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«Mes souvenirs de L’Haÿ-les-Roses, lieu ordinaire d’impuissance de l’État»

  • par Michel Bernard, pour Le Figaro - juillet 2023
TRIBUNE - Sous-préfet à L’Haÿ-les-Roses en 2016, l’auteur* a démissionné la même année pour se consacrer à l’écriture. Des années avant que le domicile du maire ne soit attaqué - le 2 juillet dernier -, il y a été témoin de la faiblesse de l’État, notamment face à l’immigration.
 
Ce fut mon dernier poste, six mois, de février à août 2016, après la sous-préfecture de Reims, où j’avais exercé quatre années et demie. La dernière avait été marquée par les attentats islamistes, celui de Charlie Hebdo en particulier, l’un des assassins étant domicilié dans le quartier Croix-Rouge, dans le sud de la ville. J’avais organisé son enterrement, rapidement, discrètement, deux jours après avoir assisté aux obsèques de mon ami Bernard Maris.
 
Vincent Jeanbrun, jeune maire récemment élu, m’avait accueilli dans son hôtel de ville, puis fait visiter les quartiers en «politique de la ville» où il avait grandi. Il m’avait montré l’immeuble de son enfance, son école, m’avait présenté aux commerçants, avait parlé avec les adolescents dans la rue. Son énergie, son enthousiasme inspiraient une sympathie immédiate. Courageux, tenace, je le constaterai par la suite, les Français viennent de le découvrir.
 
Ayant mis à jour la corruption de son prédécesseur et de l’ancien directeur des services, il les fit poursuivre jusqu’à condamnation. Attentif au sort des modestes - ses parents l’étaient - et à l’amélioration de sa ville, l’élu allait au contact avec le sourire sans transiger avec la loi. L’enquête déterminera si les motivations des auteurs de l’attentat dont il vient d’être victime, ainsi que sa famille, sont à rapprocher de son ardeur à défendre le bien public, l’intérêt général, ce qu’il est convenu d’appeler la République.
 
En poste à Metz en 2005, dans le Val-d’Oise en 2007 (Villiers-le-Bel), j’ai vécu des émeutes de grande ampleur. Celles de ce début d’été ne m’ont pas surpris ; elles ont avivé une angoisse que le retour au calme n’a pas éteinte. La prochaine fois sera pire. Personne n’a noté jusqu’à présent qu’aucune sous-préfecture ou préfecture, à ma connaissance, n’a été visée par des actes hostiles, ni en 2005 ni récemment. Or ces institutions et leurs bâtiments sont bien connus des habitants. Y sont traitées notamment les demandes de régularisation et de renouvellement du droit au séjour.
 
Un État peu contrariant avec les délinquants
Il y a sept ans, chaque jour, devant la sous-préfecture de L’Haÿ-les-Roses, la file des étrangers espérant accéder aux guichets s’étirait sur 150 à 200 mètres. Chacun sait, les intéressés en particulier, que, hier comme aujourd’hui, très peu seront renvoyés dans leur pays d’origine et que la plupart, à l’usure, finiront par obtenir un titre de séjour. C’est aussi dans ces bureaux que sont préparés, puis signés par l’autorité préfectorale, les arrêtés portant obligation de quitter le territoire français (OQTF) qui ne seront pas respectés, et dont la majorité, après interpellation éventuelle du contrevenant, seront vidés d’effet par une décision de justice.
 
En clair, l’État est peu contrariant pour les personnes qui légitimement ou pas aspirent à s’installer en France, y compris la petite minorité de délinquants. C’est peut-être une explication à cette curieuse retenue des émeutiers concernant les bâtiments préfectoraux. Les endommager suspendrait l’accès aux guichets. L’État sera bien inspiré de renforcer leur protection et celle de ses agents, le jour où un gouvernement dotera le pays d’une politique de l’immigration efficace.
Le sentiment d’impuissance et d’absurdité dans un poste comme celui-ci est vite insupportable. La plupart des étrangers en situation illégale, pour justifier d’une durée de présence ouvrant la possibilité d’une régularisation, présentaient des documents officiels leur octroyant des passes Navigo, avantage gracieusement offert par la région Île-de-France aux résidents illégaux. La lettre, très aimable, s’achevait sur: «Bienvenue dans l’univers Navigo», avant signature du responsable. Les fonctionnaires instruisant ces dossiers payaient évidemment, eux, leur titre de transport. La nouvelle majorité de l’assemblée régionale a supprimé cette aberration.
 
Apologie de l’Islam à la mosquée
Me reviennent d’autres moments étonnants. Une visite du préfet à la mosquée «marocaine» en construction de Chevilly-Larue, dans mon arrondissement, sans que j’en sois prévenu. Je lui aurais signalé que l’imam persistait à se maintenir depuis plusieurs années sur le territoire malgré une OQTF. Les repas de rupture du jeûne en période de ramadan où nous avions instruction de nous rendre: à Villejuif, à part une élue, la seule femme non voilée présente était la consul du Maroc. Nous avons parlé un peu de littérature. Le bouquet, ce fut le repas de rupture du jeûne à Fresnes. Il eut lieu à la mairie, dans la salle des mariages.
 
J’étais assis entre le maire et un enseignant en lycée technique en tenue islamique. Je suis resté assez peu ; pourtant, mon voisin barbu eut le temps de prendre position à la sortie, dans la salle municipale, devant une table où il vendait son livre et le dédicaçait. Comme je passais devant lui, il me l’a offert. Je l’ai parcouru avant de le remettre au service de renseignement. C’était une apologie de l’Islam, qui a tout inventé avant d’être pillé par l’Occident.
Il contenait une justification de la polygamie. J’en ai parlé au préfet, dont cela n’a pas retenu l’attention. Quelques semaines plus tôt, le député-maire de Fresnes était venu déclarer à la sous-préfecture les statuts de l’association En marche!, qui préparait la déclaration de candidature d’Emmanuel Macron à l’élection présidentielle. Réélu l’année suivante, il avait été porté à la présidence de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale. Il a ensuite eu quelques ennuis pour des histoires de notes de frais.
 
Réunis autour de l’Histoire
Ce poste m’a néanmoins procuré une des expériences les plus lumineuses de ma carrière. C’était le 18 juin 2016, la principale du collège Jean-Moulin à Chevilly-Larue m’avait invité à prendre la parole au cours d’une cérémonie d’hommage au préfet qui, le 17 juin 1940, avait accompli son premier acte de résistance à Chartres.
Venu en uniforme, j’avais dit aux élèves, a près leur avoir rappelé le contexte, que Jean Moulin portait le même quand, pour la première fois, il avait été brutalisé par des officiers allemands dans sa préfecture parce qu’il refusait d’imputer à des tirailleurs sénégalais la mort de civils manifestement tués sous un bombardement. Le silence, l’attention des élèves de toutes origines rassemblés devant leur établissement cet après-midi-là étaient incomparables. J’y repense souvent.�
*Dernier livre paru: «Les Bourgeois de Calais» (La Table ronde, 2021).
Illustration :
  • «La prochaine fois sera pire», prévient Michel Bernard, sous-préfet à L’Haÿ-les-Roses en 2016 en parlant des émeutes récentes. EMMANUEL DUNAND/AFP


25/07/2023
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