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Malika Sorel, Rima Hassan et le sujet caché

  • par Kamel Daoud, pour Le Point - avril 2024
Les têtes d’affiche du RN et de LFI s’opposent en termes d’identité électorale : immigration lucide et laïcité pour l’une, immigration culpabilisante et communautarisme pour l’autre.
 
Il y a une information à lire dans les candidatures électorales de deux figures françaises antinomiques, Malika Sorel et Rima Hassan. Elles sont les têtes d'affiche de deux mouvements politiques antithétiques : le RN et LFI. L'extrême droite en relooking et l'extrême gauche soi-disant révolutionnaire.
 
 
Avec Rima Hassan, les Insoumis tentent de monopoliser l'émotion propalestinienne et l'électorat «musulman , sinon islamiste. Ce choix illustre deux constantes : d'abord, les Insoumis finissent par ressembler à la plupart des régimes arabes autoritaires, pour qui la «cause palestinienne» demeure un levier destiné à lever les foules de sympathisants et garder le pouvoir. Il confirme ensuite que la radicalité en France a besoin d'une figure orientalisante, d'un adjuvant exotique pour illustrer la contrition et la révolution. C'est aussi vieux que le message des Lettres persanes de Montesquieu.
 
L'autre «tête de liste», c'est Malika Sorel, numéro 2 sur la liste du Rassemblement national. Elle est née à Alger, y a grandi, mais ne correspond en rien à l'image de l'immigré décolonisé, figé dans une posture victimaire et revendicative. On accuse souvent très vite de «trahison» des personnes comme Malika Sorel, dans le but d'empêcher toute réflexion sur l'immigration et de réduire ceux qui en sont issus à la figure christique du bouc émissaire de la mauvaise France. Fréquemment, ceux-là mêmes qui hurlent au racisme sont les premiers à qualifier d'«Arabes de service» ceux qui ne répondent pas au cliché de la victime éternelle. On devient donc un «traître» quand on ne se soumet pas à l'orthodoxie de la radicalité de gauche et du communautarisme.
 
Deux têtes d'affiche, donc deux interprétations. Un : il s'agit d'un jeu d'adjuvants alimentaires pour deux courants politiques français où les deux candidates apparaissent comme des faire-valoir classiques. Deux : la France a profondément changé. Aujourd'hui, l'enjeu de l'«autre» ne se réduit plus à l'opposition entre le Français «de racine» et le Français venu d'ailleurs.C'est le Français venu d'ailleurs qui lutte pour se définir hors des clichés de l'autoenfermement communautariste. Ou qui en fait usage.
 
«La France, c'est aussi nous»
 
En ce qui concerne la figure dopée à la colère de Rima Hassan, on sait où l'on se trouve : la pensée magique qui veut libérer la Palestine tout en restant en France. C'est la tradition de la culpabilisation.
 
Pour Malika Sorel, on découvre un autre sujet : une immigration qui ose dire que l'immigration telle qu'elle est aujourd'hui pratiquée, dans la «soumission» idéologique et religieuse, est un risque majeur pour tous.
Qu'en penser ? «La France, c'est aussi nous.» Le cri peut être lancé par ceux qui, venus du Maghreb ou affiliés à lui par la généalogie parentale, votent à l'extrême droite afin que leur pays d'aujourd'hui ne devienne pas leur pays d'hier. Mais ce cri est également «teinté» par ceux qui gardent depuis des décennies le monopole politique de la victimisation du migrant, de la Palestine, de l'Arabe et du musulman. Aucun choix au milieu ? Si : beaucoup d'Algériens, de Marocains ou de Tunisiens, qui ont fui la marée islamo-conservatrice de leurs pays, veulent vivre dans une république laïque. Ils contestent le principe infantile et pourtant éternel de la loyauté postcoloniale qu'on leur impose. Ils refusent de voir la France basculer vers une islamophilie compensatoire, issue de la culpabilité coloniale au nom de l'égalitarisme : «Noyons-nous tous ensemble, pour prouver que nous sommes tous semblables.»
 
Il s'agit de «Français» exilés, immigrés, qui ont un pied ici et un pied de l'autre côté, et qui, pour le moment, ne prennent pas la parole, de peur des procès en trahison instruits par les tribunaux communautaires. Ils veulent préserver un bonheur de vivre qu'ils pensaient hors de portée dans leur pays d'origine.
Néanmoins, l'engagement de Malika Sorel témoigne que la France a changé. Elle sera taxée d'opportunisme, électoralisme ou autre, mais elle enfreint au moins la règle du silence et de la compromission au nom du communautarisme. De l'autre côté, l'égérie de la libération imaginaire de la Palestine incarne l'illusion, la passion, la radicalité bien française ou son éternel penchant à «incanter» la radicalité par l'exotisme.
Se porter à l'extrême droite, pour une Française venue d'ailleurs, représente souvent un acte extrême. Mais il porte un message que l'on ne veut pas voir : le refus de s'illusionner sur certains sujets, comme l'immigration et l'islamisme. Le basculement vers l'extrême gauche fantasmée porte aussi la déclaration d'une France radicale qui croit que la contrition est le gage de l'innocence ou de l'action.
 
L'immigration, toujours l'immigration
 
C'est donc le grand thème qui se dévoile sous ces deux figures : l'immigration. Zemmour l'aborde de manière chaotique et caricaturale. D'autres s'y penchent au risque d'être étiquetés. Mais, au fait, est-ce bien l'«immigration» qui angoisse la France ? N'avance-t-on pas ce mot par peur de prononcer le bon ? «Au fond, le problème de la France n'est pas l'immigration, mais la perception de l'islam et son vecteur activiste, l'islamisme», soutient en off un fin observateur de la chose franco-maghrébine. Absorber 300.000 Ukrainiens n'a pas posé de problème à la France. Ce qui angoisse, sans qu'on ose le dire «pour ne pas aggraver les choses», serait d'aborder une religion dont le projet politique est d'avaler la République puis le reste du monde. Le débat est bloqué à la hauteur de la polémique stérile sur l'islamophobie, le rejet, l'immigration, la délinquance ou les extrêmes politiques. En réalité, jure notre interlocuteur, ce que nous craignons sans même l'assumer à haute voix, c'est d'être «avalé» par un islam dont «nous ne savons que faire». Pour une partie de l'opinion française, le projet politique totalitaire est bien là. Dans son contraste net avec la République, dans sa résistance à la laïcité et dans son refus de négocier avec les lois du vivre-ensemble. Malika Sorel ou Rima Hassan peuvent être vues comme deux «réponses» possibles. Chez la première, une immigration comme succes story pouvant être reproduite et pensée sans la culpabilité. Chez la seconde, une immigration exotique revendiquée pour pouvoir culpabiliser sans se sentir coupable.�
 
 
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20/04/2024
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