2339-La gauche a perdu son âme 8 posts

ENTRETIEN. Dans un livre au vitriol, François Pupponi, l’ex-député et maire socialiste de Sarcelles, cogne sur « la gauche en perdition ».
 
Propos recueillis par Jérôme Cordelier et Michel Revol
Publié le 17/04/2023 Le Point
 
À force de céder à toutes les outrances, « la gauche a perdu son âme ». Dans un livre coup de poing, La Gauche en perdition (éd. du Cerf), François Pupponi règle ses comptes à toutes ces forces centrifuges, agrégées dans LFI, EELV et plus largement dans la Nupes, qui sont en train de tirer la gauche vers le bas. Haro sur les wokistes de tous poils, indigénistes, décolonialistes, néoféministes ! Ce social-démocrate de cœur, (très) fidèle strauss-kahnien – et qui le reste –, connaît bien le Parti socialiste de l'intérieur – il en a été longtemps membre –, mais il ne le reconnaît plus.
 
Député et maire de Sarcelles durant vingt-deux ans, il a vu de près aussi les liaisons dangereuses, sur le terrain, dans les cités de la banlieue parisienne, entre cette « nouvelle » gauche et des mouvements pro-islamistes qui sapent, par clientélisme électoral, le socle républicain. Aujourd'hui retiré de tout mandat, François Pupponi observe les dérives de la vie politique avec une ironie mordante, et un certain effroi. Il ne mâche pas ses mots, comme on va le voir dans cet entretien.
 
Le Point : Dominique Strauss-Kahn, dont vous êtes très proche, vient de publier une note très critique à l'égard de la réforme des retraites. A-t-il des comptes à régler avec le chef de l'État ?
 
François Pupponi : Non, aucun. Ils se connaissent, ils se sont fréquentés, mais il n'y a aucune inimitié entre eux. Dominique, qui conseille beaucoup de chefs d'État et de sociétés dans le monde, est souvent interpellé sur l'image que donne, en ce moment, la France. Il a considéré que sa responsabilité était de dire ce qu'il pense du pays. On est tous inquiets de ce qu'il peut se passer dans notre pays. Mais il ne faut pas surinterpréter ces propos.
 
A-t-il envie de revenir en politique, au moins de participer au débat ?
 
Il m'a toujours dit que non. Il a tourné la page, il a une autre vie, au Maroc. Il peut toujours changer d'avis, mais ce serait contraire à ce qu'il m'a assuré.
 
Un grand nombre de ses anciens conseillers travaillent avec Emmanuel Macron. DSK a-t-il une influence sur l'entourage du chef de l'État ?
 
Il s'intéresse toujours à la politique française, il a un avis, il a bien sûr des contacts avec certains ministres, qu'il connaît depuis longtemps. Mais la politique française n'est plus sa priorité.
 
 
Vous évoquez l'image inquiétante que la France donne à l'étranger. Quelles en sont les causes ?
 
Il y a les violences qui accompagnent certaines manifestations, et la manière dont le président Macron gère le dossier des retraites. À l'étranger, les gens se disent : « Les Français sont particuliers, on leur demande de travailler deux ans de plus, mais toujours moins que dans d'autres pays, et c'est la révolution ! » En France, tous mes interlocuteurs se demandent où on va. Chacun voit en effet qu'il n'y a pas de majorité à l'Assemblée nationale, que le président de la République se considère comme le patron parce qu'il a été élu et qu'il a un programme à respecter.
La question est donc : va-t-il persister dans cette logique au risque d'aller au clash à chaque fois, ou estimera-t-il que la donne a changé avec les législatives, ce qui le conduira à gérer différemment la France ? On verra bien quel Premier ministre remplacera Élisabeth Borne, parce que je pense que ses jours sont comptés, sauf si elle parvient à trouver une majorité.
 
Dans cette France bloquée, comprenez-vous le débat entre la légitimité des urnes et celle de la rue ?
 
L'avenir du pays se joue là. Le président de la République a raison, au fond : la manière dont s'est déroulée la réforme des retraites est conforme à la Constitution. Il n'y a pas eu de coup de force. Or, un parti comme LFI remet en cause les institutions : il prétend gagner dans la rue parce qu'il a perdu dans les urnes. Le chef de l'État joue aujourd'hui cette carte : le parti de l'ordre et du respect de notre République contre ceux qui veulent la renverser.
 
Le titre de votre livre est « La Gauche en perdition ». En quoi l'est-elle ?
 
Une gauche qui se bat dans l'hémicycle et qui, une fois qu'elle a perdu, affirme que la rue va prendre le pouvoir est une gauche qui se place contre les institutions. Celle à laquelle j'ai appartenu était respectueuse des règles de notre démocratie. Elle essayait de faire évoluer socialement le pays sans le braquer. C'était toute la conception social-démocrate de Dominique Strauss-Kahn. Aujourd'hui, cette gauche dit : « On se moque des institutions, si on n'a pas ce qu'on veut, on casse tout. » Ce n'est pas ma gauche.
Je suis persuadé que la gauche que Mélenchon représente amènera Le Pen au pouvoir
 
C'est le discours qu'on entend plutôt chez LFI, voire chez certains élus écologistes qui défilent à Sainte-Soline alors que la manifestation est interdite. Au sein de la Nupes, le PS et le PCF semblent plus respectueux du jeu institutionnel…
Évidemment, le PS n'affirme pas qu'il faut renverser les institutions. Mais pour garder une trentaine de députés à l'Assemblée, il s'allie avec Mélenchon qui, lui, est contre les institutions. Il vend son âme, mais à quel prix ? Olivier Faure a sauvé sa tête et celle de quelques responsables du PS avec cet accord, c'est tout. Le Parti socialiste a disparu, il ne reste plus que Mélenchon. Il a pris le leadership de la gauche avec une logique révolutionnaire. Il se prend pour Lénine en 1916.
 
Aujourd'hui, Mélenchon pense que le candidat de la macronie en 2027 ne sera jamais au niveau de Macron en 2017 et 2022. Il pense donc qu'il y a un coup à jouer. Mais je suis persuadé que la gauche qu'il représente amènera Le Pen au pouvoir. Quand on demande à des gens sensés, y compris de gauche, ce qu'ils feraient en cas de second tour Mélenchon-Le Pen, ils répondent régulièrement : « Pas Mélenchon ! » Le Pen n'est plus le repoussoir, Mélenchon l'est devenu.
 
La prospérité de Jean-Luc Mélenchon s'explique aussi par l'absence de concurrent à gauche…
C'est vrai. Il est bon, il a compris qu'une partie des Français n'en peuvent plus, qu'ils veulent renverser la table. Il a donc pris le leadership. Et il n'y a personne pour le lui contester.
 
On constate de plus en plus de contestations au sein de la Nupes. N'est-ce pas le début de la fin de ce mariage forcé ?
 
Je fais une analyse différente. Je pense que Jean-Luc Mélenchon est en train de figer son socle électoral, voire de l'augmenter. Une partie de ses électeurs aime ce gars qui veut prendre l'argent aux milliardaires. D'ailleurs, il ne s'écroule pas dans les sondages, même si ça tire un peu de tous les côtés dans la Nupes. Mais les députés PS ou EELV sont bien gentils : quand, dans quatre ans, il faudra sauver leur siège aux législatives, ils vont tous revenir en baissant la tête dans la Nupes ! Je n'ai aucun doute là-dessus. Ils peuvent pousser des cris effarouchés, comme avec la réintégration d'Adrien Quatennens dans le groupe LFI, ils continuent à être dans la Nupes. Et tant pis pour les valeurs.
 
C'est un piège dont ils n'arrivent pas à sortir ?
 
Non, ce n'est pas un piège. Ils assument. Un type comme Olivier Faure n'a pas d'idéologie. Il ne s'intéresse qu'à une chose, être réélu et garder son poste au PS. Ils font des gesticulations, mais c'est tout.
 
La révolution, le bruit et la fureur n'agissent-ils pas aussi comme un repoussoir ?
 
Pas pour 20 à 25 % de l'électorat. Cela fait des années que Jean-Luc Mélenchon est dans l'excès et la provocation, et il est toujours là. Rappelez-vous lorsqu'il provoque un policier en criant : « La république, c'est moi ! » On pense qu'il est fini, or il fait cinq points de plus à la présidentielle entre 2017 et 2022 !
 
Jean-Luc Mélenchon dispose-t-il aussi d'un socle communautaire, constitué auprès des populations musulmanes, notamment dans les banlieues ?
 
Oui, il est capable d'aller chercher des voix grâce à des accords avec les réseaux islamistes et en choisissant ses candidats. Ce socle électoral a été figé lors du vote de la loi sur le séparatisme [en août 2021, NDLR]. J'étais membre de la commission ad hoc sur le séparatisme, et les députés LFI, au premier rang desquels Alexis Corbière, défendaient le port du voile. À chaque mesure contre le voile et les réseaux islamistes, LFI montait au créneau pour les défendre, par des amendements.
 
Je l'ai vécu dans ma circonscription : les réseaux proches des Frères musulmans et de l'islam radical comme Milli Gorus ont tous basculé chez Mélenchon. Ces mouvements ont affirmé que Jean-Luc Mélenchon était le seul qui les défendait, considérant qu'ils vivaient dans une France islamophobe. Ce discours était aussi omniprésent chez les jeunes musulmans, qui fréquentent les mosquées rigoristes.
 
 
Certains comme Stéphane Le Foll estiment qu'un espace au centre gauche s'ouvrira en 2027, car Macron ne se représentera pas et que ses successeurs potentiels sont assez marqués à droite. Vous n'y croyez pas ?
 
J'ai du mal à l'imaginer aujourd'hui. Il faudrait qu'une personnalité émerge. Pour l'instant, le seul que je vois en capacité d'émerger, c'est Bernard Cazeneuve. Il a la stature d'un homme d'État, il rassure. Mais il aura face à lui, s'il se présente, des personnalités de la macronie avec le même profil, comme Édouard Philippe, avec lui aussi une stature d'homme d'État.
 
 
Vous ne voyez personne d'autre capable d'occuper cet espace ?Fabien Roussel, par exemple, semble émerger…
 
Non. Mélenchon a pris le dessus. S'il ne se présente pas en 2027, il ne laissera pas le Parti communiste reprendre le dessus. Mélenchon est un trotskiste. Il veut tuer les autres, c'est sa logique et sa culture. Il réalise le rêve de sa vie : il a tué le PS, il a tué le PC.
 
La social-démocratie semble mal en point. Qu'a-t-elle à dire aujourd'hui pour se relancer ?
 
Ce que dit DSK dans sa note sur la réforme des retraites : on ne peut diriger contre le peuple et sans les corps intermédiaires. Il faut plus de respect. C'est la force de la social-démocratie. On peut réformer la France, il le faut, mais pas n'importe quand ni n'importe comment. Les dirigeants se doivent de prendre en compte le pouls du pays. La réforme des retraites est indispensable, mais pas conduite de cette façon. Il faut une culture du dialogue et du compromis. Le PS social-démocrate est plus proche de Macron que de Mélenchon. N'oublions pas que Macron a été secrétaire général adjoint et ministre de Hollande. Mais il n'y a pas d'incarnation pour la défendre. 
 
         
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18/04/2023
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