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 Cette France qui ne sait plus que faire d’«eux»

  • par Kamel Daoud, pour Le Point - décembre 2022 Republié par JALR
Parce que l’universalisme n’exclut pas le particularisme, l’Hexagone, historiquement terre d’accueil, est tiraillé sur la question migratoire. Comment sauver tous les autres sans se perdre soi-même ?
 
«L’Autre, mais pas tous les autres.» Face à la question «Quelle solution contre l’immigration clandestine et ses conséquences sur nos vies ?», une France majoritaire hésite, tranche, mais ne convainc pas, s’indigne qu’on ne l’écoute pas, mais ne fait rien d’autre que s’entendre parler ; elle veut être digne et humaine, mais se retrouve naïve et lâche. On convoque alors les chiffres et les idéaux, les ancêtres et les besoins des enfants, la générosité et les statistiques de délinquance, le refus de voir la France s’effilocher face aux séparatismes et communautarismes et l’envie qu’elle reste une terre d’accueil, justement.
 
Car, quoi qu’en disent les extrémistes ou les neurasthéniques présumés qui leur font face depuis des décennies sur la question de l’immigration, il s’agit encore de sauver à la fois une histoire française d’accueil, de pluralité ; il s’agit de répondre aux inquiétudes, à la colère et à la peur de ceux qui s’interrogent. «Qui serons-nous si nous ne sommes plus la majorité ? Qu’est-ce que notre pays si nous en sommes dépossédés ?» Partout l’altérité interroge la France. On y oppose racines et récolte, patrie et apatrides.

«Sauver l’Autre, c’est prolonger son humanité, mais sauver tous les autres, c’est se croire responsable de toute l’humanité.»

Dans cette confrontation avec l’immigration, on n’oublie pas son histoire, ses valeurs : ici, sauver l’Autre, c’est s’exercer au renouveau de soi, porter sa part du monde, aller à la rencontre et se garder vivant, se préserver du repli néfaste pour le sentiment de grandeur. Mais sauver «tous les autres» en les accueillant en masse, c’est se dissoudre, perdre ce que l’on possède, sa mémoire collective et donc son territoire. Sauver l’Autre, c’est prolonger son humanité, mais sauver tous les autres, c’est se croire responsable de toute l’humanité et finir par partager la catastrophe, pas la solution. L’Autre peut être bon, humain, ami, voisin ou amour. Mais sauver tous les autres à la fois, c’est une invasion, une mort de ce que l’Occident a le plus défendu : l’individu et son bien. Sauver tous les autres, c’est être submergé, subir et donc s’effacer. Et c’est le paradoxe douloureux : comment rester humain en allant vers l’Autre si entre soi-même et l’Autre s’interposent tous les autres ? Comment dénoncer les crimes, les délits, sans basculer dans la facilité qui réduit l’Autre à un chiffre, une abstraction, et donc participe à le déshumaniser ? Comment garder une estime de soi, de son pays et pourtant le défendre ? Quelqu’un me précisait que même Clovis, le roi fondateur, n’était pas français.
 
Otages. La France, qui a inventé l’universalisme, est donc obligée de le réinventer, avec un certain malaise, mais aussi d’inventer son contraire : le droit au particularisme, au territoire et à la frontière. C’est-à-dire proclamer l’envie d’être le monde tout en témoignant du désir de ne pas le subir. Du coup, la conscience du Français hésite, est précaire, tranche au cas par cas mais ne sauve ni ses certitudes ni ses inquiétudes. Parce qu’il est inquiet pour son avenir, menacé de débordement, ému par la tragédie des migrants mais en colère contre ceux qui les utilisent, les poussent à la mort là-bas ou à l’assistanat ici, ce pays est vivant, blessé, solitaire et solidaire, selon la formule. Si la France désespère tant de trouver une réponse à la question des flux migratoires, c’est parce qu’elle s’y croit obligée par ses idéaux, trompée par eux et pourtant défendue par leur pérenne souvenir.Il en va ainsi des pays vivants. Ils sont otages d’une humanité qui les déborde mais aussi de l’humain qu’on ne peut récuser. La question du flux migratoire est économique et politique, mais surtout morale : qui sommes-nous lorsque nous refusons d’accueillir le monde, mais qui serons-nous si nous l’accueillons dans sa menace, sa grande misère et ses mortelles différences ?�
 
 
 
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11/12/2022
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