2790- Aya Nakamura, symbole des fractures d’une France qui change 1 post

 

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����� Aya Nakamura, symbole des fractures d’une France qui change

  • par Kévin Badeau, pour Le Point - mars 2024 Republié par JAL Rossi
La polémique autour de la star francophone, pressentie pour chanter aux JO, en dit long sur les bouleversements qui transforment le pays.
 
«Hello papi, mais qué pasa ? / J'entends des bails atroces sur moi.» Il aura suffi d'une petite étincelle pour enflammer le débat public. Le président de la République Emmanuel Macron a fait savoir qu'il aimerait voir Aya Nakamura, l'une des chanteuses francophones les plus connues dans le monde, reprendre du Édith Piaf pour la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024, organisés l'été prochain.
 
Cette option, révélée par L'Express, a donné suite à des commentaires enflammés sur les réseaux sociaux et les plateaux télé et dans la presse. Dans l'opinion publique, le choix de cette nouvelle «pop queen» fait l'objet d'un rejet significatif : 63 % des personnes sondées par Odoxa pour Winamax et RTL sont contre sa participation à la cérémonie d'ouverture des JO. Quant à ceux qui connaissent d'assez près son répertoire, ils répondent à 73 % que sa musique ne représente pas la France.
 
L'hypothèse Nakamura donne également à voir une vision stéréotypée des chapelles idéologiques qui s'affrontent en France. D'un côté, et pour caricaturer à l'extrême, le camp progressiste intente des procès en racisme à quiconque s'en prend à cette chanteuse noire, née malienne. De l'autre, les conservateurs s'arc-boutent, voyant dans ce choix une atteinte à la tradition culturelle française. L'artiste, il est vrai, est surtout connue pour sa pop urbaine, un style musical à des années-lumière de celui de la Môme.
 
Malaise dans la langue
 
Si Aya Nakamura est au cœur des discussions, c'est surtout parce qu'elle est le symbole – malgré elle – des fractures d'une société française qui se transforme et se divise. La preuve. Sur le plan linguistique, d'abord, elle serait tout à la fois l'ambassadrice d'une langue française gaiement métissée et l'expression d'un certain déclin linguistique. Entre les deux, un monde d'écart.
 
Nous avons soumis à analyse «Djadja»(2018), le titre phare de la chanteuse, au linguiste Alain Bentolila. Côté métissage, c'est indéniable. «Elle multiplie les emprunts à l'anglais et à l'arabe. Dans d'autres textes, elle pioche dans des dialectes africains. Tout cela se mélange joyeusement dans sa musique», observe l'auteur de Controverses sur la langue française (ESF Sciences humaines).
 
Quant à son écriture : «Ce sont des phrases juxtaposées, très répétitives, sans chronologie ni connecteur logique», analyse le linguiste. La chanteuse est aussi connue pour ses néologismes (catchana pour «levrette») et ses expressions banlieusardes («tu parles sur moi y'a R», «tu dead ça»), écoutés des millions de fois sur les plateformes de musique en ligne. L'expression d'un grand déclin, donc ? «Pas forcément. Cela s'inscrit dans le style musical qui lui est propre. Mais s'il résume le viatique des jeunes dit “des quartiers”, oui, effectivement, cette pauvreté est préoccupante», dit Alain Bentolila.
 
Même s'il ne lui est pas demandé d'interpréter ses propres textes aux JO, mais bien un titre de Piaf, le niveau de langue d'Aya Nakamura est rapidement associé au «parler banlieue», à la culture «urbaine». Quelqu'un qui chante dans ce français-là peut-il représenter le pays ? «Deux Frances se font face. Celle ouverte à la modernité, plutôt jeune, vivant en zone urbaine ou périurbaine, au contact du phénomène migratoire. Et celle attachée à la tradition, plus endogène», décrypte Sami Biasoni, qui a dirigé en 2022 l'essai collectif Malaise dans la langue française (éditions du Cerf).
 
Intégration à la française
 
La polémique entourant Aya Nakamura est aussi illustrative de la crise du modèle assimilationniste à la française, celui qui a permis à la France d'absorber depuis le XIXe siècle les vagues successives d'immigrants. «Si la chanteuse, devenue française en 2021, est un modèle d'intégration, elle n'est pas un parangon de l'assimilation», observe Sami Biasoni. Pour le comprendre, il faut relire les définitions. «Alors que le terme d'intégration admet la possibilité de rester attaché à sa culture d'origine en intériorisant les normes de comportement d'une société, […] le concept d'assimilation renvoie à l'abandon total de la culture d'origine de l'immigrant», écrivait en 2017 la chercheuse Sabine Choquet, spécialiste des politiques de gestion de l'immigration.
 
Assimilationniste en théorie, l'intégration à la française a peu à peu glissé vers un modèle multiculturaliste «de fait», surtout à partir des années 1980, avec le célèbre droit à la différence, et aujourd'hui très en vogue chez les néoprogressistes et au sein des jeunes générations. Le multiculturalisme, pour simplifier, consiste à défendre – et parfois à encourager – une vision de la société dans laquelle coexistent plusieurs communautés culturelles.
 
Aya Nakamura, justement, qui a grandi à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), se revendique surtout du Mali, pays dont elle conserve la nationalité. Interrogée en 2023 sur ses liens avec les Maliens au micro de TV5Monde, soit deux ans après l'obtention de la nationalité française, elle répond : «C'est mes tantes, c'est mes oncles, c'est mes frères, c'est mes sœurs. C'est des gens de la même nationalité que chez moi.» Un discours aux antipodes du modèle assimilationniste, qui suppose un «arrachement» à la communauté d'appartenance traditionnelle.
 
C'est là que le bât blesse, aux yeux d'une partie de l'opinion publique. Il ne lui est pas reproché d'être noire, comme on l'entend à tort parfois, mais seulement de ne pas incarner cette promesse assimilatrice. «Le processus d'assimilation requiert des efforts supplémentaires de part et d'autre. On ne retrouve pas chez Aya Nakamura ce qu'il y a de charnel vis-à-vis de la France éternelle, ni de preuves d'amour. Or les Français sont attachés aux preuves d'amour, aux marques de reconnaissance et n'ont cure de la couleur de peau», observe Sami Biasoni. Cette perception de non-représentation de l'identité française se vérifie aussi dans son style musical, aux influences afrocaribéennes, ainsi que dans ses clips, imprégnés d'imaginaire afro-américain.
 
Hybridation culturelle
 
Pas assimilée, mais indéniablement intégrée, la star serait surtout un symbole de «l'hybridation culturelle» qui s'opère en France, pour reprendre l'hypothèse développée par l'analyste politique Jérôme Fourquet et le journaliste spécialiste des modes de vie Jean-Laurent Cassely, dans La France sous nos yeux (éditions du Seuil, 2021). Les auteurs montrent dans cet essai comment, après sédimentation, un certain nombre de nouvelles couches culturelles issues de l'étranger ont fini par se croiser avec la culture française, donnant naissance à de nouveaux codes, de nouvelles pratiques et de nouveaux personnages.
 
Si l'on suit cette logique, la chanteuse coche toutes les cases. Malienne, devenue française, ayant opté pour un pseudonyme à consonance japonaise emprunté à Hiro Nakamura, personnage du feuilleton télé américain Heroes, elle est la fille de parents griots et l'interprète de tubes mêlant franglais, arabe, argot africain et verlan. Le résultat : du Aya Nakamura, un melting-pot d'influences culturelles parfois déroutant, en particulier pour les anciennes générations. Pour Jérôme Fourquet, que nous avons contacté, «ce mélange, au sein duquel le français est très dilué, est au cœur de ceux qui la rejettent», explique-t-il. Aya Nakamura aux JO et «Jean-Mich» Dujardin de à la cérémonie d'ouverture de la Coupe du monde de rugby 2023, il y a un monde d'écart…
 
Chez les plus jeunes générations, le regard porté sur la chanteuse est au contraire plus positif. Toujours selon l'étude Odoxa, 45 % des 18-24 ans ont une bonne opinion de la chanteuse. «Elle est écoutée par toute une partie de la jeunesse, la même qui a grandi dans ce bain culturel hybridé, qu'elle soit issue de l'immigration ou non», explique Jérôme Fourquet.
 
Cette hybridation à laquelle les jeunes seraient plus sensibles s'explique bien sûr par la mondialisation, mais aussi et surtout par l'immigration. Dans un autre livre, La France d'après, que Jérôme Fourquet vient de publier chez Seuil, l'analyste politique observe, chiffres à l'appui, «un rythme soutenu des flux migratoires entrants depuis la fin des années 1990» et aujourd'hui de «nouvelles vagues d'immigration issues de l'Afrique de l'Ouest (Niger, Sénégal, Togo, Mali…).»
Le nombre de nouveau-nés français portant des prénoms féminins régulièrement donnés dans cette région africaine a été multiplié par plus de trois en quarante ans, passant d'environ 800 Fatoumata, Aminata, Hawa, Awa, Fanta, Bintou, etc., dans les années 1980 à précisément 2.657 en 2021. Et si Aya Nakamura était, déjà, la France de demain ?�
 
 
Illustration :
  • Aya Nakamura en concert. @ DR
  • Vidéo. - Gérard Larcher critique Aya Nakamura et son «ode à la levrette» - Durée 01:36 - Interrogé dans Télématin sur la participation toujours hypothétique d'Aya Nakamura pour l'ouverture des JO, le président du Sénat a confié qu'il n'était guère emballé par le projet. «Je suis allé regarder d'assez près», indique Gérard Larcher, en évoquant «Djadja», le titre planétaire de la chanteuse. notamment le mot «catchaca» – au lieu de catchana –, «une ode à la levrette», précise-t-il. Moquée et critiquée, notamment par l'ultradroite, Aya Nakamura a reçu des soutiens, à commencer par ceux des ministres de la Culture et des Sports.
 
 


28/03/2024
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