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Pascal Bruckner : «Israël fait figure de coupable idéal»
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propos recueillis par Samuel Dufay, pour Le Point - octobre 2023
INTERVIEW. Le philosophe analyse l’empressement d’une partie de la presse et des politiques à accuser Israël de la frappe qui a touché un hôpital de Gaza.
Pourquoi tant de médias et de responsables politiques ont-ils relayé, sans précaution particulière, l'affirmation du groupe terroriste Hamas selon laquelle Israël était coupable d'une frappe meurtrière sur l'hôpital Al-Ahli, à Gaza, le mardi 17 octobre ?
Un manque de prudence qui illustre, selon le philosophe Pascal Bruckner, la diabolisation de l'État hébreu. Et, à travers celle-ci, la profondeur de l'antisémitisme.
Le Point : Après l'explosion de l'hôpital Al-Ahli à Gaza, une partie des médias et du personnel politique s'est empressée, sans preuves, d'accuser Israël. La responsabilité de l'État hébreu est aujourd'hui jugée peu probable par les experts. De quoi cette précipitation est-elle le signe ?
Pascal Bruckner : Pour une partie de l'opinion, Israël étant le plus fort, le criminel est nécessairement du côté israélien. C'est David contre Goliath. Cet État brutal, métaphore de l'Occident colonialiste, fait figure de coupable idéal. Tout ce qu'on reprochait à la France, à la Grande-Bretagne, l'Allemagne, on le lui reproche aujourd'hui.
Au mépris de la vérité…
Quoi qu'il arrive, Israël est coupable : on peut donc lui imputer les crimes commis par ses ennemis. La réalité, en l'occurrence la vérification des faits, n'a plus aucune importance face à l'idéologie. Nietzsche disait : «Le contraire de la vérité, ce n'est pas le mensonge, c'est la conviction.» Et Proust : «Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances. Ils n'ont pas fait naître celles-ci ; ils peuvent leur infliger les plus constants démentis sans les affaiblir.»
Notamment pour une partie de la gauche…
Oui. Le plus stupéfiant, c'est que ce phénomène ne concerne pas seulement les islamistes et les pro-palestiniens fanatiques, mais aussi une partie de la gauche bien-pensante et progressiste. Dans un tweet, Greta Thunberg a relayé sur Instagram un post évoquant un «génocide» à Gaza… Ce dévoiement de la gauche est accablant. Les pogroms du 7 octobre ont libéré la parole anti-juive et révélé la profondeur absolue de l'antisémitisme. Un antisémitisme qui corrompt les esprits apparemment les plus neutres et les plus équilibrés.
S'agit-il d'une nouvelle forme d'antisémitisme ?
C'est un prolongement de l'antisémitisme classique, qui s'est rabattu sur le foyer national des Juifs. Même si on arrivait à une solution à deux États, Israël continuerait à être accusé de tous les maux de la Terre. Toutes les images de souffrance, d'enfants martyrisés, lui sont attribuées. Libération a publié, à sa une, une photographie partagée à l'occasion des tremblements de terre survenus à la frontière turco-syrienne en février dernier [cette image a été générée par une intelligence artificielle, NDLR]…
L'hostilité d'une partie du monde arabo-musulman envers Israël, voire les Juifs dans leur ensemble, relève-t-elle de l'exutoire ?
Oui. Cette poussée de fièvre anti-juive réjouit la rue arabe. L'ancien roi du Maroc Hassan II a eu ce mot très juste dans les années 1980 : «La haine d'Israël est l'aphrodisiaque le plus puissant du monde arabe.» C'est comme si on avait versé du miel sur la misère et la tristesse d'un certain nombre de pays musulmans, qui font du Juif la tête de Turc à vitupérer. Les chefs d'État arabes, eux, préfèrent traiter avec Israël. Ils voient bien que l'Iran est le véritable danger. Car derrière le Hamas, il y a l'Iran et la Russie, qui veulent mettre à mal les accords d'Abraham.
