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Jérôme Fourquet : «Insécurité, école, santé... Que peut faire Gabriel Attal dans une France qui s’affaisse?»

  • par Alexandre Devecchio, pour Le Figaro - janvier 2024
ENTRETIEN - Le nouveau premier ministre gouvernera dans un pays dont l’état s’est considérablement dégradé depuis vingt ans, analyse le directeur du département opinion et stratégies d’entreprise de l’Ifop.
 
Le Figaro. - La nomination de Gabriel Attal à la tête du gouvernement a suscité l’enthousiasme chez une partie des éditorialistes. Cet enthousiasme est-il partagé par les Français ?
 
Jérôme Fourquet. - Un remaniement non anticipé, portant de surcroît à Matignon un très jeune premier ministre, ne pouvait que susciter l’intérêt des éditorialistes et des commentateurs politiques ! Comme souvent, l’effet dans l’opinion est moins effervescent. D’après un sondage Ifop/Fiducial pour Sud Radio, 53% des Français sont toutefois satisfaits de la nomination de Gabriel Attal, ce qui, dans un contexte marqué par une profonde défiance vis-à-vis des responsables politiques, n’est pas négligeable. La cote de satisfaction du nouveau premier ministre se situe 7 points au-dessus de celle d’Élisabeth Borne lors de son entrée en fonction. Gabriel Attal bénéficie ainsi d’un a priori positif dans une partie de l’opinion mais, comme souvent, les Français jugeront aux actes, et les prochains mois seront décisifs en la matière.
Les adeptes de feux de cheminée et de barbecues savent que certaines essences de bois «font de la flamme», alors que d’autres «font de la braise». La nomination surprise de ce jeune premier ministre et le débauchage de la pétulante Rachida Dati ont eu pour l’instant médiatique l’effet escompté : ils ont «produit de la flamme». L’avenir dira si ce gouvernement peut efficacement apporter des réponses aux Français et «produire de la braise» sur la durée.
 
Le style et l’activisme de Gabriel Attal peuvent rappeler ceux de Nicolas Sarkozy lorsqu’il était ministre de l’Intérieur en 2002. Ce mélange de communication et de volontarisme peut-il fonctionner vingt ans après ?
 
Depuis sa nomination, Gabriel Attal a souvent été comparé à Emmanuel Macron lors de sa conquête du pouvoir, en raison de sa jeunesse et de sa volonté de dépasser le vieux clivage gauche-droite. Mais de mon point de vue, ses tout premiers jours font davantage penser à l’arrivée de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur en 2002 sous la présidence de Jacques Chirac. Même stratégie d’occupation de l’espace médiatique par la multiplication des déplacements sur le terrain (un chaque jour depuis sa nomination), même volonté d’aller au contact des Français, équipe de conseillers restreinte mais soudée et dévouée à leur chef.
 
Et par-delà ces ressemblances de forme et de stratégie, le parallèle et les emprunts s’observent également dans les mots et les concepts : attention portée aux classes moyennes, éloge du travail et de l’ordre, mobilisation contre ceux qui fraudent et abusent, volonté d’obtenir rapidement des résultats, approche pragmatique et «non partisane» des problèmes… La nomination de Rachida Dati au gouvernement nous renvoie également symboliquement aux années Sarkozy.

«Signe de l’aggravation de l’insécurité, on comptait 50.000 détenus en 2002, contre près de 75.000 aujourd’hui (auxquels il faut ajouter environ 14.000 individus sous bracelet électronique - dispositif qui n’existait pas à l’époque).»

Cette stratégie vintage peut-elle fonctionner ? La méthode et le style de Nicolas Sarkozy lui avaient permis, on s’en souvient, de s’imposer dans son camp, puis de remporter l’élection présidentielle. Mais, tels des spectateurs d’une représentation de magicien ou de bateleur ne se laissant plus impressionner par des tours et des numéros qu’on leur aurait déjà joués et présentés, beaucoup de Français ont gardé en mémoire ces premières années Sarkozy et ne sont plus prêts aujourd’hui à signer un chèque en blanc et à accorder spontanément leur confiance. La situation du pays est par ailleurs nettement plus dégradée qu’en 2002-2003, tant sur le plan financier, éducatif que sécuritaire.
 
À l’époque, l’endettement public n’atteignait «que» 1000 milliards d’euros contre 3000 aujourd’hui. En 2003, la France pointait à la 16e place du classement Pisa en mathématiques, elle se situe aujourd’hui au 22e rang. Et, signe de l’aggravation de l’insécurité, on comptait 50.000 détenus en 2002, contre près de 75.000 aujourd’hui (auxquels il faut ajouter environ 14.000 individus sous bracelet électronique - dispositif qui n’existait pas à l’époque). Dans ce contexte, s’il veut redresser le pays et convaincre les Français, l’énergie et la détermination dont devra faire preuve Gabriel Attal devront être démultipliées par rapport à celles d’un Nicolas Sarkozy au début des années 2000.
 
Dès son discours d’intronisation, Gabriel Attal s’est adressé aux classes moyennes. Qu’est-ce que cela révèle ?
 
Évoquer ou s’adresser aux classes moyennes constitue une figure quasi imposée du discours politique. De manière assez constante d’après les enquêtes, près des deux tiers des Français s’identifient aux classes moyennes dans leur périmètre élargi (de la classe moyenne inférieure aux classes moyennes supérieures). Indiquer que l’on souhaite mettre au cœur de son action les classes moyennes, c’est donc assez payant pour un responsable politique, puisqu’il s’adresse potentiellement à la plus grande partie de la population. On se souvient ainsi par exemple du titre resté célèbre d’un livre de Valéry Giscard d’Estaing, Deux Français sur trois, qui visait précisément à parler au cœur central de la société qu’étaient et que sont toujours les classes moyennes.
 
Par-delà la prise en compte de cette réalité statistique, mettre l’accent sur les classes moyennes constitue également un signal subliminal envoyé à l’électorat de droite (la gauche évoquant préférentiellement les «catégories populaires» ou les «plus modestes»). En ce sens, nous avons là un indice supplémentaire du déplacement vers la droite du centre de gravité idéologique du macronisme, qui s’est spectaculairement traduit électoralement lors de la présidentielle de 2022, 37 % de l’électorat filloniste de 2017 ayant voté Macron au premier tour en 2022.
 
Dans un contexte d’archipélisation politique, la conquête des classes moyennes est-elle un impératif ?
 
Pour Gabriel Attal, s’adresser prioritairement aux classes moyennes revêt enfin un troisième objectif : tenter d’élargir l’assise sociologique du camp présidentiel dans la perspective des prochaines échéances électorales. En 2022, les catégories populaires se sont très préférentiellement partagées entre le RN et la gauche, et le recul de deux ans de l’âge de départ à la retraite a encore éloigné les ouvriers et employés du macronisme. Dans ce contexte, et sachant qu’Emmanuel Macron a sans doute déjà fait le plein dans les beaux quartiers et parmi les cadres du privé (42% d’entre eux ont voté pour le président sortant au premier tour en 2022), la seule marge de progression réside parmi les classes moyennes.
 
Le cœur de celles-ci est composé de ce que l’Insee appelle les «professions intermédiaires» (techniciens, agents de maîtrise, contremaîtres, emplois de catégorie B de la fonction publique…) qui se sont partagées entre Macron, Mélenchon et Le Pen, qui y a significativement progressé ces dernières années. Tenter de préempter la thématique des classes moyennes, serait aussi pour Gabriel Attal une façon de freiner la dynamique frontiste à quelques mois des élections européennes.
 
Le début de l'«ère Attal» est déjà marqué par la polémique autour de l’école déclenchée par la nouvelle ministre, Amélie Oudéa-Castéra, qui scolarise ses enfants dans un lycée privé réservé à une petite élite. Cette polémique peut-elle avoir des conséquences dans l’opinion ?
 
Les premiers propos de la nouvelle ministre ont heurté et irrité les enseignants du public, mais aussi une partie des Français. Cette polémique va laisser des traces et rendre plus difficile la prise de poste d’Amélie Oudéa-Castéra à la tête de ce ministère, qui vivait déjà assez mal le fait que Gabriel Attal ait quitté le poste au bout de seulement cinq mois et que la nouvelle ministre soit aussi en charge des sports et de la préparation des Jeux olympiques.

«Dans un vieux pays égalitaire, la baisse de niveau dans l’école publique et l’émergence d’un enseignement privé constituent un changement profond et un sujet politique majeur.»

 
Hormis l’effet négatif sur les relations entre la ministre et les enseignants, cette polémique installe encore davantage dans l’opinion l’idée d’une école à deux vitesses, avec un enseignement public qui se dégrade et où vont la très grande majorité des élèves et certains établissements privés d’excellence, dans lesquels les familles les plus aisées et les membres de la nomenklatura française scolarisent leurs progénitures. Pap Ndiaye, ancien ministre de l’Éducation, avait inscrit ses enfants à la prestigieuse École alsacienne, où fut scolarisé Gabriel Attal, et les enfants de la nouvelle ministre de l’Éducation étudient eux à Stanislas. Ce qu’on a appelé la «guerre des deux écoles» a constitué, du milieu du XIXe siècle aux années 1980-1990 (projet de loi Savary en 1984 et projet de réforme de la loi Falloux en 1994), un sujet d’affrontement politique majeur en France.
 
Sauf qu’à l’époque, cette opposition entre les deux systèmes se basait avant tout sur une opposition philosophique et religieuse et mettait aux prises les tenants de l’école laïque et les partisans de l’enseignement catholique. Aujourd’hui, le clivage est avant tout sociologique et le choix du privé se fait prioritairement sur des considérations ayant trait au niveau des établissements sur fond d’une compétition scolaire de plus en plus en vive. On notera d’ailleurs qu’Amélie Oudéa-Castéra n’a absolument pas évoqué d’éventuelles convictions religieuses familiales comme raison au choix de l’école Stanislas.
 
 
La question de l’école et plus largement des services publics et de leur efficacité va-t-elle être au cœur du débat ces prochaines années ?
 
Dans un vieux pays égalitaire et dans lequel le pacte républicain a reposé historiquement sur la possibilité offerte à une partie des enfants de paysans et d’ouvriers de s’élever socialement par le truchement d’une école de qualité, la baisse de niveau dans l’école publique et l’émergence d’un enseignement privé s’apparentant désormais davantage à ce que l’on connaît dans les pays anglo-saxons qu’à la vieille «école catho», constituent un changement profond et un sujet politique majeur.
 
Le même phénomène s’observe dans le domaine de la santé. Les Français font face à la désertification médicale (qui concerne aujourd’hui également les zones urbaines) et constatent les difficultés croissantes dans lesquelles l’hôpital public est plongé, avec notamment comme point focal la dégradation de la situation des urgences. Les habitants des îlots les plus favorisés de l’archipel français contournent ces difficultés via le recours aux cliniques privées, à leur carnet d’adresses et à leurs relations pour obtenir rapidement un rendez-vous chez un bon médecin. Mais la grande majorité de nos concitoyens ne peut faire appel à ce type de solutions et est cantonnée à subir la dégradation de notre système de santé. Et ce n’est sans doute pas un hasard si le thème de la santé se situe en tête des sujets prioritaires et des préoccupations des Français dans les sondages.
 
La quadrature du cercle sera des plus difficiles pour le nouveau gouvernement, dans la mesure où la réponse traditionnelle a longtemps consisté à promettre des budgets supplémentaires pour l’école, l’hôpital ou tout autre service public en difficulté (on ne compte plus le nombre de «Grenelle» et de «plans Marshall» annoncés au cours des dernières années). Or le niveau des prélèvements obligatoires atteint aujourd’hui des sommets en France (48 % du PIB contre 41 % en moyenne dans l’UE) et rend très compliquée l’option d’une augmentation des dépenses publiques qu’il faudrait financer par de nouveaux impôts.
 
Les classes moyennes, que Gabriel Attal souhaite mettre, on l’a vu, au cœur de son action, considèrent qu’elles contribuent fiscalement beaucoup, perception qui n’est certes pas nouvelle. Ce qui l’est davantage, c’est qu’elles constatent parallèlement une dégradation de nos services publics et qu’elles ont de plus en plus le sentiment de ne pas «en avoir pour leur argent». La réforme de l’État et la lutte contre la bureaucratisation devront être une priorité du nouveau gouvernement s’il entend dégager des marges de manœuvre indispensables pour répondre aux attentes de ces classes moyennes.�
  • Illustration : Jérôme Fourquet est notamment l’auteur de La France d’après. Tableau politique (Seuil, 2023). @ Eric Garault pour Le Figaro Magazine
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24/01/2024
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