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«La loi immigration réveille le vieux clivage droite-gauche»

  • propos recueillis par Clément Pétreault, pour Le Point - décembre 2023
INTERVIEW. Et si le vote de la loi immigration interdisait toute réforme de la gauche sur le sujet ? Renaud Large, expert 
 
Une partie de la gauche française avait entrepris – avec prudence – une révolution programmatique sur les questions d'immigration. En filigrane : comment répondre à l'idée, ultra consensuelle dans l'opinion, que l'immigration doit être régulée ? Et surtout, comment renouer avec les classes populaires qui ne cessent de se détourner de la gauche élection après élection ?
 
Mais depuis le vote de la loi immigration avec les voix du RN, la donne a changé. Auteur d'une note remarquée sur le modèle social-démocrate et la gauche danoise à la Fondation Jean-Jaurès (janvier 2023), Renaud Large revient sur ce sujet qui plombe la gauche. Le tabou n'est pas près de tomber.
 
Le Point : Il y a un an, vous avez publié une note à la Fondation Jean-Jaurès, dans laquelle vous expliquiez que le durcissement de la réglementation sur l'immigration était un sujet parfaitement consensuel dans l'opinion. Comment expliquez-vous qu'il soit toujours aussi difficile de faire émerger sereinement ce sujet dans le débat politique ?
 
Renaud Large : Depuis plus de 40 ans, le sujet de l'immigration est très clivé entre une droite considérant la nationalité comme une rente, et une gauche estimant qu'il s'agit d'un dû. Il n'est pas étonnant que ce sujet réactive le clivage droite-gauche que l'on croyait – à tort – disparu. Depuis 20 ans, le clivage droite-gauche connaît successivement des phases d'affaiblissement et de renforcement. L'élection présidentielle de 2017 l'a fait reculer, les trois principaux candidats – Emmanuel Macron, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon – ayant structuré des offres politiques très transversales.
 
Au lendemain de l'élection présidentielle de 2022, on a vu naître trois blocs politiques : un conglomérat de droite fortement influencé par sa frange extrême, un conglomérat du centre et un conglomérat de gauche lui aussi tiraillé par une aile extrême. Je crois que cette tripartition de l'offre politique préfigurait le retour silencieux du clivage droite-gauche, au détriment de la majorité centrale.
 
Le Point Vous avez travaillé sur la gauche danoise, qui considère qu'il n'y a pas d'État providence sans cohésion sociale forte. Aurait-elle pu adopter un tel texte ? Aller plus loin ? Y a-t-il une inspiration danoise dans ce texte ?
 
 
Il ne me semble pas. À partir de 2015, les socio-démocrates danois ont d'abord travaillé sur les conditions d'intégration sociale des immigrés par un contrôle plus souverain de l'accès à la nationalité. Pour cela, ils sont revenus aux sources de la social-démocratie danoise, à la doctrine des années 1980 de leur parti. Le texte français se soucie relativement peu d'intégration en se concentrant soit sur des mesures qui rendent la vie impossible aux immigrés légalement admis en France, soit sur des régularisations pour raison économique.
 
Surtout, ce texte ne renoue pas avec la doctrine française historique. La France est une nation civique. L'accès à sa citoyenneté ne peut se faire sans adhésion à son projet philosophico-politique. Le décret du 26 août 1792 confère le titre de citoyen français à plusieurs étrangers ayant contribué, par leur volonté, à l'affranchissement de la nation. La conception française de l'immigration et de l'intégration n'est ni ethnique ni «économiciste».
 
 Le Point Depuis l'adoption de la loi sur immigration , la Nupes hurle au fascisme rampant. L'adoption d'une loi avec des voix du RN en fait-il un projet RN ?
 
Les voix du RN annihilent le projet politique porté par ce texte. Cela résulte d'une logique politique basique. Une majorité qui affirme avoir été élue pour lutter contre le RN se doit de pouvoir exercer le pouvoir sans le concours du RN… Cet événement brouille un peu plus la frontière politique qui existait entre majorité et opposition.
 

«La moitié des sympathisants de gauche réclame davantage de fermeté en matière migratoire. Cela n’empêche pas la coalition politique de gauche de ressortir renforcée par cet épisode parlementaire.»

 

La Nupes serait-elle devenue une «alliance à vocation minoritaire», comme le redoutait le chevènementiste Didier Leschi ?
 
Sur le sujet de l'immigration, la Nupes porte en effet une position minoritaire dans l'opinion française. Sa position sur l'immigration est faible, voire minoritaire, jusqu'au cœur de son propre électorat. En effet, la moitié des sympathisants de gauche réclame davantage de fermeté en matière migratoire. Cela n'empêche pas la coalition politique de gauche de ressortir renforcée par cet épisode parlementaire. Alors qu'elle était divisée sur de nombreux sujets et fort mal en point, elle s'est instantanément recristallisée autour de la régularisation des immigrés travaillant sur le sol français. À terme, Jean-Luc Mélenchon pourrait bien bénéficier d'une vitalité retrouvée, en dépit de sa «vocation minoritaire».
 
Il a existé dans la gauche française des traditions politiques qui plaidaient pour une meilleure régulation de l'immigration. Où sont-elles aujourd'hui ?
 
La gauche a eu historiquement une approche régulationniste de l'immigration, depuis les années 1920, et ce, jusqu'au début des années 1980. Les syndicats, dont la CGT en tête, souhaitaient codiriger l'office national de l'immigration pour contrôler les régularisations des travailleurs étrangers. L'objectif était d'abord de pouvoir intégrer correctement par le travail les immigrés. D'autre part, il s'agissait de ne pas exercer une pression déflationniste sur les salaires par la présence d'une «armée de réserve du capital», comme l'appelait Marx.
 
La gauche a abandonné cette approche au tournant des années 1980, pour ne jamais y revenir. Désormais, cette position n'existe plus, en dehors de quelques cercles intellectuels de gauche. Peut-être renaîtra-t-elle lors d'une prochaine éclipse du clivage droite-gauche traditionnel…�
 
  • Illustration : Renaud Large, expert de la Fondation Jean-Jaurès. @ DR
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 «La gauche a eu une approche régulationniste de l'immigration, depuis les années 1920. Les syndicats souhaitaient codiriger l'office national de l'immigration pour contrôler les régularisations des travailleurs étrangers. 


03/01/2024
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