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 Comment les services secrets israéliens traquent les responsables du Hamas

  • par Romain Gubert, envoyé spécial en Israël pour Le Point - décembre 2023
ENQUÊTE. Après les massacres du 7 octobre, le Mossad et le Shin Bet ont reçu l’ordre d’éliminer un à un les responsables des attaques. Où qu’ils soient.
 
«Nili»… L'appellation n'a pas été choisie par hasard. Ce sont les initiales de «Netzach Yisrael Lo Yeshaker» («L'éternité d'Israël ne se démentira pas»), une phrase de la Bible que l'on retrouve dans le premier livre de Samuel. Ce nom a également été choisi en hommage à une organisation clandestine juive qui, entre 1915 et 1918, a lutté, les armes à la main, contre l'Empire ottoman. Ses dirigeants avaient été témoins du génocide arménien et redoutaient que les Juifs soient les prochaines cibles.
Depuis quelques jours, c'est le nom d'un nouveau commando formé des meilleurs éléments des forces spéciales du Mossad et du Shin Bet, les deux principaux services secrets israéliens. Leur mission : retrouver ceux qui ont planifié le massacre du 7 octobre. Et les éliminer un à un. Ils ont été mandatés par Benyamin Netanyahou en personne : «J'ai donné l'ordre au Mossad d'agir contre les chefs du Hamas où qu'ils se trouvent.» Ronen Bar, patron du Shin Bet, les renseignements intérieurs, en a lui aussi parlé publiquement : «Partout, à Gaza, dans les territoires palestiniens, au Liban, en Turquie et au Qatar, nous irons les chercher. Nous serons là pour le faire.» Quant à Yoav Gallant, ministre de la Défense, il a également été très clair : «Leurs heures sont comptées. Où qu'ils soient, ce sont des hommes morts.»
Le message est explicite : cela prendra un an, cinq ans, dix ans, mais, comme après l'assassinat des 11 athlètes israéliens pendant les Jeux olympiques de Munich, en 1972, chacune des victimes du 7 octobre sera vengée. L'annonce de la création d'un tel commando n'a pas été prise à la légère par les pays entretenant des liens avec le Hamas. Recep Tayyip Erdogan, le président turc, a ainsi condamné par avance une action sur son territoire : «Les Israéliens ne connaissent pas les Turcs. S'ils font une telle erreur, ils en paieront le prix. Ils ne s'en relèveront pas.» Quant au Qatar, qui, jusqu'à ces derniers jours, a joué le rôle de médiateur dans la libération des otages, il aurait posé un préalable dans la négociation : obtenir un «moratoire» sur de telles exécutions sur son sol. Provisoirement en tout cas.
«Annoncer la création d'une telle cellule, c'est d'abord une façon de rassurer les Israéliens, pas d'inquiéter les responsables du Hamas, qui savent déjà très bien à quoi s'en tenir. Oui, la traque pour éliminer les responsables des massacres de civils israéliens partout dans le monde a déjà commencé.» Yossi Melman, journaliste, spécialiste du renseignement
Premier objectif : rassurer les IsraéliensAttablé dans un café de Tel-Aviv, Yossi Melman sourit. D'ordinaire, ce journaliste spécialiste du renseignement depuis trente ans au quotidien Haaretz est la cible de la censure, qui tente de l'empêcher de publier des informations sur les activités clandestines des services secrets. Pas cette fois. «“Nili”, je me demande qui est le communicant qui a été chercher ce nom… et surtout s'il est bien réel, s'amuse l'auteur de dizaines de scoops sur le Mossad et de nombreux livres – il a par ailleurs réalisé, avec le Français Marc Dugain, un récent documentaire sur la traque des assassins des athlètes israéliens au JO de 1972. Nous sommes tous sidérés depuis les massacres. Annoncer la création d'une telle cellule, c'est d'abord une façon de rassurer les Israéliens, pas d'inquiéter les responsables du Hamas, qui savent déjà très bien à quoi s'en tenir. Ce qui est sûr, en revanche, et ça, ce n'est pas de la com, c'est que, oui, bien sûr, la traque pour éliminer les responsables des massacres de civils israéliens partout dans le monde a déjà commencé.»
 
Celle-ci mobilise tous les services de renseignement d'Israël : le Mossad, chargé du renseignement extérieur et des opérations spéciales ; le Shin Bet, soit les renseignements intérieurs, qui œuvrent dans les territoires palestiniens ; et l'Aman, les renseignements militaires, qui disposent de la prestigieuse unité 8200. Parmi les cibles principales installées à l'étranger, Ismaïl Haniyeh, chef politique du mouvement terroriste, qui séjourne entre Doha et la Turquie depuis 2019 ; Khaled Mechaal, la figure tutélaire du mouvement, cible du Mossad à de très nombreuses reprises ; Saleh al-Arouri, le numéro deux du Hamas. Dans la bande de Gaza, les Israéliens ont de plus trois cibles prioritaires : Mohammed Deif, l'organisateur du Déluge d'Al-Aqsa, le massacre du 7 octobre, traqué depuis vingt ans par Israël ; Yahya Sinouar, son second, que les services israéliens ont baptisé «le Boucher de Khan Younès» et dont le nom figure sur la liste des «terroristes internationaux» des États-Unis ; enfin, Marwan Issa, «l'homme de l'ombre», qui a lui aussi fait l'objet de plusieurs tentatives d'assassinat ciblé.
 
Des centaines de prisonniers interrogés à Gaza. À Gaza, des centaines de prisonniers sont ainsi systématiquement interrogés pour obtenir des informations sur la localisation des chefs du Hamas et reconstituer un organigramme le plus précis possible. Un centre d'interrogatoire a été installé à l'intérieur même de la bande de Gaza, sans que l'on sache si les prisonniers dénudés dont les images ont circulé ces derniers jours étaient détenus dans celui-ci.
Impossible également de savoir si ce sont ces interrogatoires qui ont permis à l'armée israélienne d'éliminer il y a quelques jours Abdelaziz al-Rantisi, l'un des plus hauts responsables du Hamas, par un missile tiré via un drone. Autres cibles déjà éliminées par Israël : Ayman Nofal, l'un des chefs des Brigades Al-Qassam, ou encore Ibrahim Biari, un des organisateurs de l'attaque du 7 octobre.
 
En dehors de Gaza, le Mossad et le Shin Bet misent sur des assassinats ciblés pour affaiblir le Hamas durablement. Contrairement à la CIA ou à la DGSE, Israël n'a jamais eu beaucoup de pudeur à assumer de telles opérations clandestines à l'extérieur de ses frontières. L'organisation de celles-ci a longtemps été dévolue à une unité spéciale du Mossad baptisée «Césarée», spécialisée dans l'élimination des terroristes et des ennemis d'Israël. Créée au début des années 1970, elle compterait – les détails sont évidemment tenus secrets – une cinquantaine d'hommes ainsi que quelques femmes, appelés kidonim («les baïonnettes»), qui ne resteraient que quelques années au sein de l'unité.
Michel Bar-Zohar, ancien député travailliste et expert des services secrets israéliens, sur lesquels il a écrit de nombreux livres (dont, l'an dernier, LesAmazones du Mossad, aux éditions Saint-Simon), relativise pourtant l'action de Césarée. «Ces assassinats ciblés opérés par Israël ne représentent qu'une toute petite partie de l'activité de ses espions. La plus spectaculaire, certes. Celle qui fait fantasmer le monde entier. Mais, parallèlement à la traque et à l'élimination de cibles précises, des centaines d'agents poursuivent un travail d'infiltration traditionnel, au Liban ou ailleurs, pour être les mieux informés et préparer l'après.»
Après plusieurs échecs récents, la cellule Césarée serait d'ailleurs en pleine réorganisation. Quelques semaines avant le 7 octobre, la presse israélienne a ainsi révélé que le patron du Mossad, David Barnea, avait entièrement réorganisé son service d'action et encouragé « B » – le nom des agents du Mossad en activité n'est pas connu – à quitter ses fonctions à la tête de la fameuse unité.
 
Des lettres piégées, des bombes et même de l'hypnose.
Selon Ronen Bergman, qui a publié Lève-toi et tue le premier (Grasset, 2020), l'État hébreu aurait réalisé plus de 2.700 assassinats ciblés depuis 1948, dont seuls les plus spectaculaires sont connus. Cette somme de 900 pages décrit toutes les techniques employées par le Mossad (lettres piégées, enlèvements, bombes, faux accident) pour tuer et raconte les épisodes plus étonnants. Dont celui de ce proche d'une «cible rouge» qui aurait été hypnotisé pour qu'il perpètre lui-même l'assassinat. Sans succès.
 
Bergman souligne par ailleurs les débats juridiques et moraux que posent ces assassinats effectués par une démocratie (ils doivent être autorisés par le Premier ministre, dont dépend le Mossad) et dévoile en outre les débats au sein de l'État israélien. Avec un exemple récent : face à l'Iran, Benyamin Netanyahou voulait entrer en guerre. Les services secrets israéliens, avec le soutien des États-Unis, l'ont convaincu d'opter pour la stratégie d'élimination des scientifiques spécialisés dans le nucléaire.�

Les flux financiers des terroristes traqués et bloqués

Les services de renseignements israéliens traquent aussi les flux financiers des chefs du Hamas et de leurs proches dans le monde entier. Ils s'appuient sur l'Autorité israélienne contre le blanchiment et le financement du terrorisme, une cellule dépendant du ministère de la Justice. Il y a quelques jours, sa directrice, Ilit Ostrovitch-Levi, a alerté les places financières. Son organisation a obtenu une cinquantaine de rapports détaillés émis d'Europe et des États-Unis. Selon elle, «des transferts de millions de dollars sont bloqués chaque jour». Le Mossad est aussi mobilisé pour mettre au jour les réseaux informels qui contournent les banques ainsi que les avoirs des terroristes dans les paradis fiscaux.�

Les infiltrés de «Fauda» : mythe ou réalité ?

Depuis sa première diffusion en 2015, Fauda est le sujet de mille discussions. Certains louent son réalisme – elle est tournée caméra à l'épaule, compte des acteurs palestiniens, ses créateurs connaissent très bien les territoires palestiniens (en 2018, ils avaient même décrit l'hôpital Al-Shifa de Gaza comme le QG du Hamas), etc. D'autres dénoncent son mépris des Palestiniens. Mais la série, qui met en scène un commando du Shin Bet composé d'Israéliens arabophones, a un mérite incontesté : ses créateurs se sont inspirés d'une unité de mista'aravim («arabisés»), dont la mission est d'opérer incognito dans les territoires palestiniens, qui existe et dans laquelle les scénaristes ont servi. Ils y ont certes incorporé des éléments de pure fiction (la détresse psychologique de ses membres, les longues infiltrations, l'autonomie presque totale du commando, etc.). Mais, pour l'essentiel, Fauda décrit la réalité de l'unité 217, baptisée Douvdevan, «cerise» en hébreu, qui opère en Cisjordanie, ou du commando Yamam, qui agit aux frontières du pays. Ces unités (qui compteraient moins de 100 agents) mènent des opérations coup de poing en se faisant passer pour des Palestiniens et n'effectueraient que des arrestations. Ses membres s'entraîneraient sur une base située à l'est de Jérusalem, avec une fausse mosquée, un stand de tir… Il y a quelques années, la photo de plusieurs membres de la cellule a été diffusée par le Hamas, comme un avis de recherche.�
  • Illustration : Vidéo. - Mossad et Shin Bet : les services secrets israéliens dans la guerre - Durée 02:10 - Après les massacres du 7 octobre, le Mossad et le Shin Bet ont reçu l'ordre d'éliminer un à un les responsables des attaques. Où qu'ils soient. Un nouveau commando a alors été créé : Nili. Ce nom n'a été choisi par hasard. Ce sont les initiales de «Netzach Ysrael Lo Yeshaker» («L'éternité d'Israël ne se démentira pas»), une phrase de la Bible que l'on retrouve dans le premier livre de Samuel. Ce nom a également été choisi en hommage à une organisation clandestine juive qui, entre 1915 et 1918, a lutté, les armes à la main, contre l'Empire ottoman. Ils ont été mandaté par Benyamin Netanyahou en personne. Enquête sur les légendaires espions de l'État hébreu.
 
 
 
 
 
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27/12/2023
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