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Emmanuel Macron : «La transition écologique doit être rendue désirable et ne pas sembler irréalisable»

  • propos recueillis par Etienne Gernelle, Mathilde Siraud et Valérie Toranian, pour Le Point - août 2023
Entretien exclusif 2. Dette, fonctionnaires, nucléaire, climat… Le président explique ses choix. Sans oublier l’enjeu crucial de l’intelligence artificielle.
 
Emmanuel Macron restera-t-il dans l'histoire comme le président du «quoi qu'il en coûte» ? Ou, au contraire, comme un chef de l'État progressiste qui permettra à la France de basculer dans la modernité, en réduisant le chômage, en favorisant la réindustrialisation et en affrontant avec volontarisme l'urgence climatique et le dossier nucléaire ? À la croisée des chemins, le président répond aux questions qui fâchent depuis le fort de Brégançon où il a reçu Le Point pour un grand entretien.
 
Le Point : Sur l'économie, il y a un chiffre terrible : 700 milliards de dette publique en plus depuis 2017…
Emmanuel Macron : Pardon, mais comparons ce qui est comparable. Regardez ce qu'ont fait les Italiens et les Allemands par rapport aux Français. Je défends la politique qu'on a menée, avec des dispositifs par ailleurs inédits du fait des défis sanitaires ou économiques successifs que nous avons dû relever Nous avons permis à des entreprises industrielles, des commerçants et des artisans de tenir. Fallait-il les laisser faire faillite pour ensuite leur payer le chômage ?
 
Tout de même, si l'on se réfère à Eurostat, la dette publique française est passée de 98,5 % du PIB à 111,6 % entre 2017 et 2022. L'Allemagne, elle, est passée de 63,9 % à 66,3 % dans le même temps…
On est au-dessus de la moyenne de la zone euro, mais pas beaucoup plus. Et puis on a eu une politique de maîtrise de nos dépenses publiques. Dès 2017, on a baissé les impôts et les dépenses.
 
Ça a duré jusqu'en 2018…
Non, c'est faux, on a continué. J'ai répondu aux Gilets jaunes en baissant les impôts et n'ai pas cédé à la facilité de la dépense publique. Nous avons maîtrisé en dépenses courantes les dépenses publiques et avons opéré une baisse de 50 milliards d'euros d'impôts, moitié pour les ménages et moitié pour les entreprises, sous le précédent quinquennat. Entre 2017 et 2020, on n'a jamais baissé à ce point les dépenses courantes tout en baissant les impôts. Et on a continué jusqu'à la crise Covid, où l'État a absorbé le choc pour sauver l'économie. Je défends et j'assume totalement la politique de la dette Covid, car ce sont les leçons tirées de la crise financière de 2008. La dette a moins augmenté au cours du Covid que lors de la crise financière, alors que la récession était deux fois plus forte, et surtout, contrairement à la crise financière, l'appareil productif a été préservé et le chômage a continué à baisser. Et c'est en effet encore l'État qui a absorbé le choc lié à la guerre en Ukraine et à l'inflation pour aider les ménages, les entreprises, les collectivités locales, etc.
 
On a quand même le niveau de dépenses publiques le plus élevé de tous les pays industrialisés. Pouvons-nous vraiment faire le socialisme dans un seul pays ?
C'est une réalité que nous avons un haut niveau de dépenses publiques et que nous devons continuer à le faire baisser en commençant par réduire les dispositifs exceptionnels mis en place pour faire face à la crise des prix de l'énergie qui n'ont pas vocation à être durables. Et c'est pourquoi l'année prochaine, comme en 2018, les dépenses de l'État vont baisser de plus de 3 % en volume, c'est-à-dire en tenant compte de l'inflation. Nous commencerons à diminuer le poids de la dette en 2026 et repasserons sous les 3 % de déficit en 2027. Et quand je regarde la structure de nos dépenses publiques, au-delà des dispositifs de soutien exceptionnels face aux crises, d'où viennent les coûts ? De nos dépenses sociales, essentiellement.
 
Nous avons 5,3 millions de fonctionnaires, et il faut des mois pour faire un passeport
J'adore ce débat sur les fonctionnaires ! Les gros bataillons des fonctionnaires, en dehors des collectivités locales, ce sont les militaires, les enseignants, les soignants à l'hôpital, les magistrats, les membres de l'administration pénitentiaire, les policiers, ce ne sont pas ceux de l'administration centrale !

«On voit bien qu’entre les communes, les intercommunalités, les départements et les régions, on a trop de strates et un problème de clarté des compétences.»

Donc il faut plus de fonctionnaires ?
Non ! Je vois bien qu'on a besoin d'efficacité des services publics partout. Mais avons-nous eu une explosion du nombre de nos fonctionnaires ? Non ! En revanche, nous devons aller plus loin sur la réforme de l'État et de la fonction publique pour apporter un meilleur service aux Français. En mettant en place le prélèvement à la source, le paiement direct des pensions alimentaires ou MaPrimeRénov', nous avons simplifié la vie des Français et réalisé des économies, mais nous devons changer d'échelle. Et nous devons poser la question de l'organisation territoriale, qui est confuse et coûteuse, et dilue les responsabilités. On voit bien qu'entre les communes, les intercommunalités, les départements et les régions, on a trop de strates et un problème de clarté des compétences. Ces sujets aussi doivent pouvoir être mis sur la table à la rentrée.
 
Vous parliez des transferts sociaux…
C'est le cœur de la bataille, car la dépense sociale représente près de la moitié des dépenses publiques. En quarante ans, le coût de notre modèle social a explosé sous l'effet des dépenses sociales et notamment des transferts : RMI puis RSA, indemnités chômage, allocations logement, dépenses de santé et retraites. Il faut réduire ce qui relève des transferts curatifs par de la bonne dépense préventive. C'est ça, la politique qu'on mène : en mettant le paquet sur l'école, l'apprentissage, pour réduire le taux de chômage et améliorer le taux d'emploi, pour, par exemple, ne plus avoir de «ni-ni». On fait plusieurs milliards d'euros d'économies sur l'Unédic grâce à la baisse du chômage. Et avec la réforme des retraites, on augmente le temps au travail et donc la production globale. Si nous avions le même taux d'activité et le même taux de chômage que l'Allemagne, nous ne parlerions pas d'un problème de finances publiques.
 
Vous ne reconnaissez pas que cette réforme des retraites est insuffisante ?
Elle a permis de préserver le versement des pensions des retraites d'aujourd'hui et de demain, elle a amélioré la situation de millions de retraités modestes et elle accroît justement la quantité de travail, comme la réforme de l'apprentissage, qui est un succès de mon premier mandat, ou les réformes du lycée professionnel et de l'université que nous allons conduire. La majorité présidentielle et le gouvernement ont été courageux dans cette bataille.
 
La vraie réforme des retraites aurait été la réforme universelle, par points…
C'était la réforme la plus transparente et la plus juste et je salue le travail d'Édouard Philippe, qui l'a défendue et fait voter en première lecture à l'Assemblée, en 2020. Mais oserais-je rappeler qu'elle a suscité autant de rejet que celle que nous venons de voter ? De toute manière, on va y venir un jour, car c'est le sens de l'Histoire. En attendant, nous avons fait ce que les autres n'ont pas réussi à faire avant, c'est-à-dire supprimer les régimes spéciaux, ce qui est un premier pas vers un régime universel.
 
Enfin, avec la clause du «grand-père» ! Ceux qui ont été embauchés juste avant en bénéficieront dans plusieurs décennies, au moment de partir…
Oui, mais les nouveaux entrants, non ! Si quelqu'un avant moi avait fait ça, je n'aurais pas eu à le gérer ! Nous avons fermé le régime spécial de la SNCF et nous avons fait de même cette année avec ceux de la RATP et d'EDF. Nous avons désormais un système plus juste et plus solide, comme je m'y étais engagé. Et pour assurer pleinement les retraites de demain et d'après-demain, il faut créer plus d'emplois pour tous.

«Aucun pays n’a fait mieux que la France en matière de baisse du chômage, de croissance et d’attractivité ces six dernières années. On est numéro un en Europe sur ces trois critères.»

Alors cela signifie que les réformes du marché du travail ne sont pas finies…
Je ne saurais me contenter d'un taux de chômage à 7 % ! Mais je ne suis pas là depuis vingt ans. Quand je regarde les autres, je vois qu'aucun pays n'a fait mieux que la France en matière de baisse du chômage, de croissance et d'attractivité ces six dernières années. On est numéro un en Europe sur ces trois critères. Et ce n'est pas sans rapport avec les réformes que nous avons lancées.
Oui, nous devons continuer à faire davantage pour réduire notre chômage par tous les moyens.

«Il n’y a pas de fatalité. Moi je ne cède pas, je ne reviens pas en arrière malgré les crises, y compris en matière fiscale.»

On a toujours un énorme problème d'emplois non pourvus…
Parce qu'il faut assurer des incitations plus fortes à reprendre un emploi et continuer de réduire l'inadéquation entre l'offre et la demande. On passera de 7 % à 5 % de chômage en nous dotant d'un système d'assurance-chômage véritablement contracyclique – donc d'autant plus protecteur que le taux de chômage est élevé et inversement – et en allant chercher ceux qui sont au chômage de longue durée, et les plus éloignés de l'emploi. C'est tout le sens de la réforme de l'assurance-chômage et de France Travail. La bataille sur les finances publiques, c'est d'abord notre effort pour créer de l'activité. Il n'est pas de réforme plus efficace pour assurer la viabilité de nos finances publiques que celle des retraites. Il en est de même de toutes les réformes qui nous permettront, en travaillant davantage, de produire plus.
 
C'est pourquoi les réformes du marché du travail et toutes nos politiques industrielles sectorielles vont aussi en ce sens. Par exemple, pour la fin de mon mandat, nous avons déjà sécurisé la production d'au moins 1 million de véhicules électriques en France, alors qu'on avait beaucoup perdu dans ce secteur. Il n'y a pas de fatalité. Moi je ne cède pas, je ne reviens pas en arrière malgré les crises, y compris en matière fiscale, contrairement à nos habitudes en France.
 
Sur le nucléaire, au moins, vous avez varié…
Non ! Comme ministre de l'Économie, j'ai participé à redresser la filière nucléaire française, qui était dans une impasse. Areva était au bord du dépôt de bilan. Ensuite, nous lui avons redonné de la visibilité. Six mois après mon élection à la présidence, j'ai décalé de dix ans la cible de réduction à 50 % du nucléaire. Je disais déjà à l'époque qu'il fallait du nucléaire pour le climat comme pour l'indépendance énergétique. Puis, nous avons bâti du consensus avec le rapport de l'Agence internationale de l'énergie et du RTE (Réseau de transport d'électricité). Les experts ont conclu que la trajectoire en termes d'émissions de carbone n'était pas réaliste sans le nucléaire. Enfin, j'ai annoncé à Belfort des ambitions qui mettent fin à dix ans de dérives et vingt-cinq ans de non-investissement dans le cadre d'une stratégie énergétique globale : plus d'efficacité énergétique, plus de renouvelable, plus de nucléaire !
 
Puisqu'on parle de climat… C'est peut-être, avec l'intelligence artificielle, l'un des deux grands sujets de civilisation actuels. Sommes-nous à la hauteur des enjeux ?
Ce sont deux immenses révolutions qui soulèvent aussi des questions d'indépendance et de souveraineté. C'est un moment inédit dans l'histoire contemporaine de l'organisation de notre façon de produire. On réglera beaucoup de nos problèmes par l'innovation. Au moment où je vous parle, les Américains et les Chinois mettent des milliards et des milliards sur l'IA et les cleantech. Nous avons besoin d'investir beaucoup plus et d'être beaucoup plus efficaces. L'Europe a le choix : soit être un formidable marché de consommateurs riches et bien accompagnés par des transferts publics qui achèteront du Netflix, du ChatGPT, des voitures électriques et des panneaux solaires chinois et des technologies numériques américaines ; soit fabriquer sur son sol des véhicules électriques, et posséder des acteurs de l'IA. Il faut agir en Européens.

«L’idée de puissance européenne était vue comme une lubie française il y a encore cinq ans. D’un point de vue gramscien, la France a gagné.»

Et comment fait-on ?
Le cœur de la réponse, c'est un marché unique plus intégré, des investissements bien plus massifs, et acter le fait que nous sommes en compétition avec l'Amérique et la Chine. Avec l'IRA (Inflation Reduction Act), les États-Unis ont choisi de fait une stratégie non coopérative avec nous. Il faut en tirer les conséquences. Ces dernières années, la France a réussi à imposer la doctrine de l'autonomie stratégique, annoncée dans le discours de la Sorbonne en septembre 2017. Elle est désormais partout en Europe. L'idée de puissance européenne était vue comme une lubie française il y a encore cinq ans. D'un point de vue gramscien, la France a gagné. Nous avons d'ailleurs commencé à investir massivement, avec par exemple notre plan France 2030, notamment sur les industries vertes avec les batteries, l'hydrogène ou encore les semi-conducteurs… Maintenant, face à la révolution des cleantech et de l'IA, l'Europe doit faire plus vite, plus fort, et être plus unie.
 
Sur l'IA particulièrement, ne risque-t-on pas de laisser passer le train ? Les Français de Hugging Face, peut-être les plus en vue du secteur, ont leur siège aux États-Unis
 
Les Américains sont en avance, mais ils n'ont pas pour autant gagné la bataille. Si l'Europe sait réagir, on peut avoir notre propre modèle. C'est l'objectif que je vais poursuivre. On a commencé à créer des structures et à investir dans la recherche. Tout se tient, d'ailleurs. Pour les supercalculateurs, nous en avons déjà, mais, pour en avoir plus, il faut beaucoup d'énergie. Or la France est bien placée dans l'énergie décarbonée. On forme beaucoup de talents, mais on a besoin d'accélérer en formant davantage, et de beaucoup plus d’investissements.

«L’Europe ne peut pas être l’un des continents les plus vieux, avec le modèle social le plus généreux, qui en même temps produit le moins.»

D'investissements européens ?
Oui. Au moment du Covid, on a fait avec Angela Merkel ce qui n'avait pas été fait au moment de la crise de 2008, c'est-à-dire qu'on a créé de la dette commune. C'était une révolution copernicienne. Est-ce que l'Europe, qui a été un marché de consommateurs, se pense désormais vraiment comme une puissance ? On doit par exemple assumer de moins importer de véhicules chinois et de produire sur notre sol. L'Europe doit défendre sa capacité productive, militaire, géopolitique. On ne peut pas être l'un des continents les plus vieux, avec le modèle social le plus généreux, qui en même temps produit le moins. Ça ne marchera pas. Ce sujet des investissements communs européens dans le climat, la défense, l'IA est au cœur du projet européen à venir.

«Le radicalisme suscite toujours des réactions et crée des clivages dangereux pour la cause même que l’on entend servir.»

Sur le climat, le débat n'est pas que technique – comment faire – mais aussi très politique, avec l'essor d'un nouveau radicalisme, notamment dans la jeunesse…
Sur ce sujet, le débat se polarise à travers des prismes idéologiques. Nous sommes aujourd'hui face à un hyperindividualisme où chacun estime détenir seul la vérité, être la mesure de toute chose et incarner une pureté absolue. Et l'expression politique se mue alors en cri. La démocratie ne peut se résumer à un cri. Elle suppose de composer avec l'autre. Or, face à ces positions extrêmes, d'autres citoyens s'estiment dépossédés de ce qui constitue pour eux des droits : se déplacer en prenant leur voiture – souvent faute de pouvoir faire autrement –, chasser… Le radicalisme suscite toujours des réactions et crée des clivages dangereux pour la cause même que l'on entend servir.
Je plaide, moi, pour une écologie exigeante de progrès, de projet, de bon sens, de solutions, dans le cadre d'une planification reposant sur les analyses scientifiques, pour donner de la visibilité. Avec la planification, nous avons conduit un exercice d'une ampleur et d'une exhaustivité inédites, que nous allons décliner de manière territoriale et concrète à partir de la rentrée avec les Français, qui doivent être les premiers acteurs du défi environnemental. Agir, sans pour autant donner des leçons aux gens sur la vie qu'ils ont à avoir. On ne peut pas passer d'une décennie où on a dit aux gens : «Si vous êtes des bons Français, il faut que vous ayez un pavillon, avec un jardin» et le lendemain considérer que c'est un scandale d'avoir ce mode de vie.
La transition écologique doit être rendue désirable et ne pas sembler irréalisable. Sinon nous laisserons trop de monde sur le bord du chemin. Il faut expliquer vers où nous devons aller et responsabiliser plutôt qu'interdire. J'ai parlé en août dernier de la fin de l'abondance, cela a été une manière de préparer les esprits aux mois qui ont suivi, et qui ne m'ont pas démenti là où beaucoup ont ri ou critiqué les propos que j'avais prononcés. Mais l'hiver s'est fait sans coupures ni restrictions, car, en partageant les informations et les contraintes, nos compatriotes ont été responsables et ont agi. Il y a sur ce sujet un chemin frayé, un modèle que nous sommes en train de bâtir et qui sera une fierté française.�
  • Illustration : Emmanuel Macron au fort de Brégançon, le 17 août 2023. © Élodie Grégoire pour «Le Point»
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06/09/2023
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