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Agriculture : en finir avec la «souveraineté alimentaire»

  • par Ferghane Azihari, pour Le Point - janvier 2024
Serait-elle composée de 70 millions de paysans à temps plein, la France ne pourrait pas subvenir seule à ses besoins. Souveraineté alimentaire ! Voici désormais le maître mot de la politique agricole. Ce terme ronflant renvoie à la capacité d'un pays à assurer ses approvisionnements. Une évidence ! En dehors des sectes décroissantes, rares sont les sains d'esprit qui militent pour l'insécurité alimentaire. Reste à savoir comment obtenir cette sécurité dont tout le monde se réclame.
 
La révolte des agriculteurs a été le prétexte à la stigmatisation du libre-échange, entre autres boucs émissaires. La mondialisation à travers laquelle la France importe 20 % de son alimentation aurait érodé cette souveraineté. Ici, souveraineté se confond avec production locale. Comme s'il existait un âge d'or où la France et l'Europe étaient autosuffisantes. Les protectionnistes auraient toutefois bien du mal à identifier pour nous cette époque bénie où la France pouvait se contenter de la production locale pour assouvir ses besoins les plus fondamentaux.
 
L'autosuffisance sera toujours une chimère
 
De quelle période parle-t-on ? Parle-t-on de l'après-guerre où la France achetait près de la moitié de son matériel agricole en Europe, principalement en Allemagne ? La salubrité du débat gagnerait à ce que les agriculteurs qui fustigent les Français qui n'achètent pas toujours local révèlent la marque de leurs machines ou l'origine du carburant qui sert à les alimenter. Il n'est pas certain que les éléments qui composent ces instruments de production viennent tous du Cantal.
 
Parle-t-on alors de l'entre-deux-guerres, lorsque la France importait un quart de sa consommation nationale ? Parle-t-on de la décennie qui a précédé la guerre mondiale, quand la France importait entre 600.000 et 1,5 million de tonnes de céréales par an et quand le Royaume-Uni, qui dominait le monde, importait trois quarts de ses denrées alimentaires ? Par où l'on voit que l'autosuffisance est et sera toujours une chimère. La France, comme bien d'autres pays, a beau avoir mis en œuvre des politiques protectionnistes à divers degrés, elle ne s'est jamais passé de la division internationale du travail.
 
Pourtant, l'hégémonie des préjugés protectionnistes et rousseauistes conduit l'honnête homme à assimiler le localisme à la sécurité ou, pour reprendre un terme à la mode, à un mode d'approvisionnement plus résilient aux accidents. C'est oublier que dans les temps où les campagnes étaient enclavées, les moindres caprices de la nature plongeaient des provinces et des villages entiers dans l'insécurité : «Le peuple ressemble à un homme qui marcherait dans un étang, ayant de l'eau jusqu'à la bouche, à la moindre dépression du sol, au moindre flot, il perd pied, enfonce et suffoque», écrit le grand historien Hippolyte Taine pour rendre compte de cette précarité.
 
Il est utile de rappeler la fonction du libre-échange
 
Dès le XVIIIe siècle, les physiocrates plaideront en faveur de la libre circulation des grains pour augmenter la résilience des systèmes d'alimentation. Au siècle suivant, la révolution des transports désenclave les campagnes. La constitution d'un vaste marché intérieur permet aux campagnes françaises de se spécialiser et d'importer les surplus extérieurs en cas de disette.
 
La crise agricole qui accompagne la fin de la monarchie de Juillet en raison de la maladie de la pomme de terre et d'une météo capricieuse est atténuée par l'importation massive de blé russe. Opposer subsistance nationale et production étrangère n'a aucun sens.
 
Serait-elle composée de 67 millions d'ouvriers ou de paysans à temps plein, la France ne pourrait pas plus subvenir seule à ses besoins que les autres nations. La souveraineté alimentaire ne peut donc pas se réduire à une opposition entre les producteurs autochtones et étrangers.
 
Elle invite à réfléchir à ce que nous voulons produire ici et aux denrées que nous laissons aux fournisseurs étrangers. De ce point de vue, la sécurité alimentaire est le pouvoir d'achat que procure une économie productive et spécialisée qui permet à une nation prospère d'obtenir tout ce qu'elle désire auprès de tous les producteurs de la planète, qui n'ont aucun intérêt à bouder 67 millions de consommateurs fortunés. Cela tombe bien. C'est la fonction du libre-échange.�
  • Illustration : Ferghane Azihari est essayiste, membre de la Société d'économie politique et délégué général de l'Académie libre des sciences humaines. Également auteur de «Écologistes contre la modernité - Le Procès de Prométhée» (Presses de la Cité). @ Philippe Matsas
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20/02/2024
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