2352- L'Allemagne débranche le nucléaire, échec et mat pour le climat 2 posts

 L’Allemagne débranche le nucléaire ce samedi, le climat attendra

  • par Pascale Hugues, correspondante à Berlin pour Le Point - avril 2023
En comptant sur le gaz et le charbon pour compenser les défauts des énergies renouvelables, Berlin fait un choix opposé à celui de Paris.
 
«Éteindre !» C'est l'ordre que les militants de Greenpeace, ravis, ont projeté en grosses lettres sur les tours de refroidissement de la centrale nucléaire Isar II en Bavière. Celle-ci est l'une des trois dernières centrales encore en activité en Allemagne, qui seront débranchées ce samedi à 23 h 59 tapantes. Un moment historique qui signe l'abandon total du nucléaire par Allemagne, mais marque aussi la fin d'un débat de société qui déchire le pays depuis plusieurs décennies, et une grande victoire pour le parti des Verts.
 
Des générations de jeunes Allemands ont fait leurs premières armes militantes dans les manifestations contre l'atome, surtout après l'accident, vécu comme un traumatisme, de la centrale nucléaire soviétique de Tchernobyl en 1986. Au tournant du siècle, la décision de sortir du nucléaire fut prise par le gouvernement SPD-Verts du chancelier Gerhard Schröder. Demi-tour quand les conservateurs reviennent au pouvoir avec Angela Merkel, en 2005 : ils font machine arrière et décident de prolonger la durée de vie des centrales. Nouvelle volte-face après l'accident de Fukushima, en 2011 : Angela Merkel opte pour la sortie du nucléaire et s'engage à promouvoir les énergies renouvelables.
 
Finalement, il fut décidé que toutes les centrales seraient débranchées à la fin 2022. Mais la guerre en Ukraine et la fin de l'approvisionnement en gaz russe, dont l'Allemagne était fortement dépendante, forcent Berlin à reporter ses plans de quelques mois. Pour être en mesure de faire face à d'éventuelles pénuries durant l'hiver, la coalition regroupant sociaux-démocrates, libéraux (FDP) et Verts décide à l'automne dernier de prolonger la durée de vie des trois dernières centrales jusqu'au 15 avril 2023.
 
Isolée en Europe
Avec 0 % de nucléaire dans son mix énergétique (alors que la plupart des pays industrialisés sont à 15-20 %), l'Allemagne se retrouve isolée en Europe, entourée de pays comme la France, la Finlande, la Grande-Bretagne, la Suède et la Pologne qui, au contraire, ont décidé de se lancer dans la construction de nouvelles centrales. Aucun pays au monde, observent les Allemands, n'investit autant dans l'énergie nucléaire que la France alors qu'Emmanuel Macron annonce la « renaissance du nucléaire français».
 
Ce cavalier seul allemand soulève de multiples questions. La première : l'Allemagne peut-elle se passer du nucléaire pour assurer son approvisionnement énergétique ? Certes, en 2022, les trois dernières centrales ne représentaient plus que 6 % du mix énergétique de l'Allemagne (contre 31 % pour le charbon, 14 % pour le gaz et 44 % pour les renouvelables), mais elles constituaient une soupape de sécurité.
 
Si l'ambitieux projet de transition énergétique porte ses fruits, il n'en reste pas moins que le développement des énergies éolienne (22 % de la production d'électricité l'an dernier), photovoltaïque (10,5 %) et de la biomasse (7,7 %) est encore trop lent. Selon Olaf Scholz, l'Allemagne devrait installer quatre à cinq éoliennes par jour pour être à même de couvrir ses besoins. On est loin du compte. «Nous contrôlons la situation, a beau promettre Robert Habeck, le ministre Vert de l'Économie, notre système énergétique sera différent d'ici à 2030. Nous aurons 80 % d'énergies renouvelables.»
 
Charbon et gaz
Mais l'inquiétude subsiste sur la fiabilité de l'approvisionnement de ces sources d'énergie dépendantes des conditions météorologiques. En novembre et décembre dernier, par exemple, sans soleil et sans vent, l'Allemagne s'est rabattue sur le charbon. En 2022, un tiers du mix énergétique était constitué par le charbon (en hausse de 8 % par rapport à l'année précédente) – une hausse qui, pour les défenseurs du nucléaire, est une conséquence directe de la mise en arrêt des centrales. Le gouvernement argue au contraire qu'il s'agissait de compenser l'absence de gaz russe.
 
L'Allemagne va donc devoir continuer à avoir recours au charbon et au gaz, deux sources d'énergie très polluantes. En 2022, l'Allemagne a généré 494 grammes de CO2 par kilowattheure pour produire son électricité, contre 83 grammes pour la France. La sortie du charbon étant prévue pour 2038, un grand nombre de centrales devraient cesser leur activité dès 2030. Quant au gaz dont on voulait se passer, il va falloir construire de nouvelles centrales fortement subventionnées par l'État.
«C’est une journée noire pour le climat.» Le parti chrétien-démocrate CDU.
Impossible, dans ces conditions, de réduire les émissions de gaz à effet de serre pour atteindre l'objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050. Un blâme pour ce pays qui se veut pionnier en matière de protection du climat. Un vrai dilemme aussi dont les Verts, en particulier, ont du mal à se dépêtrer. Car l'Allemagne est, après la Pologne (867 grammes de CO2 par kilowattheure), le second pays le plus polluant d'Europe. Un piètre bilan. «C'est une journée noire pour le climat», commente le parti chrétien-démocrate CDU, dans l'opposition, qui plaide pour le prolonger les centrales nucléaires au moins jusqu'à 2024.
 
28 % des Allemands soutiennent cette décision
«À l'étranger, ironise Friedrich Merz, le chef de la CDU, vous ne trouverez pas grand monde qui comprenne qu'alors que nous traversons la plus grave crise énergétique depuis des décennies un pays décide de débrancher trois centrales très sûres et peu polluantes pour se rabattre sur le charbon et sur le gaz.» Des critiques fusent aussi du côté des entreprises, qui redoutent des pénuries d'approvisionnement et une flambée des prix déjà élevés malgré la baisse du prix du gaz. Peter Adrian, président de la Chambre de commerce et d'industrie allemande (DIHK), réclame qu'on laisse les dernières centrales nucléaires en activité jusqu'à la fin de cette crise.
 
Avec la guerre en Ukraine et la grande peur au début de l'hiver de devoir faire face à des coupures de courant et à des factures d'électricité astronomiques, beaucoup d'Allemands ont révisé leur position et repensé leur aversion au nucléaire. Le consensus antiatome, avec son illustre slogan «Atomkraft, nein danke !» (l'atome, non merci !), est-il en train de se fissurer ? Un récent sondage de l'Institut Forsa indique que les deux tiers des Allemands sont contre l'arrêt des trois dernières centrales ce samedi. 43 % sont pour leur prolongation et 25 % aimeraient que les centrales déjà débranchées soient remises en service. Seulement 28 % des Allemands soutiennent la décision prise par le gouvernement d'Olaf Scholz. Une volte-face qui ne manque pas d'ironie au moment où le pays fait des adieux si longtemps revendiqués au nucléaire. Il n'y a que les sympathisants des Verts qui soutiennent majoritairement cette décision historique. Ceux-là ont prévu de fêter leur 'victoire' ce samedi.�


29/04/2023
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