22 74 -Un séparatisme gagne du terrain, celui de l'autonomie régionale 3 posts

«Cet autre séparatisme qui gagne du terrain»

  • par Charles Jaigu, pour Le Figaro - février 2023
Le juriste Benjamin Morel lance l’alerte sur les avancées de l’ethno-régionalisme. Il n’y a pas que les Corses qui convoitent l’autonomie néo-calédonienne.
 
L’archipélisation de la France inquiète à juste titre. Dans La France en miettes, Benjamin Morel va plus loin. Il nous annonce l’écartèlement de l’État-nation. Non pas à cause du communautarisme musulman, de l’américanisation, de l’individualisme ou encore de la dilution dans l’ensemble européen. Peut-être le pense-t-il aussi, mais ce n’est pas le sujet qui intéresse ici ce maître de conférences en droit public à l’université d’Assas, dont la thèse portait sur les collectivités territoriales.
 
Le ton grinçant de ce livre vise un autre séparatisme: celui dont on ne parle presque jamais, celui des tenants de l’autonomie régionale, tout aussi prêcheurs d’un récit antifrançais que les salafistes et les fréristes des territoires perdus de la République. Morel a le talent du polémiste et le sérieux du futur professeur d’université. Il y a un brin d’outrance dans son cri d’alarme. Mais sans doute en faut-il pour nous sortir de notre insouciance. L’insouciance est grande, car l’histoire de France a de bons arguments pour nous rassurer. L’État pourvoyeur de biens communs en pagaille reste irremplaçable, même si la corne d’abondance est en train de se tarir. Il offre encore des avantages sonnants et trébuchants aux territoires les plus enclavés, en dépit de la complainte sur la fin des services publics. De surcroît, les Français sont majoritairement hostiles au phénomène régionaliste - dont une mémoire longue sait bien leurs compromissions avec l’occupant nazi, en Bretagne et en Alsace -, et même les sondages locaux révèlent que les habitants des régions concernées ne veulent pas des programmes autonomistes, ou de l’enseignement immersif des langues vernaculaires au frais du contribuable. Ainsi lit-on que 57% des Corses sont hostiles au rapprochement des prisonniers détenus sur le continent, et seulement 12% des Bretons sont favorables à une promotion de la langue bretonne. Cela suffit-il à nous rassurer? Non! Car depuis une dizaine d’années, la majorité silencieuse oublie même de se rendre aux urnes dans les élections locales. Non, car les partis de gouvernement, souvent centralisateurs, ont, à l’échelon régional, beaucoup de complaisances. Pour faire le plein des voix, ils intègrent dans leurs programmes les revendications des réseaux identitaires. Enfin, il faut compter avec les universités et la presse régionale. Ces relais sont très souvent des relais d’une contre histoire.

«La Corse, la Bretagne, l’Alsace, le Pays basque veulent tous s’aligner sur le mieux disant en matière d’autonomie, à savoir la Nouvelle-Calédonie.»

Ce livre nous aide à prendre la mesure d’une érosion. À force de menues concessions aux réclamations lacrymales des «ethno-régionalistes» des confins de l’Hexagone. La Corse, la Bretagne, l’Alsace, le Pays basque veulent tous s’aligner sur le mieux disant en matière d’autonomie, à savoir la Nouvelle-Calédonie - pourtant distante de 20.000 km. Si Morel sonne le tocsin, c’est aussi qu’il regarde ce qui se passe dans le voisinage européen. En Italie, la Ligue du Nord a inventé de toutes pièces la Padanie, qui rassemble le nord de l’Italie autour de la plaine du Pô. Les padanistes réclament la sécession avec le sud du pays. En Espagne, les riches Catalans ont échoué de peu dans leur tentative de faire bande à part, mais l’intention demeure. Il en va de même en Belgique, où les Flamands tentent de quitter le fragile royaume. Enfin, bien sûr, l’Écosse.
 
Cette liste non exhaustive indique la force du phénomène au cœur des nations européennes. «40% des mouvements ethno-régionalistes dans le monde ont été recensés sur le Vieux Continent, et Emanuele Massetti et Arjan Schakel ont constaté, dans une étude par régression statistique sur 227 partis régionalistes, que la présence d’un gouvernement local multiplie leur nombre par trois.» Il faut d’ailleurs écarter l’accusation trop commode à l’égard de l’Europe. Les Catalans se sont cassé les dents à Bruxelles, dont ils attendaient l’appui et le soutien. «Il y a certes un régionalisme militant à la Cour européenne des droits de l’homme et dans la gauche du Parlement européen, mais pas au niveau de la Commission, qui ne veut pas négocier avec des États en proie à des tentatives de déstabilisation interne, et encore moins augmenter le nombre des États membres», nuance Morel.

«L’État doute de lui-même, le récit national est "déconstruit", et les responsables politiques suivent le vent.»

L’écrivain Robert Musil avait inventé le mot de Cacanie pour décrire l’Empire austro-hongrois en décomposition, sous la poussée des mouvements nationaux. La France sera-t-elle la prochaine Cacanie? Il ne faut pas s’interdire d’y penser. L’État doute de lui-même, le récit national est «déconstruit», et les responsables politiques suivent le vent. Or le vent pousse à une course à l’échalote au nom de l’autonomie des régions, en invoquant l’exemple allemand. Or, il y a une grande différence «entre un État fédéral allemand, où toutes les régions, les Länder, disposent de compétences similaires, et les cas français, espagnol ou britannique, où règne le marchandage de compétences et de statuts en réponse aux revendications identitaires». Les concessions apportées par Gérald Darmanin au patron de la région Corse, Gilles Simeoni, sont le dernier exemple en date. «Nous commettons les mêmes erreurs que les autres, mais 20 à 30 ans plus tard. Se tromper le premier est excusable, le faire après tout le monde et à l’heure où l’on sait comment cela se termine, c’est simplement idiot», conclut Morel.
 
Or nous y sommes. Aussi contradictoire que cela paraisse avec les sondages évoqués plus haut, le taux de Bretons se déclarant Bretons avant d’être Français est passé de 19,2% en 1990 à 30,7% en 2000 et 38% en 2019. Quant à la Corse, elle est aujourd’hui la région européenne où le total des scores des partis ethno-régionalistes est le plus élevé, loin devant la Catalogne, la Flandre ou l’Écosse. En 2021, ils réunirent 57,70% des voix aux régionales, et jusqu’à 67,98% au second tour, avec, en sus, un taux de participation de presque 60%. Il ne s’agit d’ailleurs pas de condamner la décentralisation au nom du jacobinisme d’antan. «L’opposition entre Jacobins et Girondins en la matière est dépourvue de profondeur historique. Il n’y a pas et il n’y a jamais eu de vils Jacobins qui chaque nuit rêvaient d’étouffer un peu plus le pouvoir local. Il ne doit pas y avoir, et jusqu’à récemment il n’y avait pas, de Girondins simplets jugeant que tout ce qui relève du local est exempt par principe de critique», proteste Morel. La décentralisation est devenue illisible. Et les statuts dérogatoires créent peu à peu ce monstre de contradiction qu’est, selon l’expression d’un professeur de droit cité par l’auteur, «un État unitaire féodalisé».�
  • Illustration : Benjamin Morel et son livre «La France en miettes - Régionalismes, l'autre séparatisme», éditions du Cerf, février 2023, 268 pages, 20 € (papier), 14,99 € (numérique).
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27/02/2023
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