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Elections européennes : « Attention à la théorie des gènes sauteurs ! »


Brice Soccol : « Les décideurs politiques sont de plus en plus soumis à l’opinion publique et de moins en moins enclins
à suivre une ligne, une vision, un projet de société » L'Opinion

 

 

 

Avez-vous déjà entendu parler des gènes sauteurs ? C’est une grande scientifique, une femme, ayant d’ailleurs reçu le prix Nobel en 1983, Barbara McClintock, qui a fait leur découverte.


La théorie des gènes sauteurs a été tellement peu comprise et acceptée à l’époque par ses contemporains qu’elle a même décidé d’arrêter de publier ses résultats de recherches, avant que d’autres découvertes ne les remettent à l’ordre du jour et ne lui valent la reconnaissance du monde.


Mais que signifie l’idée de ces gènes sauteurs et pourquoi est-elle susceptible de provoquer une certaine gêne ? Barbara McClintock a mis en évidence le fait que les chromosomes ne sont pas fixes ni stables, mais contiennent plutôt des morceaux d’ADN qui sautent d’un côté à l’autre. Concrètement, ces éléments transposables peuvent sauter d’une espèce animale à une autre, même si elles sont très éloignées. Ces transferts horizontaux ont été constatés par exemple chez certains poissons ; c’est ainsi que la protéine antigel du hareng de l’Atlantique s’est retrouvée chez l’éperlan.
Mais pourquoi vous parler ainsi de gènes qui migrent d’un génome à l’autre ? Parce qu’à l’approche des élections européennes, certains gènes politiques semblent migrer de manière horizontale d’un parti à l’autre…

 

 

Rhétorique.

 

Prenons, par exemple, la notion de souveraineté, qui constitue un fonds de commerce du Rassemblement national depuis des décennies. Cette notion – ayant sans doute pris une coloration nouvelle durant la crise sanitaire –est pourtant de plus en plus largement utilisée par l’ensemble de la classe politique.Il est désormais question de souveraineté énergétique, de souveraineté industrielle. La guerre en Ukraine a également contribué à poser dans le débat public l’idée de souveraineté alimentaire ; ce qui fait que le gouvernement d’Elisabeth Borne a même rebaptisé en 2022 le «ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation» en «ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire ».Cette nouvelle rhétorique est d’ailleurs tout à fait assumée par le président de la République, Emmanuel Macron, qui, lors du Salon de l’agriculture, a promis que la future loi reconnaîtrait l’agriculture comme étant d’un « intérêt général majeur de la nation française ». Le parti du Rassemblement national semble, de son côté, lui aussi, avoir été touché par les « éléments transposables », puisque ses représentants expliquent qu’ils ne sont« plus pour une sortie [de la France ] de la politique agricole commune (PAC), mais pour une renationalisation ».


De même, La France Insoumise n’échappe pas aux gènes sauteurs et on a encore pu le constater à l’occasion des massacres perpétrés par le groupe terroriste du Hamas en Israël. En effet, alors que les représentants de ce parti
étaient accusés d’attiser l’antisémitisme en refusant de condamner clairement les crimes du 7 octobre dernier, la députée LFI Clémentine Autain avait déclaré sur l’antenne d’une radio nationale : « Comment imaginer que le combat
contre l’antisémitisme ne soit pas un combat de la gauche ? »


Nous pourrions illustrer ces gènes sauteurs d’une famille politique à l’autre sur les thèmes de l’immigration, de l’environnement ou encore de l’énergie à la suite des attentats, avait décidé d’étendre la déchéance de nationalité à tous les binationaux condamnés pour terrorisme, une mesure proposée par le parti du Front National de l’époque

ainsi que par le parti Les Républicains.


« Prêt au tournant ». Par quels mécanismes ces transpositions d’un parti à l’autre se font-elles ? Qu’est-ce qui fait sauter ces gènes ? Les intérêts nationaux ? Les ambitions personnelles ? Certainement. Sans compter les crises des dernières années qui ont mis à mal certaines prémisses sur lesquelles les partis s’étaient depuis toujours reposés. On peut aussi rappeler que l’art de gouverner semble n’obéir qu’aux circonstances, comme souvent dans l’histoire politique. Edgar Faure ne disait il pas qu’« en toute chose, il faut être,selon cette expression russe difficile à traduire, porovotliévy,
prêt au tournant » ?


Il semble toutefois que les décideurs politiques soient de plus en plus soumis à l’opinion publique et de moins en moins enclins à suivre une ligne, une vision, un projet de société. Tout se passe comme s’il fallait décider à l’opinion et gouverner à l’opinion. Mais la question qui se pose alors est la suivante : devenir le porte-parole du peuple est-il compatible avec la création d’un imaginaire et l’édification d’un récit national ou européen ? La versatilité des opinions est-elle conciliable avec la « prévoyance » politique et l’engagement dans le temps long ?


Ils ne datent d’ailleurs pas d’hier, comme on avait pu le constater, en 2016, période de précampagne électorale, lorsque François Hollande, à la suite des attentats, avait décidé d’étendre la déchéance de nationalité à tous les

binationaux condamnés pour terrorisme, une mesure proposée par le parti du Front National de l’époque ainsi que par le parti Les Républicains.


« Prêt au tournant ».

 

Par quels mécanismes ces transpositions d’un parti à l’autre se font-elles ? Qu’est-ce qui fait sauter ces gènes ? Les intérêts nationaux ? Les ambitions personnelles ? Certainement. Sans compter les crises des dernières années qui ont mis à mal certaines prémisses sur lesquelles les partis s’étaient depuis toujours reposés. On peut aussi rappeler que l’art de gouverner semble n’obéir qu’aux circonstances, comme souvent dans l’histoire politique. Edgar Faure ne disait il pas qu’« en toute chose, il faut être, selon cette expression russe difficile à traduire, porovotliévy,prêt au tournant » ?


Il semble toutefois que les décideurs politiques soient de plus en plus soumis à l’opinion publique et de moins en moins enclins à suivre une ligne, une vision, un projet de société. Tout se passe comme s’il fallait décider à l’opinion et gouverner à l’opinion. Mais la question qui se pose alors est la suivante : devenir le porte-parole du peuple est-il compatible avec la création d’un imaginaire et l’édification d’un récit national ou européen ? La versatilité des opinions est-elle conciliable avec la « prévoyance » politique et l’engagement dans le temps long ?


Ces questions sont importantes, à quelques mois des élections européennes, puisqu’on retrouve également en Allemagne la théorie des gènes sauteurs. N’oublions pas, par exemple, que dans les années 2000, le chancelier Gerard
Schröder, membre du SPD, avait pourtant fait le choix de réduire les allocations-chômage, créant ainsi tout un secteur à bas salaires, afin de regagner de la compétitivité à l’exportation.

 

 

Plus récemment, la crise sanitaire n’aurait-elle pas fait muter le gène allemand ? Tout d’abord, ce pays s’est libéré de son obligation constitutionnelle et a contracté un emprunt de 156 milliards d’euros, puis s’est engagé avec la France
en faveur d’un plan de relance financé par une dette commune. Enfin, son gouvernement a validé un grand programme d’investissements publics financés par l’emprunt ! Certes, cette transformation génétique de l’Allemagne n’a pas été durable – le pays semblant avoir refermé la parenthèse de son rapport nouveau à la dette avec Olaf Scholtz, prenant le risque de nouvelles crises sociales – mais elle constitue un symbole.


Défi.

 

Le gène sauteur est passé du conservateur Wolfgang Schäuble, membre de la CDU et ancien ministre des finances de 2009 à 2017 au chancelier Olaf Scholtz, membre du SPD, mais dans un contexte géopolitique qui dégrade l’économie allemande et fragilise le projet européen.

 

Tout cela fait les affaires du parti d’extrême droite, l’Alternative für Deutschland (AfD), qui a franchi le seuil des 20 % dans les sondages. L’AfD, comme le Rassemblement national en France, fait glisser la politique allemande vers la droite, affaiblissant ainsi les deux grands pays moteurs de l’Europe.
Comment alors ne pas se souvenir de ces propos d’Emmanuel Macron prononcés à la Sorbonne, en 2017: « Les passions
tristes de l’Europe sont bien là, qui se rappellent à nous, et elles fascinent (…). Elles rassurent (…). Non parce que
l’idée européenne est morte ! Mais parce que nous avons, par inconscience, faiblesse ou aveuglement,créé les conditions de leur victoire. Parce que nous avons oublié de vouloir le fil de cette ambition ! ».


C’est aujourd’hui un problème et un défi pour l’Union européenne.Pour répondre aux nationalismes et aux grands enjeux géopolitiques, l’Europe doit être souveraine ; une souveraineté non pas basée sur la souveraineté étatique, mais sur la souveraineté populaire. Les crises qui se sont succédé depuis le début des années 2000 (crise financière en 2007-2008,crise de la dette souveraine, crise des réfugiés en 2015,crise de la covid, guerre en Ukraine…)ont démontré que l’Europe doit muter, passant d’une entité juridique et commerciale à une entité politique. La réalité nous conforte dansl’idée d’une Europe qui devrait agir comme un « multiplicateur de puissance », comme l’appelait de ses voeux Jacques Chirac, mais également comme un corps politique associant pleinement les peuples européens. Le temps est donc venu de parler aux peuples européens avec clarté, sincérité, courage et ambition !


Il y a urgence, car en attendant, ces transpositions d’un parti à l’autre, ces sauts et soubresauts de gènes n’affaiblissent pas seulement les mouvements politiques,ils les tuent à petit feu et participent paradoxalement à la fois au désengagement des citoyens qui se détournent de plus en plus des urnes et au développement des populismes. A la veille des prochaines élections européennes, la vraie question est de savoir si les hérédités politiques et idéologiques

survivront à notre nouvel environnement géopolitique et climatique ou si nous allons voir apparaître une nouvelle
espèce politique…


Brice Soccol

Regard sur les Vingt-Sept
Diplômé de l’ESSEC et de l’Institut des hautes études internationales,
Brice Soccol a été chargé de mission au Parlement européen pour l’UDF et délégué général du Parti Radical. Ancien conseiller puis directeur de cabinet adjoint de Jean-Louis Borloo, il est aujourd’hui président du cabinet de conseil Public & Private Link, spécialiste du développement territorial, et l’auteur de 577 députés à élire (SG presse).


« Ces sauts et soubresauts de gènes n’affaiblissent pas seulement les mouvements politiques, ils les tuent à petit feu et participent paradoxalement à la fois au désengagement des citoyens qui se détournent de plus en plus des urnes et au développement des populismes »



13/03/2024
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