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«Quand le néoféminisme tue l’amour»

  • par Eugénie Bastié, pour Le Figaro - janvier 2024
Dans La Terreur jusque sous nos draps (Plon), Noémie Halioua lance un cri plein de passion contre le nouveau puritanisme qui prétend réduire le rapport homme-femme à une relation de pouvoir et de domination. Salutaire.
 
«Nos utérus ne sont pas une affaire d’État», répondait doctement la députée Sandrine Rousseau, interrogée sur l’ambition proclamée par Emmanuel Macron d’un «réarmement démographique» de notre pays. Sortie surprenante de la part de celle qui déclame à longueur de temps le psittacisme «le privé est politique». C’est qu’à croire les néoféministes seul l’entrejambe des hommes est une affaire d’État : les hommes (qui plus est blancs et âgés comme Gérard Larcher) n’ont pas d’avis à donner sur le corps des femmes, mais les femmes, elles, sont autorisées à leur guise à essentialiser la masculinité (toxique), à la remodeler, à la façonner. La politique de l’intime est fustigée quand il s’agit de relancer la natalité, mais réclamée quand il s’agit de déconstruire l’homme (partage des tâches ménagères, éducation à la lutte contre les stéréotypes, jouets non genrés et autres billevesées).
 
C’est contre cette légitimation de la misandrie que Noémie Halioua lance un cri passionné et courageux. Dans La Terreur jusque sous nos draps (Plon), la jeune journaliste décortique avec ardeur et finesse l’impitoyable propagande féministe qui prétend réduire la relation entre les hommes et les femmes (idéologiquement rebaptisée «hétérosexuelle») à un rapport de pouvoir, de lutte et de domination univoques. La chair n’est pas triste, rappelle-t-elle dans ce livre, à une époque où la liberté sexuelle est à la fois brandie comme un totem et traquée dans ses conséquences pratiques.
 
Venant d’un milieu juif orthodoxe de Sarcelles où régnaient la police du vêtement et la non-mixité, la jeune femme pensait en avoir fini avec ce qu’elle appelle «la dictature de la vertu». Mais quelle ne fut pas sa surprise de rencontrer à l’âge adulte «un discours moral tout aussi oppressif, une culpabilisation de la femme et une misandrie décomplexée» émanant, non pas de religieux, mais de militantes néoféministes prônant un nouveau «sexuellement correct». Un discours anxiogène où tout devient politique, du pipi debout au barbecue, en passant par le dessin animé. L’amour devient un danger social où les pervers narcissiques se cachent derrière chaque oreiller.
 
Un monde sans risque
Halioua se lance dans une analyse détaillée de l’évolution des représentations culturelles offertes aux petites filles d’aujourd’hui. Les contes pour enfants sont désormais expurgés de toute référence sexiste : La Belle au bois dormant n’est plus l’évocation d’une résurrection par l’amour mais une apologie de la culture du viol. La Petite Sirène («climax du sexisme» (sic), selon Camélia Jordana) n’est plus une affranchie qui prend tous les risques pour l’être aimé, mais une pauvre petite chose sous emprise. Barbie n’est plus une bimbo aux mille facettes alimentant l’imaginaire des fillettes, mais une militante qui s’émancipe en renonçant à l’amour. La dernière héroïne de Disney, Vaiana, est la première princesse sans prince charmant, et ses producteurs se vantent d’avoir créé un dessin animé où «il n’y a absolument aucune romance».
 

«Loin de vouloir "réinventer l’amour", comme le propose l’essayiste préférée des dindes diplômées Mona Chollet, Noémie Halioua veut le conserver, le magnifier, l’entretenir. L’amour n’est pas un contrat, un jeu de Lego, mais un "merveilleux danger" et le "refuge ultime de la liberté".»

 
Loin de vouloir «réinventer l’amour», comme le propose l’essayiste préférée des dindes diplômées Mona Chollet, Noémie Halioua veut le conserver, le magnifier, l’entretenir. L’amour n’est pas un contrat, un jeu de Lego, mais un «merveilleux danger» et le «refuge ultime de la liberté». «L’amour n’est pas égalitaire», «les lois du cœur sont irrésistiblement anarchiques», rappelle-t-elle. Celles qu’elle appelle les «pantouflardes» de l’amour veulent en réalité un monde sans risque et sans souffrance.
 
Les pathologies féminines mutent. Le bovarysme a été remplacé par l’oblomovisme (du nom du personnage de Gontcharov qui reste toute la journée allongé). La maladie du romantisme a été remplacée par une épidémie de flemme. Et ça marche : 43 % des jeunes Français de 18 à 25 ans n’ont eu aucun rapport sexuel en 2022 (leur préférant des substituts virtuels pornographiques), 8 millions de personnes vivent seules en France. Le désir s’éteint et le ressentiment prospère.
 
Une demande conservatrice
Non sans quelques contradictions. Noémie Halioua remarque le succès d’une littérature féminine sadomasochiste, comme le best-seller Cinquante nuances de Grey, écrit par une femme et dévorée par des mères au foyer quinquagénaires, au grand dam des néoféministes consternées du manque de sororité de ces femmes qui fantasment leur soumission consentie aux hommes. Elle se demande d’ailleurs s’il n’y aurait pas dans le succès inouï de la «dark romance», plébiscité également par les jeunes filles de la génération Y ou Z, une sorte de retour de bâton de l’ordre moral post-MeToo.
 
Elle touche du doigt un aspect fondamental qu’elle ne creuse pas dans le livre : il y a un élément de terreur dans le féministe «metooïste», mais aussi un élément contre-révolutionnaire, une sorte de catharsis souterraine. Un retour de balancier d’une libération sexuelle absolue qui a pulvérisé toutes les normes, remplacé la carte du tendre par le «swipe» de Tinder, fait du désir un grand marché régi uniquement par la loi de l’offre et de la demande. C’est pourquoi le néoféminisme exprime dans le langage du progressisme une demande fondamentalement conservatrice. Un désir de normes qui s’exprime sous la forme d’une «révolution».
 
«L’amour ne se prête pas à la révolution», écrivaient Pascal Bruckner et Alain Finkielkraut dans Le Nouveau Désordre amoureux (1976), où ils critiquaient le mythe de la révolution sexuelle portée par Mai 68 qui prétendait réduire l’amour à la libido, remplacer la tyrannie de la norme par l’idéologie du désir. Aujourd’hui que l’idéologie du désir est à bout de souffle, le féminisme devient la nouvelle religion entravant les corps. Mais son catéchisme binaire est sans indulgence ni rémission.
 
Le vertige de l’abandon
Les néoféministes passent l’amour à la machine. Non pas pour raviver la couleur des sentiments comme le chantait Souchon, mais pour le laver de ses taches, le purifier de ses ambivalences, le débarrasser de ses tourments, en un mot l’aseptiser. Noémie Halioua lui redonne son éclat, avec un romantisme parfois un peu naïf qu’on lui pardonne facilement.
 
Car il faut opposer à cette prophylaxie de l’amour non pas la libération des mœurs comme un totem, ni le sentimentalisme kitsch dénoncé par Kundera, mais l’aventure du couple, le vertige de l’abandon, le risque de l’engagement, le sanctuaire de l’intimité comme refuge aux simplifications outrancières de l’idéologie. Le cœur a ses raisons que la politique ignore.�
  • Illustration : Noémie Halioua présente «La Terreur jusque sous nos draps», éditions Plon, janvier 2024, 256 pages, 20,90 € (papier), 14,99 € (numérique). © Hannah Assouline
Peut être une image de 2 personnes et texte qui dit ’Noémie Halioua LA TERREUR JUSQUE SOUS NOS DRAPS Sauver l'amour des nouvelles morales PLON’
 


09/02/2024
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