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 Climat et vaches : quand la Cour des comptes met les pieds dans le plat

  • par Géraldine Woessner, pour Le Point - mai 2023
En appelant à réduire le cheptel bovin, les sages de la rue Cambon soulignent surtout l’incohérence de politiques conduites… au doigt mouillé.
 
Attention, terrain miné ! Sitôt remis leur rapport sur «les soutiens publics au secteur bovin entre 2015 et 2022», les membres de la Cour des comptes ont dû courir se mettre aux abris. «Qu'ils s'affairent sur le déficit public plutôt que de compter les bouses de vaches», a tonné le député LR Julien Dive, dans le sillage d'une armée d'éleveurs s'insurgeant, fourches brandies : «Laissez nos paysans tranquilles !»
 
Il faut dire que les sages, dans ce rapport fouillé sur la pertinence des aides (4,3 milliards d'euros) apportées à un secteur qui reste en grande difficulté, n'y sont pas allés avec le dos de la cuillère en recommandant «une réduction importante du cheptel bovin», «si la France veut tenir ses engagements en matière d'émissions de méthane [CH4]», engagements qu'elle s'est elle-même imposée en signant en grande pompe, lors de la COP26, l'accord international «Global Methane Pledge», par lequel elle s'engageait à réduire de 30 % ses émissions de CH4 d'ici à 2030. Or les fonctionnaires de la rue Cambon ont fait leurs maths : en France, selon l'Agence internationale de l'énergie, les émissions de ce gaz beaucoup plus puissant que le CO2 sont dues à 65 % à l'agriculture – dont 87 % au seul élevage bovin. «On voit donc mal comment les émissions de méthane pourraient baisser de 30 % à la fin de cette décennie sans que l'agriculture, en tout premier lieu le cheptel bovin, soit affectée», souligne logiquement le rapport, s'attirant (assez injustement) les foudres de milliers d'acteurs.
Pour les éleveurs, c'était «l'attaque de trop», après la sortie récente de Bruno Le Maire vantant les mérites environnementaux d'une fausse viande végétale fabriquée en usine, et la présentation par Élisabeth Borne d'une trajectoire de réduction des émissions de CO2 à laquelle l'agriculture devra lourdement contribuer, elle qui est responsable de 19 % du total des émissions de GES du pays. «Si vous voulez qu'on meure, dites-le !» s'indignait auprès du Point un éleveur au bord des larmes, à la lecture des dizaines d'articles de presse rapportant de façon lapidaire les «recommandations» des sages.
La lecture complète du rapport est pourtant riche d'enseignements, car ses auteurs mettent en lumière l'absence de vision globale qui a conduit le gouvernement à prendre des engagements contradictoires, aux lourdes conséquences sociétales, sans avoir bien pesé tous les paramètres du problème. Revue de détail.
 
Une filière en détresse
L'intérêt de la Cour découle d'un constat : en dépit des très forts montants d'aides publiques déversés sur la filière, l'élevage français va mal. Pire que mal : selon le ministère de l'Agriculture, «sans les subventions, plus de 90 % des éleveurs de bovins viande et près de 75 % des éleveurs bovins mixtes auraient un résultat courant avant impôt négatif en 2019», cite le rapport. «Le taux de pauvreté des ménages d'éleveurs de bovins allaitants s'établit à 25,1 % en 2018», contre 18,1 % chez les agriculteurs, et 13 % chez les autres ménages en activité.
 
Les causes sont multiples : structures parfois trop petites pour des économies d'échelle, filière déstructurée, mauvaise maîtrise des charges, des attentes des consommateurs qui ne correspondent plus à ce que produisent nos éleveurs… La viande hachée, par exemple, peu chère, constitue 71 % des volumes consommés hors domicile par les Français… Et elle est à 52 % importée, les «pièces nobles» (comme le bio et autres label rouge) trouvant difficilement preneur. Les aides (avec 4,3 milliards d'euros, l'élevage est le secteur le plus aidé) aident tout juste des dizaines de milliers d'exploitants à maintenir la tête hors de l'eau, tandis que les cheptels, déjà, sont en forte réduction : entre 1990 et 2020, le nombre de vaches laitières a baissé de 36 %, le nombre de bovins de 11 %… Est-ce un mal ? «Dans la même période, le cheptel d'ovins a plongé de 72 %, et on s'appuie désormais sur les importations», soupire l'ancien député Jean-Baptiste Moreau, éleveur de profession. «Est-ce ce que nous souhaitons pour les bovins ?»
 
Dans son rapport, la Cour des comptes se borne à poser les termes du débat : la chute de la filière, déjà rapide, ne pourra être qu'amplifiée par les engagements pris par le gouvernement en matière d'émissions. Car si l'élevage bovin a déjà réduit de plus de 13 % ses émissions de gaz à effet de serre (GES) depuis 1990, selon l'inventaire Floreal du CITEPA (édition 2022), les pistes envisagées pour accélérer ne suffiront pas à réduire de 30 % supplémentaires les émissions de méthane… Certes, les prairies sur lesquelles paissent les bêtes (95 % des bovins français sont au pré, NDLR) capturent du CO2, mais seulement autour de 8,5 millions de tonnes eq/CO2 par an, ne compensant pas les émissions entériques des ruminants. Certes, des modifications du bol alimentaire des vaches peuvent réduire les émissions, mais «bien qu'il existe des recherches en génétique et en nutrition animale, les perspectives de réduction de ces émissions sont limitées à 10 ou 20 %», notent les sages.
 
Pour tenir l'objectif, la Cour «recommande donc» une «réduction importante» du cheptel, sans toutefois la chiffrer, et appelle en creux le ministère de l'Agriculture à faire preuve d'honnêteté et de transparence : ainsi apprend-on que le gouvernement projette déjà que de 17 millions de têtes en 2025, le cheptel bovin français passera à 13,5 millions en 2050. Sans que ce soit jamais clairement dit, ni aux éleveurs ni aux consommateurs français, charmés par les petits élevages bucoliques, «à taille humaine». Faute de jeunes pour reprendre les exploitations, une «forte concentration», déjà engagée, paraît inévitable. Comme une probable explosion des importations de viande, nos émissions étant simplement «exportées» à l'étranger ? La Cour ne le croit pas : il «suffirait», selon elle, que les Français respectent les recommandations de ne pas manger plus de 500 grammes de viande rouge par semaine, et le tour serait joué. Une «pensée magique» qui laisse rêveurs les sociologues et spécialistes… «À moins d'instaurer des tickets de rationnement pour la viande, je ne vois pas comment faire», persifle l'un d'eux qui, parce qu'il conseille le gouvernement, demande l'anonymat.
 
Des angles morts
La Cour appelle donc, essentiellement, à accélérer la réduction du cheptel, mais surtout à accompagner et à encadrer ce mouvement, en prenant des mesures correspondant aux objectifs que l'on souhaite se fixer : aménagement du territoire ? Sauvegarde des paysages, de la biodiversité ? Stockage maximal du carbone ? Car le rapport s'attarde sur les nombreux angles morts auxquels, en haut lieu, on semble n'avoir accordé pour l'instant qu'un lointain intérêt.
 
Qu'adviendra-t-il des prairies, par exemple, lorsque les vaches les auront désertées ? «Le pâturage en prairies permanentes entretient une biodiversité florale variée et favorise le maintien des paysages de bocage, avec davantage de haies permanentes, siège important de biodiversité, avec des impacts positifs sur différents segments des espèces animales (insectes, rongeurs, oiseaux). Toute politique de l'élevage bovin doit nécessairement prendre en compte l'ensemble de ces services environnementaux», rappellent les auteurs. Les laisser se transformer en friches présenterait des risques non négligeables (faible stockage du carbone, incendies…), la plupart ne seront pas cultivables, ou au prix, en les labourant, d'un déstockage de carbone allant à l'encontre des objectifs poursuivis.
 
Autre question cruciale : comment remplacer le lisier, qui fournit aujourd'hui l'essentiel des engrais organiques consommés dans le pays ? La Cour des comptes, élève volage, ne s'aventure pas à avancer des chiffres. Elle devrait : un récent rapport remis au ministère de l'Agriculture établit que les gisements d'engrais organiques présents sur le sol français ne couvrent aujourd'hui que 20 % des besoins azotés des plantes, le reste devant être apporté par des engrais de synthèse, dont la fabrication est très émettrice. Qu'en serait-il demain, avec un cheptel réduit, et alors que le gouvernement prévoit toujours, par ailleurs, de convertir en bio (et donc aux engrais organiques) 25 % de la surface agricole utile ? Mystère. À ce jour, aucun chiffrage ni planification des besoins n'a été établi.
 
Enfin, souligne le rapport, «nombre d'externalités positives de l'élevage ne sont pas objectivables ni chiffrables, et de facto non rémunérées» : l'élevage est ainsi «d'une importance décisive dans le maintien d'un tissu social minimal pour que le territoire ne soit pas déserté. L'entretien des paysages, des prairies, des chemins est essentiel pour l'agrotourisme qui, même s'il ne s'apparente pas toujours à un tourisme de masse, amène des ressources et des emplois»… Autant d'arguments brandis par les éleveurs eux-mêmes, qui regrettent l'emballement médiatique qui a suivi la publication de ce rapport, dont les conclusions «n'ont pas été justement présentées», insiste Jean-Baptiste Moreau. «Le mouvement est déjà enclenché, les éleveurs disparaissent», soupire-t-il. «Et le premier élevage qui mourra sera l'élevage extensif, car il est de loin le plus fragile économiquement. L'élevage hors- sol, lui, a un modèle économique. Les jeunes ne veulent déjà plus s'engager, et ce sera de pire en pire. Je suis extrêmement pessimiste. Merci à la Cour des comptes d'amplifier le phénomène…»�
 
  •  - La Cour des comptes recommande de réduire le cheptel de vaches français. - - Moins de vaches ? C'est en tout cas la recommandation de la Cour des comptes dans son rapport publié ce lundi ce 22 mai. Pour l'institution, le gouvernement français devrait «définir et rendre publique une stratégie de réduction» de sa population bovine. Ceci afin de diminuer les émissions de gaz à effet de serre dans les prochaines années   
 
 
 
 


11/06/2023
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