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 Manuel Bompard, ce «matheux qui s’est perdu en politique»

  • par Sébastien Schneegans, pour Le Point - février 2023
Le nouveau coordinateur national de LFI est sous le feu des critiques, faisant figure pour certains membres de son parti d'«héritier sans trône de Mélenchon».
 
Marseille, 11 février. Une seule tête, juchée sur un corps élancé, dépasse d'une foule compacte de manifestants contre la réforme des retraites. Ce n'est pas celle de Jean-Luc Mélenchon, que des militants Insoumis recherchent en vain, mais celle du nouveau «leader» de La France insoumise (LFI), Manuel Bompard. Du «leader» par intérim plus précisément, puisque le mouvement pensé et lancé par Mélenchon n'en autorise qu'un : lui-même.
 
Que le coordinateur de LFI prenne la lumière n'incommode pas Mélenchon ; il sait pouvoir compter sur l'infaillible loyauté de celui qu'il surnomme affectueusement «Manu». Il peut répondre aux questions des journalistes, saluer «la journée sociale la plus dense depuis cinquante ans» sans se soucier de ce qui se passe derrière lui. Manuel Bompard, placé juste derrière l'ex-candidat à l'élection présidentielle, ne peut quant à lui réprimer un large sourire. Il est, ici, loin de Paris et des profondes secousses provoquées par sa «désignation à l'unanimité» – par «vote indirect», aime-t-il aussi à dire, sans que l'on saisisse cette curieuse subtilité –, à la tête de LFI, en décembre.
 
Il ne risque pas d'entendre ici les surnoms de « liquidateur » ou de «bomparatchik» qui lui collent désormais à la peau. Il se sent, en un mot, chez lui. Il est en fait chez Jean-Luc Mélenchon. Son élection, en juin 2022, dans cette circonscription centrale de la cité phocéenne – la 4e –, ne doit rien au hasard. Bompard la doit, en partie, au soutien bienveillant de son prédécesseur, qu'il connaît sans doute mieux que quiconque au sein de la nébuleuse «Insoumise».
 
Sans «Jean-Luc», le jeune Manuel Bompard ne se serait pas engagé en politique. Il s'y intéressait peu. Lui préférait les mathématiques et la physique, matières dans lesquelles il excellait. Il s'est toujours davantage passionné pour l'optimisation aérodynamique des ailes d'avion – son sujet de thèse de doctorat en mathématiques appliquées à l'aéronautique –, que pour les querelles partisanes et les interminables palabres des conseils nationaux de grands partis. Mais il change d'avis lorsqu'il rencontre Mélenchon en mars 2008.
 
Le futur triple candidat à l'élection présidentielle prépare alors sa sortie du PS et réunit son club – « Pour la République sociale » – dans une librairie du 20e arrondissement de Paris. Bompard, qui avait lu En quête de gauche, bilan critique de la campagne de 2007 de Ségolène Royal, est séduit par la gouaille du tribun. Le courant passe bien entre ces caractères pourtant si opposés : l'un est hâbleur, irascible et parfois agressif ; l'autre est réservé, impassible et plutôt détendu.
 
«Liquidateur»
À la création du Parti de gauche (PG), en février 2009, il se laisse «happer par le tourbillon» (sic) et monte progressivement en grade. À l'initiative d'un des plus proches compagnons politiques de Mélenchon, François Delapierre, il est nommé secrétaire national à l'organisation du parti. Et gagne déjà, à cette époque, son surnom de «liquidateur». «Quand il gérait les départements, il y avait des guerres d'ego, des lenteurs et des incompréhensions. Il fallait parfois trancher dans le vif et il le faisait, sans témoigner d'un don manifeste pour la sortie de crise par le dialogue, raconte l'ex-secrétaire général du PG, François Cocq. Il n'hésitait pas à couper des têtes
 
«C'est un matheux qui s'est perdu en politique, ironise un autre ancien cadre du PG, qui requiert l'anonymat. Il sait parfaitement résoudre les problèmes mais a un esprit trop logique, trop rationnel, pour la politique. L'affect ne le conditionne pas.» Ses excellentes qualités d'organisation, que ses contempteurs reconnaissent volontiers, sont néanmoins repérées par Mélenchon, qui fera de Manuel Bompard la pièce maîtresse de ses campagnes.
«Ce qui le distingue fondamentalement de certains élus jugés trop bavards, c’est qu’il considère que le mouvement compte davantage que sa personne alors que les intéressés pensent exactement l’inverse.» François Cocq
C'est à lui, qu'il héberge parfois chez lui à Paris et dont il loue l'intelligence, que le candidat LFI doit, par exemple, les fameux hologrammes de la campagne présidentielle de 2017. Il est aussi celui qui sera chargé, en 2022, de baliser le chemin à la « tortue sagace» Mélenchon, qui terminera sa course si près, cette fois-ci, des «lièvres» Macron et Le Pen, qualifiés au second tour. Discret mais opiniâtre, gagnant ses titres de noblesse directement auprès du «leader», Bompard est ainsi devenu, de l'avis général des élus Insoumis contactés, la «plaque tournante» du mouvement.
 
Mais il refuse d'être perçu comme «l'homme lige» de Mélenchon. Qu'on le dépeigne en exécuteur des (basses) œuvres du «lider maximo» l'agace. «La relation n'est pas à sens unique. Jean-Luc Mélenchon ne vient pas me voir pour me dire : “Il faut faire ceci, il faut faire cela.” On échange, on discute, on débat, assure-t-il au Point. Je suis loyal, fidèle et je ne suis pas, en effet, de ceux qui considèrent que, pour exister, il faille à tout prix se mettre à tirer sur ceux qui ont construit ce qu'on est.»
 
La flèche vise à l'évidence ceux qui, étant écartés sans crier gare de la nouvelle direction, ont vertement critiqué le «manque de démocratie interne» au sein du mouvement, fustigeant un verrouillage», un «repli», voire une «purge» – parmi lesquels l'on compte François Ruffin, Clémentine Autain, Raquel Garrido, Éric Coquerel, etc. Et de prévenir les «frondeurs» qui seraient tentés de récidiver : «Je veux bien être gentil, discuter avec tout le monde, mais ma détermination est sans faille quant à l'objectif de cohésion d'unité du mouvement.»
 
Qu'on s'en prenne à sa personne l'a déçu, mais «ça ne [l'a pas empêché] de dormir la nuit», sourit-il en sirotant un thé vert sur le Vieux-Port. «Comme disait Cyrano, je n'abdique pas l'honneur d'être une cible», ajoute-t-il, malicieux. En revanche, s'en prendre au mouvement représente à ses yeux une ligne rouge. «C'est un véritable apparatchik ! Ce qui le distingue fondamentalement de certains élus jugés trop bavards, c'est qu'il considère que le mouvement compte davantage que sa personne alors que les intéressés pensent exactement l'inverse», analyse François Cocq, sèchement écarté de LFI en 2019 à cause d'un désaccord politique.
 
Bompard, abreuvé à la source du mélenchonisme, en est devenu le fidèle représentant. Il est l'exemple éclatant de cette génération de jeunes élus façonnés par la figure tutélaire de Jean-Luc Mélenchon – dont certains siègent aujourd'hui à l'Assemblée nationale. Celui qui a également poussé certains militants de la «génération Mélenchon» à se déclarer candidats à la députation – on sait peu, notamment, que c'est Bompard qui a mis, en 2017, le pied à l'étrier à Adrien Quatennens.
 
Duel avec Édouard Philippe
Aujourd'hui, alors que son mentor se dit «en retrait mais pas à la retraite», il doit assumer le rôle ingrat de paratonnerre des ambitions de ses collègues députés. Maintenir l'ordre dans la maison, en somme, avant que le chef de famille ne revienne. Il a donc fallu, là aussi, «trancher dans le vif». Quitte à brusquer, sinon choquer, des figures historiques du mouvement. «Il est gentil mais il sait siffler la fin de la récréation quand il le faut», résume son ami d'enfance, Tayeb Tounsi. «On a collectivement fait le choix, et on l'assume, de ne pas rentrer dans des batailles d'écurie, d'éviter d'avoir des listes de personnes qui feraient campagne au sein de la direction de LFI pour 2027», justifie Manuel Bompard. «Collectivement», mais sans ceux qui n'ont pas participé à la prise de décision, n'étant pas membres de la direction…
 
«En fait, Manuel est un héritier sans trône. Il incarne à la fois l'essence la plus chimiquement pure du mélenchonisme, un curieux mélange de trotskisme lambertiste et de socialisme environnemental, et l'assurance-vie de Mélenchon. À la différence des autres présidentielles, Mélenchon sait qu'il devra se positionner de l'extérieur et Bompard le rassure parce qu'il sait qu'il ne lui volera pas la vedette», décrypte un interlocuteur régulier du coordinateur de LFI. «Mélenchon connaît les limites de Manuel Bompard, abonde un député de la Nupes, attentif aux agitations des Insoumis. Son sujet, ce sont les rivalités naissantes mais il pense que, en agissant maintenant, tout le monde aura oublié cette histoire dans quatre ans.»
 
De fait, personne n'imagine Manuel Bompard se porter candidat en 2027. L'hypothèse amuse l'intéressé, qui préfère rappeler que «se passer de l'expérience de Jean-Luc serait suicidaire». Et alors qu'on lui fait remarquer que d'aucuns lui prêtent une ressemblance physique à Édouard Philippe, il glisse, sibyllin : «C'est vrai, on me le dit souvent. Même si je suis plutôt un footeux, je me suis mis, comme lui, à la boxe il y a deux ans. Mais je n'irai pas jouer le match…» Ni le match sportif – l'ex-Premier ministre et actuel maire du Havre s'entraîne beaucoup plus régulièrement que l'élu des Bouches-du-Rhône – ni le match politique. Celui qui a toujours en tête ce mot de Léon Trotski cité par Mélenchon après sa défaite de 2012 – «Histoire, que tu es lente et cruelle…» – semble destiné à tenir, coûte que coûte, la «digue». En attendant Mélenchon…�
  • Illustration : Manuel Bompard, député LFI de la 4e circonscription des Bouches-du-Rhône,.
 
 
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08/03/2023
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