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La France, eldorado des aides
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par Kamel Daoud, pour Le Point - février 2023
Dans son approche de l’immigration, sujet clivant, le pays ne doit pas se voiler la face sur le mythe qu’il incarne pour les candidats à l’asile.
Sujet sous monopole des radicaux, grand gisement d'affects et source de malaise : l'immigration. Mais cette fois, avec une curiosité d'auteur : quel est le pays source du flux migratoire ? Réponse : non pas le reste du monde, mais peut-être la France elle-même. La France des aides, des allocations, des soutiens sociaux, grand territoire des «boucliers», des chèques de l'État, des prestations, des «dispositifs», des financements, etc. Un sujet à traiter avec précaution, bien sûr quand on n'est pas spécialiste.
Mais, au-delà des chiffres exacts ou des mille qualificatifs de la subvention magique, il semble parfois que ce qui est à la source de l'effet d'appel migratoire, c'est autant la souffrance «d'ailleurs», que les aides «d'ici». Paradoxe bien français. Car, dans ce pays, on veut que l'État aide, soutienne, s'implique et subventionne et, en même temps (formule boiteuse dorénavant), on refuse de voir que c'est justement ce qui fait son attrait migratoire. Si on veut y accéder par tous les moyens possibles, et de partout où le monde se porte mal et parle un peu français, c'est parce que ce pays aide beaucoup. Énormément.
Pas la terre rêvée du self-made-man. La dépense sociale est mal ventilée, disent les spécialistes. Elle va là où il ne faut pas et ne touche pas les plus défavorisés, mais elle est bien présente. Le système fonctionne de manière bancale, mais le «chèque social» est là, dans les imaginaires, dans le récit du pays, dans les rêves de ceux qui le regardent de loin. La vocation de subvention, que l'on assimile en France plus qu'ailleurs à l'État et à son utilité, est réclamée parfois avec violence, mais on ferme les yeux sur la force de séduction qu'elle exerce sur les sinistrés du reste du monde. On revendique l'utopie du confort pour soi, mais on s'y retrouve serrés avec d'autres, venus d'ailleurs, comme dans un bus gratuit. On veut une utopie de l'assistanat, mais on refuse que cette utopie puisse, entre autres conséquences, attirer tant de monde.
«On peut se loger "en attendant", se faire soigner sans payer, se faire payer sans travailler, manifester pour obtenir encore plus… Voilà ce que raconte le mythe.»
Et il faudra peut-être un jour le dire franchement : pour traiter de la question migratoire et ne pas la laisser entre les mains des radicalités et des populismes, en discuter le bénéfice comme le désastre, il faudrait une réflexion franche concernant l'image de la France dans l'esprit des migrants. Ce pays où l'on peut se loger «en attendant», se faire soigner sans payer, se faire payer sans travailler, manifester pour obtenir encore plus et manger sans se fatiguer. Ce pays où l'on a plus de privilèges d'aides quand on travaille moins, où celui qui paye le moins d'impôts a le plus de droits. Voilà ce que raconte le mythe. Des stéréotypes parfois, mais aussi un puissant moteur.
Toujours est-il que cette «utopie» du social très payant attire énormément, et pas vraiment les meilleurs ; elle fausse l'accueil et son sens, pèse sur l'avenir et les idéaux de solidarité. La France, pour l'immense majorité des candidats à l'asile, n'est pas la terre du self-made-man qui entreprend, mais le rêve du «soutenu» ou du débrouillard, expert en réglementation d’aides.
Quand on a grandi, comme l'auteur, dans un pays qui vit sur la rente du pétrole et du gaz que le «Pouvoir» ventile en fonction des menaces de révoltes et des clients politiques, on sait l'effet désastreux de l'assistanat sur les âmes, l'économie, la concurrence, l'effort, la justice et le travail. La France est un pays sans pétrole, bien sûr, mais il fait rêver tout autant. Pour sa justice et pour sa liberté, mais aussi et surtout, pour ses aides.
