406-les vrais objectifs de la réforme du renseignement 1 post

Le pouvoir judiciaire placé au coeur de la lutte antiterroriste

Alors, quelle est la vraie raison de cette réforme qui n'en est pas une? Elle est à chercher, hélas, dans des motifs regrettables. Pour le comprendre, il faut savoir comment fonctionnait en France la lutte antiterroriste, qui avait permis l'élaboration d'un modèle français d'une grande originalité et sans doute aussi d'une grande efficacité. Après la vague d'attentats que la France a subis dans les années 80, le pouvoir politique d'alors (et les suivants) s'est trouvé confronté à des contradictions quasiment insolubles.

Alors que la lutte antiterroriste n'était nulle part dans le monde une priorité, sa politique d'ouverture sur les pays arabes, plutôt originale en Occident, s'est trouvée en porte-à-faux. Ouvrir un front contre le terrorisme risquait de compromettre les relations que la diplomatie française voulait conserver au Proche et Moyen-Orient, mais en même temps il fallait bien se prémunir contre les bombes qui explosaient en plein Paris.

Le choix français a donc été d'organiser la lutte antiterroriste autour d'un pôle judiciaire composé, à Paris, de magistrats spécialisés qui oeuvraient dans l'ombre et la discrétion qui sied souvent à l'action de la justice autant qu'aux services de renseignement. Et force est de dire que tout le renseignement français s'est organisé autour des juges d'instruction antiterroristes, réunis derrière la forte personnalité de Jean-Louis Bruguière.

Le système français était donc doublement original: tandis que la justice est traditionnellement en France la cinquième roue du carrosse de l'Etat, elle est devenue, dans la lutte antiterroriste, le coeur du dispositif. Y compris pour la DST, qui s'est trouvée chargée de la mise en oeuvre conjointe, mais sous une direction de fait des juges, de la lutte antiterroriste.

Avec ce système, la France se distinguait aussi des autres pays, dans lesquels la justice ne joue jamais un rôle pilote en matière de renseignement. Bien entendu, les juges français ne dirigeaient pas la DST, mais celle-ci n'agissait que dans leur sillage et sous son contrôle, dans le cadre des enquêtes menées par le pôle antiterroriste.

Nombreux sont ceux, bien entendu, qui ont critiqué les "bavures" d'un tel système. Il n'empêche qu'on peut lui attribuer l'efficacité grâce à laquelle, au bout de quelques années, la France s'est trouvée épargnée par le terrorisme international.

La réforme actuelle permet à l'exécutif de reprendre la main

Jean-Louis Bruguière a pris aujourd'hui sa retraite et un nouveau pouvoir politique, dirigé par un ancien ministre de l'Intérieur qui a souvent manifesté son peu d'affinités avec la justice, s'est installé.

Le but de la réforme est donc là: reprendre la main aux juges en transférant vers un grand service intégré dans le ministère de l'Intérieur la direction effective de la lutte antiterroriste.

Avec cette nouvelle orientation, dont on voit que la réforme structurelle ne fait que cacher la véritable finalité, se dessinent trois changements majeurs de la stratégie française.

Le premier est l'élimination de la justice du dispositif antiterroriste. Autrefois pilote, elle se trouve ramenée au rôle d'exécutante.

Le second est l'alignement sur les Etats-Unis, qui ont fait de la menace antiterroriste la seule et unique menace sur laquelle sont mobilisés tous les moyens de l'Etat, aussi bien sur le plan du renseignement que sur celui de la police.

Le troisième en est la conséquence: les autres menaces -crime organisé, trafics, délinquance économique et financière, etc.- sont reléguées au second plan, et même carrément ignorées puisque la future DCRI ne recevra aucune attribution pour la lutte contre ce type de crimes et délits.

Pendant ce temps, le ministre de la Justice signait pourtant dans Le Figaro avec plusieurs de ses collègues européens, une sorte de déclaration de foi qui laisse perplexe:

"Anciennes et nouvelles 'mafias' parlent plusieurs langues et sont capables de saisir toute opportunité de profit au travers et au-delà des frontières.

"Aux trafics de drogues et d'armes traditionnels s'ajoutent des 'business' très lucratifs. Elles savent pénétrer l'économie licite, en développant à des fins de blanchiment des systèmes financiers sophistiqués et en profitant de la dimension globale des marchés pour leurs opérations illicites.

"Ces associations de malfaiteurs peuvent tisser des liens avec d'autres organisations criminelles."

Qui trouverait à redire à un tel constat? N'est-il pas ainsi évident que le renseignement et l'"intelligence" devraient être au coeur des nouvelles techniques d'enquête contre ces menaces?

Le malheur est qu'il n'en est rien, et que la lucidité du constat ne débouche que sur des retouches insignifiantes de la coopération judiciaire, à des années-lumière des besoins. Et l'on aura détruit entre-temps le modèle français de la lutte antiterroriste, l'un des rares dispositifs qui avait montré son efficacité.

Extraits de l'article de Jean de Maillard,magistrat,pour Rue 89



20/09/2007
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