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La social-démocratie a-t-elle encore un avenir ici?

  • par Jacques Julliard, pour Marianne - janvier 2023
On aura beau invoquer l’air du temps, où il est sans cesse question – trop – d’euthanasie et de suicide médicalement assisté, l’implosion en plein vol du Parti socialiste au cours des douze derniers mois a quelque chose de stupéfiant, de faramineux, de surréaliste.
 
On aura beau, encore, prétendre que cet accident particulier s’inscrit dans le contexte d’un recul général de la social-démocratie à travers l’Europe, on restera sceptique, car cela n’est pas vrai ; elle dirige, cette social-démocratie, les gouvernements d’Allemagne, d’Espagne, du Portugal, du Danemark, de Suède, de Norvège, et bientôt, sans doute, du Royaume-Uni : «Faites mieux» comme dirait Mélenchon.
Mais que la candidate socialiste, Anne Hidalgo, déjà maire de Paris, ce qui n’est pas rien, n’ait réuni que 1,75 % des suffrages exprimés au premier tour de la présidentielle du 10 avril 2022, l’épaisseur du trait qui la séparait de zéro, voilà qui aurait dû déclencher un vrai tsunami de réflexion, d’autocritique dans la mouvance socialiste : il n’en a rien été. Anne Hidalgo n’a pas remis en cause sa situation à la Mairie de Paris et s’apprête avec gourmandise, à ce que l’on dit, à jouer les premiers rôles aux jeux Olympiques de Paris en 2024. Comme on dit en sport, l’important n’est pas de gagner, mais de participer.
Il faut reconnaître à Olivier Faure, le premier secrétaire du PS, le mérite d’avoir sauvé les meubles et, en s’engageant dans l’opération Nupes, d’avoir permis au Parti socialiste de conserver un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale. Mais, ce faisant, il a épargné à celui-ci l’examen de conscience politique nécessaire.
Et maintenant, la comédie-bouffe de sa réélection contre le maire de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol, avec ces nuits torrides de dépouillement, de recomptage des bulletins, de communiqués croisés, d’accusations réciproques de bourrage des urnes et de fraudes en tout genre, dans la grande tradition du congrès de Reims (novembre 2008) qui avait vu Martine Aubry l’emporter sur Ségolène Royal par 50,04 % des voix contre 49,96 % : au moins, on ne dira plus que les femmes sont interdites des premiers rôles au PS, même si elles ne les jouent pas toujours très bien. À l’heure où j’écris, Nicolas Mayer-Rossignol n’a toujours pas reconnu sa défaite. À tort ou à raison, je l’ignore. Mais je sais qu’il est vain pour un parti qui se réclame du socialisme et de la démocratie de prétendre faire triompher l’une et l’autre quand on se montre incapable d’en respecter les règles dans sa vie intérieure.
Et pourtant, le PS, tel qu’il est aujourd’hui, efflanqué, amoché, cabossé, continue de jouer un rôle essentiel, d’abord par ses positions municipales, qui restent solides, à l’image du Parti radical sous la IIIe République, et parce qu’il demeure une sorte de point moyen de la vie politique française, ou, si l’on préfère, de fonds de sauce dans la cuisine nationale.
 
HOMME-ORCHESTRE
J’ai, jusqu’ici, parlé du Parti socialiste comme d’une social-démocratie. En rigueur de termes, c’est inexact. Dans la tradition du socialisme européen, et notamment allemand, belge ou autrichien, le parti social-démocrate est fortement articulé avec les syndicats et les coopératives pour former un ensemble compact et indissociable. Cette tradition, qui fait du PS l’expression tout-terrain et tous azimuts du socialisme ouvrier, est restée longtemps vivante dans le Nord et le Pas-de-Calais, ainsi que dans certains îlots du Massif central. Ailleurs, il se combine avec un mouvement beaucoup plus interclassiste, qui a fait de lui, classiquement, l’aile gauche du parti républicain, au sens qu’avait cette expression sous la IIIe République. Le PS, au faîte de sa puissance, c’est un peu Guesde et Clemenceau en un seul homme.
 
C’est pourquoi il a toujours eu besoin à sa tête d’un homme-orchestre qui ne venait pas de ses rangs mais qui lui permettait d’opérer une synthèse assez confuse et fortement personnalisée. Avant de devenir le leader tout-puissant du socialisme français, Jean Jaurès avait commencé sa carrière politique au centre gauche, parmi les républicains opportunistes ; Léon Blum, de son côté, dandy et critique littéraire, avait d’abord penché du côté de Proust plutôt que de Jaurès, avant que son discours sur la «vieille maison», au congrès de Tours, fasse de lui le chef de file de ceux des socialistes qui refusaient l’adhésion à la IIIe Internationale communiste ; François Mitterrand, enfin, avait été longtemps dirigeant d’un petit parti de centre gauche, l’UDSR (Union démocratique et socialiste de la Résistance), avant d’avoir à Épinay (juin 1971) son congrès de Tours et de se rallier à l’union à gauche avec les communistes.
 
Aujourd’hui, la gauche française a plus que jamais besoin d’une social-démocratie, alors que ses éléments populaires sont attirés par le populisme de Marine Le Pen, et ses éléments petits-bourgeois par le néocentrisme d’Emmanuel Macron ; elle a besoin d’une doctrine qui opère une nouvelle synthèse sociale, mais aussi intellectuelle, pour fédérer ses divers courants ; elle a besoin enfin d’un leader puissant, visionnaire autant que pragmatiste, pour donner consistance à ce mouvement. C’est à ces conditions seulement qu’elle retrouvera sa splendeur passée, ses électeurs, et permettra à la France de ne succomber ni à l’immobilisme ni à l’aventure. Vaste programme.�


04/02/2023
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