2627- Mélenchon expie t'il sa culpabilité d'ancien pied-noir ? 1 post
Regarder les individus selon leur origine religieuse, Jean-Luc Mélenchon connaît bien»
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par Ruth Elkrief, pour Le Point - décembre 2023 Republié par JALR
Selon l’éditorialiste politique Ruth Elkrief, les choix politiques du leader Insoumis s’expliquent aussi par son enfance, coloniale, au Maroc.
Lui, le fils de «pieds-noirs» algériens, né à Tanger au Maroc, a réparé la faute originelle, la faute de la colonisation. Lui, le fils cadet de Georges Mélenchon, receveur des PTT et journaliste, et de Jeanine Bayona, institutrice, ne sera plus déchiré. Jean-Luc Mélenchon a la conscience tranquille : il défend ces mêmes Arabes qu'il a vus se faire maltraiter par les colons, il acte sa rupture avec ses tourments, il expie enfin sa culpabilité d'ancien pied-noir.
Entre son logiciel d'ex-lambertiste, qui veut mobiliser l'islamisme contre le capitalisme, et son enfance sous le soleil de Tanger, il a tranché. Il se réconcilie avec lui-même et calme ce sentiment lancinant de culpabilité. Mieux, il sera le porte-voix, le candidat de ces musulmans opprimés. Existe-t-il plus belle revanche sur ce passé torturé ?
Derrière ses positions officielles. Car le leader de la gauche de la gauche n'a pas toujours été convaincu des «méfaits de la colonisation»… Dans un échange informel avec lui en janvier 2012, alors que les esprits s'échauffent sur ces questions, je suis stupéfaite de l'entendre asséner : «Mais tout de même, nous avons fait les routes, les hôpitaux, les écoles ! Il ne faut pas raconter l'histoire à l'envers.» Derrière les positions officielles du candidat du Front de gauche avait soudain resurgi le «moi profond» du fils de l'institutrice de Tanger.
Le 12 février 2013, dans une interview donnée au journal algérien El Watan, Mélenchon le répétait : la reconnaissance des crimes coloniaux de la France ne serait ni plus ni moins qu'«une belle perte de temps». Plus récemment, lorsque Emmanuel Macron avait qualifié la colonisation de «crime contre l’humanité», Jean-Luc Mélenchon jugeait, avec raison, «qu'un Français doit peser ses mots quand il parle de l'Algérie». On ne condamne pas ainsi ses parents, sa famille, on ne les jette pas aux chiens devant le tribunal de l'Histoire…
Qu'importe. Aujourd'hui, c'en est fini. Avec ses soutiens répétés – et contestés – aux islamistes, sa présence à la manifestation du CCIF ou sa non-condamnation des crimes du Hamas, Jean-Luc Mélenchon tranche ses conflits intérieurs.
Qu'importe si les nationalistes arabes sont devenus islamistes. Qu'importe si sa proche conseillère originaire d'Algérie, Sophia Chikirou, voue une haine féroce au FIS, responsable d'une guerre sanglante. Qu'importe si l'antisionisme affiché dissimule de plus en plus mal un antisémitisme new-look. Il s'est convaincu que le jeu en valait la chandelle : 68 % des Français musulmans ont voté pour lui en 2022. De plus, un vieil héritage catholique antisémite n'a-t-il pas bercé aussi son enfance ?
Traces. Regarder les individus selon leur origine religieuse, Jean-Luc Mélenchon connaît. C'est ainsi que fonctionnait la société marocaine sous protectorat : on y était français catholique, juif ou arabo-musulman. Et les trois communautés, présentes dans les grandes villes, se répartissaient par quartiers bien séparés, en cercles quasi fermés… Avec, bien sûr, une hiérarchie très nette. Méprisés à la fois par des colons imprégnés de préjugés antisémites et des musulmans qui leur concédaient le titre de dhimmis («protégés»), les Juifs y étaient pris en tenaille. L'historien Georges Bensoussan décrit d'ailleurs un Maghreb où «les classes populaires, même si elles votaient pour le PCF, restaient très catholiques et baignaient dans un fond culturel aux codes antisémites».
Jean-Luc Mélenchon a beau avoir jeté par-dessus bord l'héritage colonialiste de son enfance, n'en reste-t-il pas des traces dans sa pensée ?
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Illustration : La journaliste française Ruth Elkrief à Paris, le 16 février 2022. @ JOEL SAGET / AFP
