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LA CHRONIQUE DE MICHEL WINOCK historien
Presse et démocratie - Sud-Ouest Dimanche

 

 

Sous le titre « Médias et Démocratie», le dernier numéro des « Cahiers français» publie un dossier d’une
actualité brûlante.Le 31 juillet dernier, la grève de quarante jours menée par les journalistes du « Journal du Dimanche » a pris fin sur un échec. Arnaud Lagardère, de mèche avec le repreneur du groupe Vincent Bolloré, est en effet parvenu à imposer à la tête du journal un admirateur d’Éric Zemmour, Geoffroy Lejeune, lui-même remercié par « Valeurs actuelles » à cause de ses positions extrémistes. L’un des fleurons de la presse dite nationale (parisienne) qui, pendant des décennies, avait tenu une ligne de modération politique, ouverte et soucieuse avant tout d’information, est ainsi tombé sous la baguette d’un héraut de l’extrême droite. Sur le plan légal, il n’y a rien à redire. Le propriétaire du journal est libre de nommer qui il veut à la tête de sa rédaction. La plupart des lecteurs de l’hebdomadaire dominical ne se sont pas moins indignés, à juste titre, de la toute puissance de l’actionnaire, en droit de faire ce que bon lui semble quand bien même ses journalistes s’y opposent de manière unanime.


Ce conflit s’est terminé par la victoire de l’argent sur la liberté éditoriale. Dans son entretien accordé aux « Cahiers français », Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières, observe que « ce sont les concentrations verticales des médias, lesquels sont tenus par des groupes industriels possédant des intérêts dans d’autres secteurs de l’économie », qui démarquent le plus la France d’autres pays. 70 % des Français mettent en question l’indépendance éditoriale dans cette configuration. L’indépendance des journalistes face à l’arbitraire de l’actionnariat peut pourtant être sauvegardée : dans certains journaux comme « Le Monde » ou « Libération », la nomination du directeur de la rédaction doit être avalisée par la rédaction.Le législateur pourrait rendre obligatoire cette pratique.(commentaire :ce qui ne conduit pas toujours à la perfection en matière de lutte contre le populisme)


Les chiffres attestent la réalité du déclin de la presse écrite.18 % des Français seulement, lisent la

presse quotidienne (nationale et régionale) tandis que 62 % s’informent sur les réseaux sociaux. À leur début, ces sites et applications ont donné le sentiment d’être de formidables instruments au service de la démocratie. En réalité, comme le montre Brice Couturier, l’effet des réseaux sociaux est à double tranchant. Dans les régimes autoritaires, il faut leur reconnaître la capacité de former un contre-pouvoir,
parfois mobilisateur ; une source d’information qui échappe aux vérités officielles, aux mensonges d’État, à la propagande idéologique ou religieuse. Dans les pays démocratiques, en revanche, l’heure est au désenchantement. L’information mal contrôlée, douteuse, les algorithmes qui enferment les usagers dans des « communautés de certitudes», les concours de haine… Autant de phénomènes qui favorisent l’adhésion au discours populiste et polarisent parfois à l’extrême le débat public avec des conséquences qui peuvent
être redoutables. Aux États-Unis, l’assaut du Capitole, le 6 janvier 2021 en a été l’effarante démonstration.  « C’est parmi les personnes qui privilégient les réseaux sociaux comme source principale d’information, écrit Brice Couturier, que l’on rencontre le plus d’adhésion aux théories complotistes, d’entérinement des thèmes de la propagande de puissances hostiles comme la Russie. » De surcroît, ces réseaux captent une grande partie des recettes publicitaires, au détriment de la presse traditionnelle.


Un autre phénomène, analysé par Bruno Patino, journaliste spécialiste de l’information numérique, est « la fatigue informationnelle». Le citoyen d’aujourd’hui pris dans un tourbillon affolant de nouvelles que lui servent les chaînes de télévision d’information continue, les radios et les réseaux sociaux est comme un boxeur sonné de coups, un citoyen sonné de scoops, accablé de faits sans lendemain. Alors, il déserte. 36 % des Français se méfient de ce que disent les médias sur les grands sujets d’actualité (20 % en Finlande, 14 % au Japon). Ces déserteurs de l’information, repliés sur leur vie individuelle, constituent une grande part des bataillons de l’abstentionnisme électoral.


La Commission européenne a adopté à l’été 2022 une réglementation, le Digital Services Act (DSA), obligeant les plateformes à se montrer plus exigeantes avec le contenu des réseaux sociaux sur plusieurs
points clés comme la transparence, le retrait des contenus illégaux,la protection des utilisateurs vulnérables. Ce n’est qu’un début, il faudra encore beaucoup de temps et de persévérance pour assainir la situation.
Pour l’heure, la grande loi de 1881 sur la liberté de la presse en France est défiée par la révolution numérique.



24/09/2023
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