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«Ce que l’on n’ose plus dire… quand on est de gauche»

  • propos recueillis par Kévin Badeau, pour Le Point - février 2024
INTERVIEW. Le journaliste Thierry Keller, qui vient de publier un livre, analyse l’autocensure qui sévit à gauche de l’échiquier politique.
 
À gauche, il y a des sujets que l'on évite, des remarques que l'on garde pour soi et des points de vue que l'on remise au grenier. Dans son dernier essai, Quand on n'ose plus rien dire de peur de passer pour un réac (éditions de l'Aube), le journaliste Thierry Keller noircit 279 pages sur ces thématiques que les partisans d'une gauche modérée – la bonne vieille gauche universaliste, laïque et républicaine – n'osent plus aborder de peur d'être taxés de «fachos» ou de «boomers».
 
Ce livre, qui peut aussi bien servir de guide pour résister au «qu'en-dira-t-on gauchiste», en dit long sur l'effondrement de la liberté d'expression au sein de la gauche, qui, en plus de lutter pour sa survie politique, doit en même temps se défaire du virus woke. Entretien.
 
Le Point : Sur quoi n'ose-t-on plus rien dire quand on est de gauche ?
 
Thierry Keller : Sur le genre, par exemple ! Nous sommes tétanisés tant ce sujet très intime est devenu hautement sensible. C'est encore plus le cas depuis la publication par le Planning familial d'un visuel illustrant un couple dont l'un des deux partenaires était un homme transgenre «enceint». Cette association, qui a défendu le droit des femmes pendant des décennies, reprend désormais à son compte la sémantique transactiviste.
Pour mémoire, ce courant idéologique connu pour sa radicalité défend le droit des personnes trans. Alors, de peur de froisser ou de dire une connerie, nous préférons la plupart du temps fermer notre gueule…
 
Le genre, mais pas uniquement…
 
La place du vivant, aussi. Une partie de la gauche écologiste accorde à la nature un caractère originel extrêmement pur. Une frange de cette galaxie est même alignée sur la position du Vatican : «Dieu a créé la Terre, la Terre est sacrée, donc on ne touche pas !» Fin du débat.
 
Cette forme d'autocensure que vous décrivez au sein de la gauche traditionnelle est-elle plus insidieuse que la censure elle-même ?
 
Difficile de distinguer les deux, mais les conséquences de l'autocensure sont extrêmement graves. Ceux qui n'osent plus rien dire laissent libre cours à ceux qui ne se censurent pas. Qui ne se censure pas ? D'un côté les militants gauchistes, agressifs et intolérants.
De l'autre, les partisans d'une nouvelle extrême droite qui se permet de dire des horreurs au motif qu'il faudrait desserrer l'étreinte du wokisme. Si l'on «n'ose plus rien dire», car coincé entre le marteau gauchiste et l'enclume d'extrême droite, on sombre dans la désespérance.

«Dans l’hypothèse où l’on s’aventurerait à émettre une réserve sur tel ou tel concept en vogue au sein de la gauche gauchiste, on passe immédiatement pour un suspect.»

 
Que se passe-t-il quand une personne de gauche «ose dire» ?
 
Dans l'hypothèse où l'on s'aventurerait à émettre une réserve sur tel ou tel concept en vogue au sein de la gauche gauchiste, on passe immédiatement pour un suspect. Si l'on va plus loin, on s'expose à plusieurs noms d'oiseau : facho, réac ou boomer. Dans le pire des cas, on est tout bonnement excommunié. La sanction est immédiate !
 
Réac, est-ce une insulte à gauche ?
 
C'est une insulte, bien sûr. Elle vous range dans le camp d'en face. Mais qu'est-ce qu'un réac, réellement ? C'est une personne en réaction par rapport au progrès du temps et qui préfère le statu quo. En tant que personne de gauche, les progrès de l'époque me vont parfaitement, mais j'assume le fait de préférer maintes fois le statu quo, en particulier sur l'universalisme et la laïcité. Et tant pis si, là, je passe pour un réac.
 
Vous êtes un conservateur de gauche.
 
Et je m'en réclame sur certains sujets, en particulier la République. La gauche radicale se pose mille questions : ne sommes-nous pas, finalement, un affreux État néocolonialiste ? Ne produisons-nous pas d'odieuses violences systémiques à l'égard des minorités ? La Révolution de 1789 n'était-elle pas, au bout du compte, l'imposition d'un ordre masculiniste sur un autre ? Ces questions traversent d'ailleurs l'ensemble de la société française, qui ressent un fort sentiment de culpabilité. Ce constat-là ne me convient pas.
 
Que préconisez-vous ?
 
Il faut aller au bout du projet républicain, laïque et universel. Je n'ai pas de baguette magique et je n'ai pas vocation à proposer un programme clé en main. Mais sur l'école, par exemple, il est clair qu'il y a plein de choses à faire, à commencer par redonner confiance aux profs, encore traumatisés par les assassinats de Samuel Paty et Dominique Bernard. Ou sur les banlieues, que l'on regarde encore avec les yeux d'un exotisme de gauche qui, en définitive, méprise ceux qui y vivent et sont victimes de la loi du plus fort.
 

«Ouvrons les yeux ! Le Royaume-Uni est la caricature de l’échec du communautarisme.»

 
Si vous jetez la République avec l'eau du bain, plus rien ne nous rassemble. Que veut la gauche woke ? Un projet multiculturaliste à l'anglo-saxonne. Ouvrons les yeux ! Le Royaume-Uni est la caricature de l'échec du communautarisme. Que ce soit sur l'islamisme, avec l'imposition d'un «Londonistan» dans la capitale anglaise, ou cette forme de «ségrégation raciale», où chaque ethnie vit chacune de son côté.
 
Le wokisme est-il l'avenir ou le fossoyeur de la gauche ?
 
Son fossoyeur, sans hésitation. La gauche traditionnelle développe une vision universaliste et globale. Le wokisme, quant à lui, pense en silo. Dès que l'on saucissonne les luttes et que l'on appelle ensuite à la convergence, la fameuse intersectionnalité, on n'est plus de gauche. Quand la gauche universaliste vise l'émancipation des individus, le wokisme les enferme dans leur identité initiale. C'est très grave, en plus d'être une redoutable perte de temps.�
 
 
  • Illustration : Thierry Keller présente «Quand on n'ose plus rien dire de peur de passer pour un réac», éditions de l'Aube, janvier 2024, 288 pages, 19 € (papier), 12,99 € (numérique). @ Thierry Keller
Peut être un graphique de 1 personne et texte qui dit ’QUAND THIERRY KELLER ON N'OSE PLUS RIEN DIRE PR DE PEUR DE PASSER POUR UN RÉAC l'aube’
 


23/02/2024
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