2354- Il n'y a pas de démocratie sans classe moyenne 2 posts

Il n'y a pas de démocratie sans classe moyenne

  • par Pierre Vermeren, pour Le Point - mars 2023

Pour l’historien Pierre Vermeren, la désindustrialisation a appauvri les Français et discrédité la politique. Le pacte républicain est ébranlé.
 
La grande dépression française n'est pas qu'une affaire de psychologie et de nostalgie pour la grande nation. Elle touche le pacte républicain au cœur, dans sa double composante politique et socio-économique. La république fut une promesse d'égalité politique et d'ascension sociale. Le XIXe siècle a construit la première, l'après-guerre la seconde. La grande croissance nous a fait passer d'une société de notables (encore 5 % de cadres en 1945 pour 70 % d'ouvriers et de paysans) à une société de consommateurs, appartenant pour 60 % à la classe moyenne : une classe bien logée, bien éduquée, bien soignée et disposant de loisirs. Le passage de 5 à 20 % de cadres consolidait la perspective prochaine de l'ascension sociale. Tout cela a pris fin.
L'effondrement de la classe moyenne, la fin de l'ascenseur social, l'affaissement des grands «services publics» (dont le terme est prohibé à Bruxelles) et la désintégration sociale des classes populaires en sont les symptômes. Que s'est-il passé hors des bienheureuses métropoles, pour 75 % de la population française ?
 
Rupture. Notre classe dirigeante politique, financière et économique, a brutalement décidé il y a quarante ans de rompre avec le modèle productif qui a fait la fortune et la puissance de la France. Allemands, Suisses, Italiens ou Japonais n'ont pas fait ce choix : il nous appartient. Nous avons opté pour une économie de services, au point d'en devenir le champion européen. Nous sommes à la fois le champion des services aux entreprises, qui font la fortune du CAC-40, et celui des services à la personne (économie sociale, tourisme et grande distribution). Nous avons choisi de développer une économie clivée : des cadres (services aux entreprises) et une main-d'œuvre sous ou non qualifiée (d'où le recours à une immigration de masse qui, malgré le chômage de masse, fournit des bras et des consommateurs).
 
À quoi avons-nous renoncé par ce pacte faustien ? Au modèle productif national et à une société de libres producteurs ; à une société démocratique structurée par la classe moyenne ; à l'indépendance économique et financière ; et à une société socialement et spatialement harmonieuse. Comment ?
 
Lumpenprolétariat. En renonçant à la production au profit d'une consommation à outrance (car un endettement croissant est nécessaire depuis 1973 pour soutenir notre nouveau modèle économique), nous avons sacrifié notre industrie et notre agriculture. En témoigne - à l'inverse des pays déjà cités - notre abyssal et croissant déficit extérieur. Nous n'avons conservé que le luxe (à forte valeur ajoutée), les industries de défense (pour des raisons stratégiques) et le BTP (car il produit des biens de consommation financés par les banques). Tout le reste a été délocalisé ou presque ; on assiste aujourd'hui médusés à la liquidation de ce qui demeurait de l'agriculture française (hors céréales).
 

«Fini, le petit commerçant indépendant, le petit patron agricole et le contremaître d’usine !»

 

 En supprimant des millions de producteurs et d'emplois sur le territoire (ouvriers qualifiés,techniciens, cadres et   ingénieurs de l'industrie, agriculteurs, etc.), nous avons créé un triple mouvement géographique et social : la polarisation et le regroupement des ingénieurs et des cadres dans une douzaine de métropoles devenues les capitales de la tertiarisation ; l'effondrement économique des anciennes régions industrielles et agricoles, vouées à l'appauvrissement et à la désertification si elles ne sont pas des spots touristiques ; la dislocation de la classe moyenne, liée au fait que les nouveaux métiers sont polarisés. Fini le petit commerçant indépendant : il faut être cadre commercial, ouvrier de caisse ou manutentionnaire. Fini le petit patron agricole : il faut être camionneur ou acheteur international. Fini le contremaître d'usine : il faut être chef d'agence ou technicien de surface. Trois millions de jeunes âgés de 15 à 30 ans ne sont ni l'un ni l'autre : ils sont des inactifs structurels sans avenir (des NEET). Car l'effondrement de la classe moyenne induit le gonflement d'un étrange lumpenprolétariat de consommateurs sans travail ni activité légale.
  • Illustration : Pierre Vermeren est professeur d’histoire contemporaine à Paris-1 Panthéon-Sorbonne.
 
 


30/04/2023
2 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 355 autres membres

blog search directory
Recommander ce blog | Contact | Signaler un contenu | Confidentialité | RSS | Créez votre blog | Espace de gestion