2294-On ne dit pas "du coup", ni voilà, à tout moment! 2 posts

Société / Culture

Est-ce mal de dire «du coup»?

Cette locution est dans toutes les bouches. Vous n'en pouvez plus? C'est normal, vous êtes snob... euh, français.

Le vrai problème, ce n'est pas «du coup» mais le fait de s'en servir pour ne rien dire dans une conversation. | Priscilla Du Preez via Unsplash
Le vrai problème, ce n'est pas «du coup» mais le fait de s'en servir pour ne rien dire dans une conversation. | Priscilla Du Preez via Unsplash

Il est certaines expressions ou locutions françaises en butte à un véritable harcèlement de la part de puristes plus ou moins autoproclamés, et qui alimentent moult articles, tribunes et billets d'humeur sur la langue française. Et d'ailleurs, en voici encore un.

 

Il est récurrent de s'entendre dire qu'il ne faut surtout pas utiliser «par contre» mais lui préférer «en revanche». Or, le Grand Robert explique très bien que «par contre» introduit un inconvénient (ma cousine est callipyge, par contre elle est complètement crétine) ou un avantage (ma cousine n'a pas inventé la machine à cintrer les bananes, par contre elle a un très gentil chat), alors que «en revanche» n'est censé introduire qu'un avantage (ma cousine sent un peu la mouffette, en revanche sa chatte est d'une propreté éblouissante).

En réalité, ces nuances se sont perdues au fil du temps et on utilise aujourd'hui de manière tout à fait interchangeable «par contre» et «en revanche», tout en partant du principe, quand même, que cette dernière locution étant un tantinet plus soutenue, elle est plus juste. C'est donc faux et c'est une forme de snobisme attendrissante, répandue et très, très française.

«Du coup» au pilori

La locution à envoyer au bûcher en ce moment, c'est «du coup», devenue un tic de langage généralisé. Le Monde la qualifie carrément de «locution endémique». Le Grevisse, bible du bon usage, dit que «du coup exprime l'idée d'une cause agissant brusquement; il est proche d'“aussitôt”» et n'émet quant à lui aucune réserve sur la légitimité de son usage. Il cite comme exemple Alfonse Daudet qui, dans les Lettres de mon moulin, écrit: «Ah! Mon Dieu!... Elle aussi! cria Monsieur Seguin stupéfait, et du coup il laissa tomber son écuelle» mais aussi Henriot, dans Le Monde du 8 avril 1959, écrivant: «Le spectacle ne laissait pas de doute, et Stendhal, dégrisé du coup, dit qu'il en éclata de rire.»

 

Marie-Hélène Verdier, autrice de La guerre au français, préconise dans un article de Marianne de la remplacer par «en conséquence, partant, ce qui fait que, alors, donc, par conséquent, finalement, dès lors, tout à coup, en conclusion, c'est pourquoi, subséquemment, désormais, par la même occasion». Et les articles et argumentaires se suivent et se ressemblent, tous pour clouer au pilori cette expression «fautive» à la légitimité douteuse, qu'elle relève de la «manipulation intellectuelle», qu'elle soit un «vilain tic de langage» ou un «impair à éviter».

 

L'Académie française, ce parangon du snobisme linguistique mais aussi la référence ultime en cas de casse-tête rédactionnel ou de dispute familiale autour d'un Scrabble qui tourne au vinaigre, ne dit pas que «du coup» est incorrect mais qu'il ne doit pas être utilisé comme «un simple adverbe de discours sans sens particulier» (c'est-à-dire comme un tic), et qu'il introduit certes la conséquence mais attention! «avec une valeur temporelle traduisant une quasi-simultanéité». Il est donc très proche de «aussitôt», nous disent les immortels. Proche d'accord, mais pas interchangeable semble-t-il: «Il n'y avait plus de rillettes, aussitôt j'ai pris des rognons», non, ça ne fonctionne pas.

Là où ça se complique, c'est que pour l'Académie«on ne peut donc pas employer systématiquement “du coup”, ainsi qu'on l'entend souvent, en lieu et place de “donc”, “de ce fait”, ou “par conséquent”», ce qui contredit une partie du discours de Marie-Hélène Verdier. Nous voilà bien embêtés. À quel moment peut-on l'utiliser?

«Subséquemment, on mange japonais?»

La question, finalement, est multiple. Car au fond, qu'est-ce que «du coup» veut bien réellement pouvoir dire? Conséquence et simultanéité: aucune des locutions, aucun des mots proposés par Marie-Hélène Verdier ou par l'Académie ne remplissent ce cahier des charges. J'avoue avoir un faible pour «partant», mais force est de constater qu'il est loin de fonctionner dans toutes les situations où «du coup» s'impose («Le type dans le métro me touchait les fesses, partant je lui ai collé mon poing dans la figure», ça ne colle pas). «Subséquemment» n'est pas mal non plus, mais imaginez que vous arriviez devant la pizzeria où vous devez manger et que vous constatez qu'elle est fermée: «Subséquemment, on mange japonais?»

La particularité de «du coup», c'est que c'est une locution à peu près uniquement orale. Certes on la retrouve à foison dans le parler des réseaux sociaux, mais ceux-ci ne sont qu'une retranscription de l'oralité et ne prétendent pas avoir de qualités rédactionnelles ou littéraires. Qu'on en abuse ou pas, «du coup» appartient au registre du présent familier, de l'éphémère décontracté. Il est unique, irremplaçable, et il a même une importante valeur d'échange, car il présuppose que la personne qui l'entend et celle qui parle partent sur des bases communes, même si elles ne se sont jamais vues de leur vie.

 

«Du coup» permet de prendre un objet du réel et de s'en servir de tremplin pour communiquer; tant de façon hostile («Du coup vous la laissez là?» allez-vous dire au malotru qui abandonne sa trottinette électrique au milieu du trottoir, et dans ce «du coup»-ci se trouve à la fois le récit de son impolitesse et la manifestation de votre indignation) que de façon agréable («Du coup tu montes prendre un verre?» et dans ce «du coup»-là se tapissent à la fois un résumé de la bonne impression laissée par la soirée et certaines promesses de la nuit à venir).

Ce tic de langage à la mode finira par passer

Évidemment, lorsqu'elle devient une béquille dans la conversation et se vide absolument de son sens pour devenir une articulation répétitive et obsessionnelle, il y a de quoi la détester. Et qui n'a jamais achoppé sur un tic de langage émis par un prof, un proche, un journaliste ou un invité à la radio ou à la télévision, au point de ne plus être capable d'entendre autre chose que ce tic, au point de l'attendre même, d'en compter les occurrences, pour hurler triomphalement à la fin du discours«IL A DIT QUATORZE FOIS “DU COUP”!»

 

En réalité, cet agacement tient davantage au mécanisme qu'au mot lui-même. Derrière cette allergie se cachent des préférences personnelles aux contours obscurs. Moi, par exemple, le mot qui me hérisse le poil quand je l'entends répété sans arrêt dans la conversation, c'est «voilà». Pourquoi? Aucune idée. Et pourtant, c'est épidermique: même si le locuteur a le QI d'Einstein et le pouvoir de persuasion d'un préado qui réclame son premier téléphone, je ne pourrai m'empêcher de réduire son discours à ce petit mot qui annihilera tout le reste. Vous, c'est peut-être «c'est clair», «pas de souci» ou tout bêtement «quoi».

 

Si vous n'en pouvez plus de l'entendre, dites-vous que ce tic de langage à la mode finira par passer, comme tous les autres (et que le prochain sera peut-être encore plus insupportable, qui sait. On sait ce qu'on perd...). Car le vrai problème, ce n'est pas «du coup» mais le fait de s'en servir pour ne rien dire dans une conversation et de l'entendre dans toutes les bouches. Et s'il mérite d'être défendu parce qu'il a un vrai sens, il a également le mérite de donner à ceux qui le conspuent ce sentiment de supériorité linguistique si délicieux et si français. Et ça, du coup, ça n'a pas de prix.

 

Rhune.jpg

 

En haut de la Rhune �
Dessin de Jean Duverdie     via Patrice Hiriard

 

 

 

 

 

 



13/03/2023
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