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Services secrets : «Ce monde de l’ombre est un terreau fabuleux»

  • par Romain Gubert, pour Le Point - juillet 2023  Republié par JALR
LES NOUVEAUX ESPIONS. Fasciné par les espions, l’écrivain, énarque, entrepreneur Cédric Bannel trempe sa plume dans les zones sombres de l’actualité internationale. Rencontre.
 
Cédric Bannel n'est pas un écrivain comme les autres. Énarque et inspecteur des finances, il a travaillé un temps à Bercy, puis comme diplomate à Londres. Il a ensuite fait fortune en créant une start-up (Caradisiac). Ancien champion de karaté, il est aujourd'hui à la tête d'un important fonds de capital-risque et investit dans de nombreuses entreprises européennes.
 
Pour écrire son huitième livre, Les Fantômes de Kiev (XO Éditions), il a passé une dizaine de jours en Ukraine, à Boutcha, à Irpin et à la frontière avec la Russie l'automne dernier. «Aller sur le terrain, sentir l'ambiance d'un pays en guerre, rencontrer civils et militaires, c'est une question d'honnêteté vis-à-vis du lecteur», dit-il en revendiquant la façon de travailler de Gérard de Villiers, qui fréquentait de nombreux espions et se rendait sur les lieux qu'il décrivait dans ses romans. «Pour ce qui concerne la façon déplaisante dont il traitait les femmes dans ses romans, il est d'une autre époque. Mais ses analyses géopolitiques restent lumineuses.» Sans jamais «se prendre pour l'un d'entre eux», explique Bannel, sa fascination pour les hommes de l'ombre est née lorsqu'il a commencé à les côtoyer dans son premier job comme fonctionnaire de l'administration du Trésor. Il avait été affecté dans le service qui gérait les sanctions financières contre l'Irak, la Syrie ou la Libye et travaillait avec des agents de la DST (l'actuelle DGSI), de Tracfin ou de la DGSE pour traquer l'argent sale et identifier les réseaux financiers mafieux.
 
Le Point : Vous êtes un entrepreneur. Pourquoi cette fascination pour les espions ? Vous pourriez raconter des thrillers dans le monde financier…
 
Cédric Bannel : Détrompez-vous ! Le monde des entreprises est très transparent. Il y a des reportings, vous ne mentez pas sur l'état du marché. C'est beaucoup moins inspirant que ce qu'offrent les zones d'ombre de l'actualité internationale. Lors de mes premières expériences professionnelles, j'ai découvert le rôle des services, j'ai rencontré des gens de valeur dont le travail n'est guère, par nature, reconnu. C'est Patrick Calvar, l'ancien patron du renseignement intérieur, que j'ai côtoyé quelques années à l'ambassade de France à Londres, qui dit souvent : «Les échecs des services sont médiatisés. Pas leurs succès.» Cela résume bien l'action de ces agents de l'État qui œuvrent pour le drapeau sous le manteau. J'ai découvert leur langage, leurs rivalités internes, leur talent. Ce monde de l'ombre est un terreau fabuleux. À condition toutefois de rester à sa place : je suis un écrivain, pas un espion.
 
Pourquoi sommes-nous fascinés par les services secrets ?
 
Le monde n'a jamais été aussi transparent. Les informations circulent plus vite et plus intensément que jamais dans l'histoire du monde. Et, en même temps, il y a ce sentiment qu'une partie de l'histoire nous échappe. Regardez le Covid ou la guerre en Ukraine… Mille théories circulent. Pas simplement par goût du complotisme, mais par volonté de comprendre ce qui se passe. Dans ces deux cas, les choses sont simples : une crise sanitaire mondialisée et la dérive d'un homme qui cherche par tous les moyens à s'accrocher au pouvoir. Ce ne sont ni les laboratoires pharmaceutiques ni Joe Biden qui ont déclenché ces deux crises. Mais avec le retour du tragique de l'histoire, nous sommes comme incrédules et notre curiosité est insatiable. Nous cherchons à comprendre le fracas soudain de notre époque.Le complotisme est une façon irrationnelle
de se rassurer à bon compte qui ne mène pas loin. Je ne me sens pas légitime pour écrire des essais géopolitiques. Dans mes livres, j'essaye, grâce au suspens et à quelques personnages, de donner des clefs sur l'actualité.
 
Vous parlez du retour du tragique…
 
Jusqu'au seuil des années 1990, les choses étaient assez binaires. La plupart des conflits se lisaient par le prisme Est-Ouest, à l'exception de la situation israélo-palestinienne. Mais, depuis 1990, nos certitudes ont volé en éclats. Nous pensions alors que l'économie régulerait le monde. Quelle erreur ! Al-Qaïda puis Daech ont montré que les soubresauts du monde n'étaient pas simplement économiques. Et qu'ils pouvaient nous atteindre jusque sur notre sol. Le risque cyber, la Turquie, la Chine, les mafias… Aujourd'hui, la question pour un pays comme la France n'est plus celle-ci : une démocratie a-t-elle besoin de services secrets ? Mais comment arbitrer entre mille priorités et enjeux sécuritaires.
 
«Les Français ont compris que le pays avait besoin de "bons “espions. À charge pour le pouvoir politique de ne pas leur faire faire n’importe quoi.» Cédric Bannel
 
Le rapport des Français à leurs espions a-t-il changé ?
 
Il y avait, encore récemment, beaucoup de suspicions. Mais les Français ont compris que les espions étaient indispensables à la sécurité d'un État. Ils savent que si la DGSI n'est pas efficace, il y a des bombes dans Paris. Ils savent qu'il faut des services compétents pour surveiller ce qui se passe à la frontière russo-ukrainienne puisque ce conflit touche directement nos intérêts énergétiques, militaires, stratégiques, etc.
Longtemps, les Français ont vu l'armée et les services avec méfiance. C'est peut-être l'héritage de Vichy, du putsch en Algérie, etc. Nous regardions les séries télévisées américaines en considérant la CIA et le FBI avec un peu d'exotisme. Ce n'est plus vrai. Les Français ont compris que le pays avait besoin de «bons» espions et de forces armées opérationnelles. À charge pour le pouvoir politique de ne pas leur faire faire n'importe quoi, d'être vigilant sur la protection de la vie privée de ses citoyens, de les encadrer. Ce qui n'est pas évident quand la première qualité des services est par définition d'être secrets…
 
En quoi la guerre en Ukraine a changé la donne ?
 
C'est la première guerre se déroulant à ce point à livre ouvert et le premier conflit mêlant les tranchées de 1914-1918 avec les satellites. Ce conflit a surtout montré la faiblesse des services secrets européens, faute de renseignement humain de qualité. Grâce aux satellites, tout le monde savait six mois avant le début de l'intervention que la Russie massait des quantités invraisemblables de soldats le long de sa frontière occidentale. Pour la plupart des Européens, il s'agissait d'un coup de bluff du maître du Kremlin. Grâce à leurs sources humaines au sein de l'appareil d'État russe et parce qu'ils n'ont pas baissé la garde face au «risque russe», les Américains avaient, eux, des capteurs et des analystes qui ont prévu l'inimaginable. Les capacités technologiques sont aujourd'hui essentielles, mais elles ne suffisent pas : le renseignement humain reste plus que jamais indispensable.�
  • Illustration : Cédric Bannel présente son dernier roman d'espionnage «Les Fantômes de Kiev», éditions XO, mai 2023, 512 pages, 21,90 € (papier), 13,99 € (numérique).
Peut être une image de 2 personnes, livre, affiche et texte qui dit ’CÉDRIC BANNEL LES FANTÔMES DE KIEV ESPIONNAGE XO EDITIONS’


11/08/2023
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