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 Euthanasie et suicide assisté : la fin du tabou français ?
  • par Olivier Hertel, pour Le Point - septembre 2023
Emmanuel Macron a promis de présenter un projet de loi sur la fin de vie avant le 21 septembre.  Le texte devrait traiter l’épineuse question de l’aide active à mourir que réclame l’écrasante majorité des Français.
 
 
 
Toute une vie s'affiche en quelques photos sur les murs de son petit appartement d'une résidence «sénior» à Boissy-Saint-Léger. Des moments en famille et heureux que Katherine Icardi-Lazareff, 68 ans, clouée dans un fauteuil par la maladie de Charcot, contemple encore avec bonheur : là, c'est elle, petite fille boudeuse qui tient la main de son grand-père, Pierre Lazareff, patron de presse, fondateur de feu le journal France-Soir. Ici, les portraits avec ses trois enfants… «de trois maris différents. Un catholique, un juif et un musulman», confie-t-elle le regard malicieux et pas peu fier de cet œcuménisme revisité.
 
Une vie d'amours, d'aventures, de voyages, de sports, de réussites qu'elle raconte aujourd'hui à bout de souffle. Une vie qu'elle a choisi d'interrompre dans quelques mois : «Je veux passer un dernier Noël avec mes enfants et peut-être le mois d'avril pour les anniversaires, car nous sommes tous nés en avril.» Puis ce sera la Belgique où l'euthanasie est légale depuis 2002. Les formalités sont prêtes et, dans la famille, tout le monde a accepté ce choix. Mais persiste un goût amer. «Mes enfants vont devoir m'accompagner, faire les valises, les mettre dans la voiture. Et ils reviendront seuls, sans leur mère. J'aurais voulu mourir en France, mais la loi ne me le permet pas.»
La situation de Katherine, comme celle de beaucoup d'autres malades en fin de vie, illustre parfaitement les enjeux des discussions, voire les tractations, qui animent aujourd'hui les partisans et les opposants de l'aide active à mourir et le gouvernement.
 
Projet de loi en cours
Retour quelques mois en arrière. Emmanuel Macron confie à Agnès Firmin-Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la Santé et de la Prévention, la rédaction d'un projet de loi sur la fin de vie à remettre avant le terme de l'été, soit le 21 septembre. Ce projet est le prolongement des conclusions de la convention citoyenne initiée par le président de la République après sa réélection et organisée par le Conseil économique, social et environnemental (CESE).
En avril, dans son rapport final, la convention estimait que la loi actuelle, dite Claeys-Léonetti, datant de 2016, ne répondait pas à toutes les demandes. Elle donne le droit aux personnes ayant un pronostic vital engagé à court terme (quelques heures ou jours) de bénéficier d'une sédation profonde et continue jusqu'au décès. Insuffisant donc pour les citoyens consultés.
S'appuyant sur leurs conclusions, le CESE rendait le 9 mai un avis préconisant une modification de la législation pour étendre les droits à l'euthanasie (le médecin ou l'infirmier, selon les pays, administre une substance létale à la personne qui l'a demandé) et au suicide assisté (le médecin prescrit la substance létale, mais c'est la personne qui se l'administre elle-même) sous certaines conditions.
 
Grand flou
Depuis, c'est le grand flou. En attendant l'arrivée du projet de loi d'Agnès Firmin-Le Bodo, l'impatience et les doutes se font sentir quant au contenu du texte. «Devant la convention citoyenne, Emmanuel Macron avait annoncé que le gouvernement allait s'inspirer de leurs travaux, c'est-à-dire ouvrir le droit à l'aide active à mourir pour les patients atteints de maladies incurables, avec deux exclusions, les mineurs et les maladies psychiatriques. Puis dans les discussions est apparue la condition d'un pronostic vital engagé à moyen terme», commente Jonathan Denis, président de l'Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD).
 
Problème : que signifie «moyen terme» ? un mois ? six mois ? un an ? «Cela s'étend de quelques semaines à quelques mois», confie l'entourage de la ministre. Pour les militants de l'ADMD, la loi pourrait être trop restrictive. «Si le moyen terme est fixé à 12 mois et que le médecin évalue le pronostic vital à 14 mois, faudra-t-il demander au malade de patienter deux mois de plus, pour avoir le droit de mourir ?» s'interroge Jonathan Denis.
 
D'ailleurs du côté de certains soignants, l'idée de pronostic vital ne passe pas. «Cette notion de court ou moyen terme ne correspond à rien. Le médecin ne travaille pas avec une boule de cristal. Je n'ai jamais dit à un malade, vous en avez pour trois mois ou pour six mois. Car je ne sais pas», insiste le docteur Denis Labayle, ancien chef de service au Centre Hospitalier Sud Francilien, qui milite depuis plus de 20 ans pour l'aide active à mourir.
 
Ce gastro-entérologue, aujourd'hui à la retraite, considère qu'il faut extraire de l'application de la loi cette notion de pronostic vital à moyen terme. «À partir du moment où il s'agit d'une maladie grave et incurable, c'est au patient de décider à quel moment il doit partir. Et s'il le demande, le médecin doit l'accompagner jusqu'à la mort. Cela peut être difficile émotionnellement, mais cela fait partie de son rôle de soignant.»
 
«Donner la mort n'est pas un soin»
Le Dr Denis Labayle s'oppose alors frontalement aux positions des représentants des soins palliatifs, aux premières loges sur ce dossier sensible. «Donner la mort n'est pas un soin, martèle le Dr Claire Fourcade, présidente de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (SFAP). Si la future loi autorise l'aide active à mourir, nous ne voulons pas que les soignants soient impliqués dans la mise en œuvre d'une solution de mort provoquée.»
Une nouvelle loi qui, d'ailleurs, ne serait pas nécessaire, selon la présidente de la SFAP : «La loi de 2016 est suffisante mais pas assez appliquée, car souvent ignorée. Quand elle est connue, quand elle est appliquée, elle permet d'accompagner les personnes dans de bonnes conditions. Nous pouvons pratiquer une sédation profonde et continue jusqu'au décès.»
 
Effectivement, dans un rapport publié en juillet dernier, la Cour des comptes note que la dépense publique de soins palliatifs (1,45 milliard d'euros en 2021) a augmenté de 24,6 % depuis 2017. Elle précise surtout que l'offre de soins palliatifs ne couvre que 48 % des besoins. «Ainsi, chaque année, sur 300.000 malades qui devraient recevoir ces soins, 150.000 n'y ont pas accès», évalue Claire Fourcade.
 
Des chiffres que ne conteste pas le Dr Denis Labayle qui, par contre, s'indigne des conditions d'application de la loi de 2016 et en particulier de la sédation profonde et continue jusqu'au décès, qu'il juge inhumaine : «On vous injecte une dose de sédatif, l'Hypnovel (Midazolam). Le problème c'est que son action est relativement brève. Le patient va reprendre conscience et retrouver des douleurs incontrôlables. Il faut donc réinjecter de l'Hypnovel avant qu'il reprenne conscience. Ça, c'est la théorie. Imaginez ce qui se passe si la personne revient à elle en pleine nuit ou le week-end, quand il n'y a pas de médecins disponibles et avec le manque de personnel dans les hôpitaux. Cette lente agonie est inacceptable pour le malade et pour les familles. C'est de la souffrance inutile. Et cela peut durer des semaines.»
Le Dr Labayle demande que soit autorisée la sédation profonde et continue pour une agonie brève et indolore. En d'autres termes, le médecin augmente fortement les doses de sédatifs avant le réveil du patient pour que la mort survienne en 24 ou 36 heures maximum. Ce, dans le cas d'une révision de la loi de 2016.
 
Euthanasies clandestines
Mais l'objectif des partisans de l'aide active à mourir est que le nouveau projet de loi en préparation propose, de manière claire, une légalisation du suicide assisté et de l'euthanasie. Même si sur ce dernier point, ils sont conscients du poids de la forte résistance des représentants des soins palliatifs. «L'euthanasie doit figurer dans la loi. Les euthanasies clandestines se sont toujours pratiquées. Mais elles exposent les soignants aux risques de poursuites», rappelle Jonathan Denis. Une situation que le Dr Denis Labayle connaît parfaitement.
 
Pendant des années, il a pratiqué l'euthanasie clandestine auprès de patients qui le demandaient et ne s'en cache pas : «C'est ce que l'on m'a appris. Quand un interne se trouvait face à un malade en train de mourir, on lui disait : Tu mets en route le cocktail lytique, Phenergan, Largactil et Dolosal. Et on augmentait les doses pour une agonie brève. Toute la France faisait la même chose. Mais c'est devenu une pratique encore plus clandestine avec la loi de 2005 sur la fin de vie», se souvient le médecin. Et rien n'indique que ces pratiques se soient arrêtées en 2005.
 
«Il faut comprendre que le fait de donner à un patient de fortes doses de somnifères et d'antalgiques pour soulager sa douleur et ses symptômes peut abréger sa vie, même quand ce n'est pas l'effet recherché. C'est ce que l'on appelle le double effet, quand la mort survient comme effet d'un traitement, mais sans que ce soit dans l'intention de la donner», explique le DrSarah Dauchy, présidente du Centre national de référence sur la fin de vie et les soins palliatifs.
 
En France, c'est probablement la formalisation de ce «double effet» qui protège les médecins des poursuites si le malade arrête de respirer. «Il y a effectivement une zone complètement grise où le patient qui demande la mort l'obtient grâce au double effet», précise le Dr Sarah Dauchy. Une nouvelle loi sur la fin de vie, légiférant sur le suicide assisté et l'euthanasie, permettra certainement de dissiper le flou qui persiste encore sur ce moment de l'existence dont l'issue est pourtant si limpide.�
Illustration :
  • Fin de vie. DR
  •  Fin de vie : «Ma mère a voulu une mort volontaire assistée» - Durée 04:00 - Le journaliste et animateur télé Thomas Hervé a accompagné sa mère en Suisse pour son suicide assisté. Il raconte les derniers moments de cette ex périence difficile et singulière. «Elle avait une grande peur, partir seule, inconsciente, à l’hôpital», raconte Thomas Hervé, chroniqueur à Télématin et visage inoubliable de l’émission culte Culture Pub sur M6. Sa mère, Aline Hervé, ancienne professeure de philosophie, souffrait d’une bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), une maladie respiratoire incurable qui finit par rendre la respiration impossible sans assistance. Le 9 août 2022, à 79 ans, elle a fait le choix de faire un dernier voyage pour la Suisse, accompagnée de son mari et de son fils.


01/10/2023
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