2264- Jean-luc Mélenchon et le mythe de la rupture 8 posts

LA CHRONIQUE DE MICHEL WINOCK ,historien
Jean-Luc Mélenchon et le mythe de la rupture

 

«Le principal enjeu de la Nupes, a expliqué
Jean-Luc Mélenchon, était d’imposer la rupture
comme la ligne dominante à gauche. » On ne parle plus de
« révolution », le programme c’est la « rupture ». La Ligue
communiste révolutionnaire s’est métamorphosée en Nouveau
Parti anticapitaliste. Sans doute parce que « révolution »
évoque des épisodes historiques peu engageants : la guerre
civile, la terreur de masse, la famine et, au bout du compte,
l’instauration d’un pouvoir autoritaire, voire totalitaire. Dans
les années 1930, le mot « révolution» était dans toutes les bouches
et dans les slogans du moindre groupuscule. Mais ce
que nous savons aujourd’hui des forfaits de Staline, de Mao,
de Pol Pot n’encourage guère à le reprendre en mot d’ordre. Le
but de l’extrême gauche est donc désormais la rupture.

 

En France, la Révolution de 1789-1794 a valorisé l’imaginaire
d’une coupure dans le temps, une séparation entre le mal
d’hier et le bien qui s’installe sur sa dépouille. La guillotine
en a été l’instrument symbolique et réel de son accomplissement.
La tête du roi Louis XVI décapité a matérialisé la fracture
entre l’avant et l’après : du despotisme à la liberté.

Cette première rupture historique, même achevée
sous la poigne de Bonaparte, demeure une référence clé.


Le Parti socialiste, qui a été fondé en 1905 sous l’appellation
de Section française de l’internationale ouvrière
(SFIO), portait explicitement dans son programme la rupture:

ce serait la lutte des classes et le refus de participer à un
gouvernement « bourgeois ».

Jaurès, partisan de l’« évolution révolutionnaire », avait dû s’incliner
devant les exigences majoritaires de Guesde pour sauver
l’unité du parti. Jusqu’en 1936, quels que soient les résultats
électoraux, la SFIO de Léon Blum refusa de participer à un
gouvernement de gauche dans une société capitaliste.


Il fallut changer la doctrine pour accepter les responsabilités
du pouvoir après la victoire du Front populaire, avec radicaux
et communistes. Blum, qui ne manquait pas de subtilité,
avait préparé le coup en distinguant la « conquête » et
l’« exercice » du pouvoir – un exercice d’acrobatie intellectuelle
qui permettait aux socialistes de prendre la tête d’un
gouvernement sans « rompre » avec le capitalisme.


Le Parti communiste, lui, né en décembre 1920, concentrait
l’idéologie de la rupture ; il soutenait le gouvernement Blum
mais refusait d’en faire partie. Fidèle armée de Staline en terre
ennemie, le PCF n’était pas indépendant et sa ligne impliquait
une non-rupture absolue : celle de ses liens avec
l’URSS. La guerre froide venue, la rupture la plus nette du PCF
fut celle qu’il opéra avec le reste de la gauche. C’est François Mitterrand
qui le tira de sa marginalisation.

Devenu socialiste tardivement, Mitterrand avait
conçu qu’il était nécessaire, pour unifier les forces de gauche
et devenir leur représentant, d’assimiler la radicalité,
au moins dans les formes, qui pouvait recoller la grande alliance.


Au congrès d’Épinay, en 1971, Mitterrand se présenta comme
le champion de la rupture – rupture avec l’ordre bourgeois,
rupture avec le capitalisme, rupture avec la République
gaulliste. L’unité d’action avec le PCF devenait possible, et
ce fut la signature du programme commun de gouvernement.

Et quand le Parti socialiste prit le pouvoir en 1981 et que François
Mitterrand arriva à ses fins, la mise en oeuvre de la rupture
fut si laborieuse que le mot bientôt s’effaça sur les bouches.


Aujourd’hui, nous avons un nouveau professeur de rupture,
Jean-Luc Mélenchon, l’ancien trotskiste. C’est une question
de tempérament. Un social-démocrate apparaît sans
doute à ce dur de dur comme un individu falot, timoré, un
pauvre type qui tend la sébile aux « richards » du CAC 40. C’est
aussi une conception de l’histoire, lue comme une suite
d’assujettissements, d’où l’on sortira un jour par la rupture.
Couper, briser, trancher, séparer demain d’hier, réaliser le
rêve d’un « happy end » définitif.


Maurice Merleau-Ponty, compagnon de Jean-Paul Sartre qui
rompit, lui, avec Sartre et son « ultrabolchevisme », nous a expliqué
cette illusion dans « Les Aventures de la dialectique » :
« On suppose une certaine frontière après quoi l’humanité
cesse enfin d’être un tumulte insensé et revient à l’immobilité
de la nature. Cette idée d’une purification absolue
de l’histoire, d’un régime sans inertie, sans hasard et
sans risques, est le reflet inversé de notre angoisse et de notre
solitude. »


Michel Winock, historien

 

 

Mélenchon-Le Pen.jpg



19/02/2023
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