentivement écouté puis répondu que les Français ne comprendraient pas. Et puis, a-t-il ajouté, « Je suis heureux de venir à Matignon tous les matins ».

 

Vous avez dirigé CSA, le premier institut de sondages de France. Quel est votre retour d’expérience ?

 

D’abord, moi qui suis un universitaire pur sucre, j’ai découvert avec un immense bonheur le monde de l’entreprise et cela m’a beaucoup appris. Je suis d’ailleurs stupéfait que le personnel politique soit si ignorant de cet univers, voire parfois si méprisant. En fait, je m’y suis lancé parce que Sciences Po n’avait pas les moyens de payer les sondages que je souhaitais faire. Ce qu’il faut dire ensuite des sondages, c’est qu’ils n’existent que dans les démocraties. Vous ne verrez pas de sondages, ou alors truqués, dans une dictature. Je ne suis pas de ceux qui croient que les politiques gouvernent d’après les sondages car je sais qu’ils ont des convictions. Un sondage, c’est un tableau de bord qui donne des indications mais le conducteur reste libre d’accélérer ou de freiner, de tourner à gauche ou à droite. Avant la dissolution de 1997, l’Élysée nous a commandé sondage sur sondage et tous annonçaient une défaite. Chirac nous a remerciés avant d’ajouter : « La politique, c’est prendre un risque. On va dissoudre et on va gagner. » Ce qui prouve que les politiques paient beaucoup de sondages et n’en tiennent pas forcément compte.

 

Macron qui ignore les sondages sur la réforme des retraites, c’est du courage ou de l’entêtement ?

 

Les Français se sont toujours déclarés hostiles au report de l’âge de la retraite mais, dans le même temps, ils ont toujours considéré que la réforme serait votée quand même. C’est ce qui s’est passé avec ce dernier projet de loi et Macron le savait. Et puis, outre le fait qu’il est persuadé que le report de l’âge légal est la seule issue budgétaire viable, il veut absolument être celui qui fait ce qu’il annonce.

 

La nouveauté du macronisme n’a pu qu’intéresser le politologue que vous êtes…

 

Après son élection en 2012, François Hollande me dit que je dois rencontrer son conseiller, Emmanuel Macron. « Tu vas voir, il est déjanté. » Au tout début du macronisme, j’avoue avoir retrouvé l’esprit de Michel Rocard et Pierre Mendès France qui sont mes deux figures politiques préférées par leur langage de vérité et leur rigueur. Je ne crois pas au « ni de gauche, ni de droite ». En revanche, « et de gauche et de droite », ce n’est pas pareil. C’est avec cette martingale qu’il a gagné.

 

Le macronisme survivra-t-il à Macron ?

 

C’est la question à 100 000 euros et je n’ai pas la réponse. 2027, c’est dans quatre ans. En politique, c’est très long. Les sondages montrent qu’une majorité de Français continue de se situer précisément sur un axe gauche/ droite. Mais les partis de gauche et de droite n’ont pas suffisamment travaillé, à part le mélenchonisme qui constitue une vraie nouveauté idéologique. Sa radicalité, qui lui a permis d’être majoritaire à gauche, l’empêche cependant de le devenir dans le pays.

 

Vous qui avez parcouru la Ve République, que pensez-vous de la VIe République ?

 

On ne sortira pas de la Ve République. Les Français aiment la personnalisation du pouvoir et cela n’a rien à voir avec la constitution. Et puis, ils tiennent à l’élection présidentielle, au suffrage universel. C’est leur élection et c’est celle où ils participent encore le plus. Je crois enfin, pardon pour la formule, que les Français se foutent de la réforme des institutions.

 

La politique, c’était mieux avant ?

 

Elle continue de me passionner autant mais les réseaux sociaux gâchent mon bonheur. Cette obsession permanente de se montrer est horrible. Je crois aussi que la politique fait moins envie aux jeunes que dans le passé. Aujourd’hui, les meilleurs élèves préfèrent gagner du fric dans la banque ou le secteur privé que s’engager en politique.

 

                                                                 Recueilli par Benoît Lasserre

                                                                   Sud-Ouest

 

 

 

Roland Cayrol : « On ne sortira pas de la Ve République » Politologue réputé et écouté, longtemps patron de l’institut de sondages CSA, romancier, Roland Cayrol publie ses mémoires de la Ve République. Un livre indispensable quand on s’intéresse à la politique, sans être dupe 

 

 



04/06/2023
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