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Jean-Louis Harouel : «Sortons du dogme égalitaire»

  • par Paul-François Paoli, pour Le Figaro - janvier 2024
ENTRETIEN - Le professeur d’université et essayiste déplore les progrès de ce qui est devenu une forme de religiosité sécularisée en Occident.
 
Le culte de l’égalité, dont le wokisme est le dernier avatar, est-il devenu mortifère dans nos sociétés occidentales? C’est la question qu’ose poser Jean-Louis Harouel dans Les Mensonges de l’égalité. Ce mal qui ronge la France et l’Occident (L’Artilleur). Agrégé de droit, professeur émérite de l’université Panthéon-Assas (Paris 2), Jean-Louis Harouel a publié de nombreux essais dont Les Droits de l’homme contre le peuple, chez Desclée de Brouwer.
 
Le Figaro. - «L’inégalité, c’est le Mal, l’égalité, c’est le Bien. Ce théorème simpliste constitue l’article de foi sur lequel vit le monde occidental», écrivez-vous en introduction de votre livre. L’égalité est-elle devenue une religion?
Jean-Louis Harouel. - Il s’agit de ce qu’on appelle une religion politique, ou une «religion séculière» (Raymond Aron). Le recul des croyances chrétiennes a provoqué le déplacement du sacré vers des formes de religiosité sécularisées. Il en est résulté une religion de l’humanité, dont les principales figures ont été le socialisme, notamment dans sa version communiste, et le droits-de-l’hommisme qui a pris sa suite, en étroite association avec le wokisme. L’objectif restant l’émancipation de l’humanité par la parfaite égalité.
 
Pourquoi la France est-elle à ce point marquée par l’idéologie égalitaire?
 
C’est pendant la Révolution que, pour la première fois, l’égalité a été une religion politique au pouvoir. L’objectif était d’«égaliser les têtes», selon la formule du girondin Brissot. La destruction de la noblesse reste présentée comme un des titres de gloire de la Révolution alors que, pour Tocqueville, «on a fait à la liberté une blessure qui ne guérira jamais».
 
«Dans les universités, le wokisme a pour méthodes l’intimidation, la culpabilisation, le lynchage moral et parfois l’agression physique.» Jean-Louis Harouel
 
Selon certains, le message évangélique serait à l’origine de l’idée d’égalité. Vous expliquez que ce n’est pas si simple…
Le christianisme n’est pas une promesse sociale mais une religion du salut. L’Église n’est pas fondée à se transformer en une ONG. L’égale sollicitude de Dieu pour chaque être humain s’inscrit avant tout dans une perspective céleste. Ce n’est pas dans le message évangélique qu’on peut trouver l’origine de la frénésie d’égalité qui règne dans le monde occidental, mais dans les hérésies - millénarisme et gnose - dont va sortir la religion de l’humanité dans ses deux dimensions: sociale et sociétale.
 
Vous affirmez que le wokisme est le dernier avatar de la religion égalitaire. Comment se manifeste-t-il à l’université?
Le wokisme situe sa revendication d’égalité parfaite entre catégories antagonistes, avec pour résultat une guerre des races et des sexes qui vise à la destruction du monde occidental. Dans les universités, le wokisme a pour méthodes l’intimidation, la culpabilisation, le lynchage moral et parfois l’agression physique.
 
Vous attribuez une responsabilité écrasante à l’idéologie égalitaire dans l’effondrement de notre système éducatif. N’est-ce pas excessif?
C’est une évidence. Le dogme égalitaire imposant pour tous un parcours scolaire uniforme ne pouvait qu’entraîner l’effondrement du niveau. On a sacrifié la qualité de l’enseignement sur l’autel de l’égalité des résultats scolaires de tous les enfants. Dans une école devenue garderie, la transmission du savoir est passée au second plan. Dès 1981, le grand mathématicien Laurent Schwartz nous avait prévenus que l’égalitarisme scolaire nous préparait un avenir de pays sous-développé.
 
Vous semblez penser que l’immigration extraeuropéenne a un impact négatif sur le niveau des performances scolaires. Qu’est-ce qui vous permet de le dire?
Même si cette immigration n’est pas la cause première de l’effondrement du niveau scolaire, elle aggrave le problème et rend plus improbables les chances d’un redressement. Des performances scolaires correctes exigent une bonne maîtrise de la langue, ce qui suppose une certaine adhésion à la nation d’accueil, une volonté d’assimilation ou du moins d’intégration. Or elle n’est pas toujours présente dans ces populations, qui, du fait même de leur poids démographique, peuvent être tentées de former des contre-sociétés plus ou moins hostiles aux Européens et à leur civilisation. En revanche, l’immigration d’origine asiatique, peu nombreuse, est porteuse de valeurs de discipline et de travail génératrices de succès scolaire, comme l’a observé l’universitaire américain Glenn Loury.
 
Libéral sur le plan économique, vous êtes très critique à l’égard du libre-échange. Pourquoi?
Au cours des dernières décennies, le libre-échangisme a réduit au chômage ou à l’inactivité une bonne part de la population active des pays occidentaux, pour avoir mis à égalité tous les travailleurs du monde devant la concurrence en matière de production, sans tenir compte de la différence des niveaux de vie et donc des coûts de production. Le libre-échange est un outil qu’il faut savoir utiliser à bon escient, et non pas un dogme religieux auquel on doit se soumettre aveuglément. Adam Smith lui-même, l’un des pères fondateurs du libéralisme économique, admettait dans certains cas la nécessité et les bienfaits du protectionnisme douanier.
 
À l’encontre de Thomas Piketty, vous soutenez que les disparités sociales sont sans rapport avec l’appauvrissement de la société française…
Le grand économiste Jean Fourastié, auquel les Trente Glorieuses doivent leur nom, a démontré que la pauvreté n’était pas la conséquence de l’inégalité. La suppression de celle-ci est impuissante à enrichir une population, puisque le revenu moyen n’augmente pas. L’appauvrissement de la société française vient de ce qu’elle ne produit plus assez: la grosse majorité des biens qu’elle consomme sont produits à l’étranger.
 
Quelles sont les mesures qu’il faudrait prendre pour rompre avec cette idéologie mortifère, notamment dans le domaine éducatif?
Il s’agit de reconstruire la transmission des savoirs et la méritocratie. Dans l’école des IIIe et IVe Républiques, qui était l’une des meilleures du monde, le maître mot était le mérite. C’est parce qu’ils sont restés fidèles à ce modèle que les pays asiatiques ont les meilleures performances scolaires. Tandis que le système français a rejoint celui des États-Unis, pays victime d’un égalitarisme né d’une sécularisation du puritanisme américain.
 
Selon cette idéologie, le rôle de l’école est moins de transmettre un savoir que de préparer la marche de l’humanité vers le bonheur dans un esprit interdisant, comme s’en est étonnée Hannah Arendt, qu’on fasse une distinction tranchée entre bons et mauvais élèves, ni entre enfants et adultes. Or c’est à cela qu’il faut revenir pour reconstruire l’école.�
  • Illustration : Jean-Louis Harouel présente «Les Mensonges de l’égalité. Ce mal qui ronge la France et l’Occident», éditions L’Artilleur, Octobre 2023, 252 pages, 20 € (papier).
Peut être une image de 1 personne et texte qui dit ’Jean-Louis Harouel Les Mensonges de l' égalité Ce mal qui ronge la France et 'Occident L'ARTILLEUR’
 


17/02/2024
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