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ÉDITORIAL
Bout de tissu, rideau de fumée

 

Menacé d’être emporté par une vague semblable à
celle de 1979, fatale à la dynastie des Pahlavi, le régime
iranien se voit contraint de lâcher du lest sur l’aspect
le plus identitaire de son idéologie. Le port du voile est, en
effet, la clé de voûte d’un cadre social et juridique qui consacre
la suprématie des hommes sur les femmes tout en prétendant
l’asseoir sur le Coran.


Les mollahs de Téhéran n’ont pas l’intention de renoncer à
ce symbole de la révolution khomeyniste. Cela reviendrait, estiment
le Guide suprême et ses soutiens conservateurs, à céder
à la rue et satisfaire leurs ennemis étrangers. Il est simplement
question d’en abolir l’aspect le plus répressif, à savoir
ces milices de vertu qui traquent les entorses au code vestimentaire
et font partie des institutions les plus détestées par la population.


Voyant que leur police des moeurs est débordée depuis
trois mois, les autorités ne peuvent plus en justifier l’existence.
Cheveux au vent ou fraîchement coupés, les Iraniennes, en entraînant
dans leur sillage des hommes eux aussi exaspérés, ont déjà
fait reculer le régime. Et le mettent au défi d’aller plus loin en renonçant
à toute obligation du port du voile.


En 1979, la majorité des femmes arboraient le tchador noir
pour s’opposer au Shah. C’était une arme, un moyen de refuser
un régime soumis à l’Occident. Un symbole donc.

Mais les Iraniennes ne demandaient pas
qu’on les oblige à se voiler. Dès que Khomeyni l’a fait, beaucoup
d’entre elles sont entrées en dissidence et cela n’a pas
cessé depuis quarante ans.


Faute de vouloir s’en souvenir, les théocrates chiites se sont
coupé de la population. Au lieu d’admettre qu’une femme
puisse porter ou non le voile selon ses convictions, ce que le
Shah avait aussi oublié en sens inverse en le bannissant pour
toutes en 1935, ils se sont enfermés dans un cycle répressif,
plus vicieux que vertueux.


Les Iraniens sont d’autant plus furieux qu’en faisant d’un
bout de tissu l’alpha et l’oméga de leur politique avec la conquête
de la bombe nucléaire, les mollahs oublient l’essentiel,
à savoir les conditions de vie des 80 millions d’Iraniens. Pauvreté,
inégalités, sécheresses, pollutions des eaux, autant de
défis majeurs mal gérés. Et la population, dont la moitié féminine
est la mieux éduquée de tout le Moyen Orient, n’est plus
disposée à s’en laisser conter.


Après un cycle théocratique qui succédait à un demi-siècle
d’empire autoritaire, la société iranienne aspire à autre chose
qu’un sempiternel débat sur le voile qui bouche la vue sur les
vrais enjeux.

Christophe LUCET éditorial Sud-Ouest



05/12/2022
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