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Jérôme Fourquet analyse le bouleversement de la société 

 NOUS NE REVIENDRONS PAS AU VIEUX CLIVAQGE GAUCHE/DROITE

 

Les événements internationaux et nationaux se bousculent, inquiétant la population et désarçonnant les politiciens car la société française a considérablement changé et l'on n'en a pas vraiment pris conscience. Le sociologue et politologue Jérôme FOURQUET vient de publier "La France d'après", un livre de base indispensable pour savoir où nous en sommes tous.

Corse-Matin du dimanche 15 octobre publie un entretien dans lequel Jérôme FOURQUET consacre une partie à l'évolution de la société corse.C'est ce que reprend ce 7 janvier 2024 L'entretien de Jérôme Fourquet dans la Dépêche du Midi

 

Dans "L'archipel français" paru en 2019, l'auteur avait évoqué la vague des prénoms corses.

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Propos recueillis par Samuel RIBOT

Dans « La France d'après », le politologue démontre que le vote n'obéit plus à des traditions régionales. Selon lui, le pouvoir d'achat, le mode de vie, la sécurité et l'accessibilité des services publics jouent désormais un rôle déterminant.

 

 

On pensait que le Big Bang politique s'était produit avec l'élection présidentielle de 2017. Mais vous le situez plus en 2022. Pourquoi ?

 

Je parlerais plutôt d'activité sismique, avec un premier tremblement de terre en 2017 puis une réplique en 2022.

En 2017, on a le surgissement d'un candidat inconnu des Français trois ans plus tôt, qui va être élu en défiant toutes les lois de la science électorale. Marine Le Pen est au second tour et on assiste à la dégringolade du Parti socialiste, avec les 6,5 % de Benoît Hamon.

2022, c'est la réplique du premier tremblement de terre : un duel Macron-Le Pen qui s'est installé, un PS qui continue sa descente aux enfers avec 1,7 % pour Anne Hidalgo et, alors que François Fillon avait fait près de 20 % en 2017, un score catastrophique pour Valérie Pécresse (4,5 %). Les deux grands partis qui ont organisé notre vie politique depuis 50 ans se retrouvent donc à 6 % en score cumulé...

 

 

La société de l'après-guerre était encore dominée par l'Église, d'une part, et les partis, dont le parti communiste, d'autre part. Quelles sont les conséquences de leur effondrement ? 

 

Si on remonte quelques décennies en arrière, on avait encore sous les yeux une France « Don Camillo contre Peppone », avec d'un côté l'Église catholique et de l'autre les communistes. En 1960, 35 % des personnes interrogées disaient aller à la messe le dimanche et 25 % des électeurs votaient communiste au niveau national à chaque grande élection.

Aujourd'hui, 3 % des Français vont à la messe et le candidat communiste, Fabien Roussel, a fait 2,5 % à la présidentielle. En 60 ans, soit à peine deux générations, ces deux blocs structurants ont perdu leur influence sur la société.

 

Jérôme Fourquet par Hermance TRIAY.

Jérôme Fourquet par Hermance TRIAY.

 

Vous évoquez le cas de la Corse pour illustrer des bouleversements culturels et sociétaux qui trouvent une traduction directe dans les urnes, avec l'arrivée des nationalistes au pouvoir…

 

Il faut d'abord remonter à l'effondrement des « clans ». Le paysage politique corse a longtemps été structuré autour de grandes familles - Zucarelli, Giacobbi et Rocca-Serra - qui ont exercé le pouvoir et les responsabilités en gros depuis le XIXe siècle jusqu'aux années 2010. Mais ce système correspondait à un état donné de la société : une Corse très rurale, pieuse, dépendante des services publics.

 

Or, à compter des années 1980, cette société est rentrée dans la post-modernité. Les villages se sont dépeuplés, la matrice catholique s'est effondrée - ce que montrent très bien les taux d'IVG et de divorce -, l'agriculture a été supplantée par d'autres activités et les zones commerciales, logistiques et pavillonnaires ont explosé.

 

Le clanisme était la traduction électorale d'une société corse organisée selon un modèle traditionnel, canton par canton, avec une dominante agricole. Ces grandes familles tiraient par ailleurs une partie de leur pouvoir dans leur capacité à intermédier avec Paris. Cet équilibre social, culturel et économique a volé en éclats au cours des trente à quarante dernières années. La disparition de ce substrat duquel ces familles tiraient leur légitimité a permis aux nationalistes d'accéder au pouvoir. Leur succès est donc aussi lié à ce bouleversement de la société corse.

 

 

Jérôme Fourquet analyse le bouleversement de la société corse (et française)

 

Notre société est touchée par un phénomène de décivilisation et une individualisation croissante, estimez-vous. Avec quelles conséquences ?

 

On observe que les profs, par exemple, disent avoir beaucoup plus de mal à tenir leurs classes que dans les années 1960, que les incivilités se multiplient dans les transports, les hôpitaux, sur la route.

L'individu, qui est aujourd'hui traité successivement comme un enfant-roi puis un client-roi, qui n'a pas appris à gérer sa frustration, se croit autorisé à « péter un câble ».

Tous les métiers qui sont au contact de la clientèle racontent la même expérience. Cette évolution produit des effets très sensibles dans la société et cela entraîne des conséquences électorales, avec une prime aux partis qui se réclament de la loi et de l'ordre.

 

 

Entre 2002 et 2022, tous les indicateurs montrent une « vague bleu marine ». Vous notez que le RN a su s'emparer de problématiques populaires, comme la disparition des services publics ou le pouvoir d'achat...

En 2002. Jean-Marie Le Pen fait 18 % au second tour, 20 ans plus tard sa fille fait 41,5 %. Si on suit ce que j'appelle « la diagonale bucolique », qui va du sud de l'Aveyron jusqu'en Bretagne et qui vote historiquement très peu FN-RN, on est passé dans le même temps de 10 % à 35 % des voix. Or, dans ces régions, les gens parlent salaire, pouvoir d'achat, disparition des services publics, insécurité et immigration. Et durant les vingt dernières années, sous l'impulsion de Marine Le Pen, le FN devenu RN a justement ajouté à ses thèmes « historiques » ceux du salaire et du pouvoir d'achat. Un discours critique d'autant plus facile à tenir que le RN n'a jamais été au pouvoir au niveau national.

 

 

On se dit qu'il doit être extrêmement délicat aujourd'hui de penser une stratégie politique à l'échelle nationale. Comment faire face à une telle complexité ?

 

Dans une société qui s'est fortement dépolitisée, une proportion importante d'électeurs procède en deux temps.

D'abord, en comparant son propre diagnostic empirique de l'état du pays avec les faits et gestes d'un ou d'une candidate.

Si les problèmes soulevés par tel ou tel candidat correspondent à ma situation, je vais être prêt à écouter ses propositions. Les thèmes que vous allez aborder vont donc permettre de capter l'attention des électeurs. Une fois que vous avez passé cette première étape, peut-être que les gens écouteront vos propositions.

 

 

Quel avenir demain pour les trois pôles politiques constitués ?

 

La difficulté du bloc central, c'est qu’il va perdre son leader et architecte en la personne d'Emmanuel Macron. Si les résultats sont bons dans la suite du quinquennat et qu'un candidat naturel émerge, le bloc peut toutefois se maintenir.

Du côté de la Nupes, on constate qu'entre les violences policières, l'abaya et aujourd'hui le conflit israélo-palestinien, les tensions sont très fortes. Par ailleurs, Jean-Luc Mélenchon a déjà été candidat trois fois et il est âgé.

 

 

Enfin, du côté du RN, le parti reste rejeté par une majorité de Français. Les sondages montrent encore aujourd'hui qu'environ 70 % d'entre eux craignent les conséquences d'une arrivée de l'extrême droite au pouvoir, même parmi ceux qui votent pour ses candidats.

 

En revanche, ce qui me paraît certain, c'est que nous ne reviendrons pas au vieux clivage gauche-droite, qui est définitivement derrière nous.

 



07/01/2024
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