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 Le boom du divorce après 60 ans : «Je vis enfin la jeunesse que je n'ai jamais pu avoir»

  • par Sevin Rey, pour Madame Figaro - décembre 2022
Les retraités sont de plus en plus nombreux à faire le choix de la séparation pour s'accorder une nouvelle vie. Pour les femmes, ce choix révèle toutes les inégalités accumulées pendant leur carrière.
 
«Un constat d'échec». À 70 ans, c'est ainsi que Sara résume sa vie amoureuse. Mariée une première fois à 20 ans, parce qu'«à l'époque une femme est mariée ou rien», elle divorce après 25 années de mariage et trois enfants. Elle se remarie à 48 ans, «sans coup de foudre, sûrement pour ne pas rester seule et aussi sous la pression de mes parents», analyse-t-elle aujourd'hui. Sa deuxième union fonctionne tant que Sara travaille. Puis arrive la retraite et les projets qui vont avec. On part dans le Sud, dans cette maison avec piscine dont on a rêvé ensemble. L'été, on fait des plannings pour accueillir les enfants et petits-enfants de l'un et de l'autre. On est parent, grands-parents, famille recomposée, mais le couple, lui, n'existe pas vraiment. «On ne partageait pas grand-chose. Je me posais la question de me séparer mais je voyais que les autres couples de notre âge restaient ensemble malgré le peu qu'ils avaient en commun, malgré les chambres à part alors je me disais pourquoi pas moi», confie-t-elle. Après dix ans de doutes, elle divorce à 68 ans. «J'ai raté ma jeunesse, je n'ai pas eu envie de passer à côté de ma vieillesse», lance-t-elle.
De plus en plus de seniors font le même constat que Sara et franchissent le pas de la séparation à un âge où on les imagine pourtant plus que jamais finir leur vie ensemble. D'après une étude de l'Ined publiée en février 2021, les divorces continuent à augmenter pour les plus de soixante ans alors qu'ils se sont stabilisés aux âges antérieurs depuis les années 2000. La part des désunions impliquant un homme et une femme de plus de 60 ans a triplé entre 1996 et 2016 et représente près de 20% des divorces. D'après le sociologue Serge Guérin, auteur des Quincados (Calmann-Levy, 2019), cette hausse s'explique, entre autres, par l'allongement de la durée de vie : «la soixantaine est l'après-midi de la vie, il reste encore au moins 25 ans à vivre et on se pose la question de la vie que l'on souhaite maintenant qu'on est libérés des obligations professionnelles et familiales».
 
La retraite, l'heure de vérité
 
Le plus souvent, la retraite sonne le glas de ces couples que l'on croyait éternels. «Jusque-là, grâce aux enfants, au travail, aux amis, on avait de l'oxygène, une vie intéressante, commente Catherine Grangeard, psychanalyste et auteure de Il n'y a pas d'âge pour jouir (éditions Larousse). Puis tout d'un coup, on se retrouve l'un en face de l'autre. Un couple dysfonctionnel qui ne se voit que quelques heures par jour peut se supporter, mais pas 24 heures sur 24.»
Lorsqu'elle prend sa retraite à 58 ans, Sara est consciente que sa relation ne lui convient pas. Le déménagement dans le Sud occupe le duo pendant les premières années de la retraite. «Cette maison n'a fait que retarder l'échéance. Une fois que les projets s'arrêtent, on est face à la réalité du couple, aux déjeuners et dîners à heure fixe, à la solitude tout en étant a deux», affirme-t-elle.
  • «Ces femmes découvrent une grande sécurité intérieure et une joie incommensurable lorsqu'elles réalisent qu'elles peuvent être autonomes.» Véronique Kohn, psychologue
À la retraite, à deux entre quatre murs, ce que l'on pouvait tolérer jusqu'à maintenant devient intolérable. Y compris les infidélités. Katia en a supporté plusieurs de la part de son ex-mari avant de dire stop à 62 ans. «Cette fois-ci, je n'avais plus mon travail comme échappatoire pour fuir la réalité», confie-t-elle. Katia affirme avoir fait le deuil d'une vie amoureuse, «je me sens plus libre, mais c'est difficile de ne plus compter pour personne affectivement. Les enfants, les petits enfants et les amis ne remplacent pas tout», se désole-t-elle. Elle a tenté le bénévolat, les associations caritatives, les sites de rencontre mais n'a pas encore «trouvé la solution au sentiment de solitude».
  • «La soixantaine est l'après-midi de la vie, on se pose la question de la vie que l'on souhaite maintenant qu'on est libérés des obligations professionnelles et familiales.» Serge Guérin, sociologue
La peur de la solitude
 
Cette question de la solitude, voire de la finitude, est cruciale dans la décision du divorce des seniors, et la repousse, bien souvent. «Après tant de temps ensemble, on ne s'imagine pas sans l'autre, on se dit que l'on va finir seul dans un EHPAD, analyse la psychologue spécialiste du couple, Véronique Kohn. On reste ensemble pour des raisons de sécurité et par peur.»
Eva, 68 ans, ne sait pas si c'est par crainte de la solitude ou celle de perdre la maison familiale, qu'elle a fermé les yeux sur les infidélités de Nicolas, son mari durant 40 ans. «Maintenant que j'y pense, tout était là devant moi, mais je ne voulais pas voir. Il ne rentrait que les weekends, avait un travail prenant, et moi je me réfugiais dans mon intérieur.»
 
Nicolas ne se retrouve pas dans ce couple mais ne songe pas un instant à divorcer. «J'avais un métier passionnant, je ne rentrais pas souvent, je faisais ce que je voulais. Je suis resté pour les enfants, et aussi pour ne pas faire souffrir Eva que je savais fragile. Je m'étais promis de divorcer une fois le dernier enfant parti de la maison». Finalement, ce sont les enfants qui le pousseront à avouer sa liaison. «Le monde s'est écroulé quand je l'ai appris mais malgré cela, je ne voulais pas que l'on se sépare, affirme Eva. Cela signifiait perdre la maison familiale et se retrouver seule à 60 ans.» Puis elle s'inscrit sur un site, rencontre l'amour et demande le divorce au bout de quelques mois. «Personne en s'attendait à me voir me relever si vite», s'étonne-t-elle.
 
Inégalités d'une vie
Eva a réussi à reconstruire sa vie grâce à sa retraite de directrice d'école et la vente de la maison. Mais pour beaucoup de femmes bénéficiant d'une pension de retraite inférieure de 40 % à celle des hommes, le divorce après 60 ans est un luxe. «C'est la longue histoire des femmes et de leur existence dans la société qui éclate de façon flagrante», s'insurge Anasthasia Blanché, pyschologue spécialisée sur la retraite et auteure de La retraite une nouvelle vie. Congés parentaux, mi-temps, déménagement pour suivre le conjoint, les décisions d'une vie se regrettent au moment du bilan. «Je n'aurais jamais dû arrêter de travailler pour lui et j'aurais dû partir avant, mais je craignais l'inconnu avec trois enfants en bas âge», confie Katia. C'est aussi le constat que fait Genna, 68 ans - dont le mari est parti du jour au lendemain - et en pleine procédure de divorce. «J'ai quitté mon travail d'ingénieure pour le suivre puis j'ai trouvé un travail à mi-temps pour m'occuper des enfants. Je ne regrette pas le temps que j'ai donné à mes enfants, mais les choix que j'ai faits pour lui», se désole-t-elle.
«La retraitée seule ne sert plus à rien, elle n'est pas désirable, pas désirée, pas regardée.» Anasthasia Blanché, pyschologue
Pour Cathy, 79 ans, ce n'est pas tant le déclassement économique mais sa place dans la société qui devient douloureuse lorsqu'elle divorce à 60 ans. «Avec un homme, une femme de cet âge existe, mais divorcée, elle n'est plus rien, affirme-t-elle. Au restaurant, on me donnait la pire place, celle au fond, à côté des toilettes.» Même constat chez Sara, qui affirme être devenue «invisible».
«La retraitée seule ne sert plus à rien, elle n'est pas désirable, pas désirée, pas regardée, commente la psychologue Anasthasia Blanché. On ne veut pas la voir, on craint qu'elle s'accroche à nous, qu'elle s'incruste.» Sans compter que leurs divorces posent la question de la sexualité des seniors, et demandent de considérer autrement «ces corps flétris que l'on ne veut pas voir», d'après Serge Guérin.
 
Malgré les regards et les peurs quant à l'avenir, une fois le pas franchi, ces femmes «découvrent une grande sécurité intérieure et une joie incommensurable lorsqu'elles réalisent qu'elles peuvent être autonomes», résume Véronique Kohn. Et beaucoup ne s'imaginent d'ailleurs pas revivre en couple. Sara l'assure : «je n'ai pas envie de m'occuper de quelqu'un. Je vis enfin la jeunesse que je n'ai jamais pu avoir.»�
 
 
Tous les prénoms ont été modifiés. 
 


19/01/2023
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