Gabriel Attal : mention très bien
Gabriel Attal : mention très bien© HENRI SZWARC/ABACA
 

Samedi  19  mai  2012. « Griveaux », « Boulos », « Attal ». L’ordre alphabétique désigne le plus jeune des trois collaborateurs de la nouvelle ministre de la Santé, Marisol Touraine, pour assurer la permanence du week-end, deux jours à peine après l’entrée en fonction du gouvernement Ayrault. À 23 ans, Gabriel Attal, seul chez lui, est figé devant un téléphone portable et une adresse électronique du ministère vers lesquels toutes les alertes sanitaires du pays remontent. Un décès inexpliqué dans un Ehpad, la suspicion d’un virus rare détecté dans un service d’urgences… Qu’est-ce qui peut attendre lundi, quel événement est d’une telle gravité que cela exige de réveiller le directeur de cabinet de la ministre ? À lui d’en juger. Dans la soirée, un grand distributeur rappelle un lot de steaks hachés périmés potentiellement toxiques.

 

L’angoisse. Et s’il y avait un risque mortel pour les consommateurs ? « Un enfant meurt après une soirée hamburger ! » Attal imagine les titres de la presse régionale de lundi, mettant en cause « sa » ministre. « Alerté pendant le week-end, Marisol Touraine n’a pas réagi ! » Pour la première fois de sa carrière, le jeune ambitieux éprouve l’écrasante responsabilité du pouvoir. Après une soirée d’hésitation, Attal téléphone au directeur de cabinet. Répondeur. Malgré plusieurs tentatives, rien n’y fait. À deux heures du matin, proche de la crise de panique, il décide de réveiller la ministre. Après un bref échange, Marisol Touraine comprend que le rappel ne concerne qu’une centaine de produits, et qu’en fait de menace sanitaire, le risque se limite à une bonne gastro pour les consommateurs malchanceux. La ministre se rendort, Gabriel Attal poursuit sa nuit blanche, son rythme cardiaque revenu à la normale. Plusieurs années après, le « steak haché de la peur » reste un « must » des soirées souvenirs des dîners de l’équipe Touraine. Mayada Boulos, à l’époque conseillère communication − aujourd’hui co-présidente de l’agence Havas −, Benjamin Griveaux, conseiller spécial − reconverti dans le privé −, et Gabriel Attal, conseiller parlementaire − devenu ministre de l’Éducation −, ne se sont jamais quittés. Quant à Marisol Touraine, elle entretient un lien quasi filial avec son protégé dont elle a détecté très tôt le sens politique et l’insatiable ambition. Ils se parlent presque tous les jours. « Elle est sa plus proche conseillère », témoigne une proche d’Attal. Mère de trois enfants, Marisol Touraine a un fils prénommé Gabriel. Avec son Gabriel d’« adoption », elle jouera le rôle d’un Pygmalion, mais aussi celui d’une protectrice attentive.

 

À l’École alsacienne, jeune lycéen, père producteur de cinéma et mère travaillant dans l’audiovisuel, il se lie d’amitié avec Alexandra Touraine, fille d’une des dirigeantes les plus influentes du Parti socialiste. « Il était déjà dévoré d’ambition, témoigne l’un de ses amis devenu journaliste, son amitié avec Alexandra Touraine était sans doute sincère, mais aussi intéressée, ajoute-t-il. Il rêvait déjà d’être président de la République. » À 17 ans, il rejoint le Parti socialiste. Jean-Christophe Cambadélis, historique du PS, se souvient d’avoir vu débarquer un jeune homme brillant « dans les bagages de Pierre Moscovici », pour se mettre au service de Dominique Strauss-Kahn et de Marisol Touraine. DSK, battu aux primaires par Ségolène Royal, Attal se rallie à la bannière de la candidate socialiste pour la présidentielle de 2007. Nicolas Sarkozy l’emporte, mais Marisol Touraine est élue aux législatives. Gabriel Attal, 18 ans, entre à l’Assemblée nationale comme stagiaire de la députée d’Indre-et-Loire.

 

 

Printemps 2012. Mayada Boulos, brillante communicante qui a notamment travaillé aux côtés de Louis Schweitzer à la Haute Autorité de la lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE), se rend au QG du candidat à la présidentielle François Hollande pour rencontrer Marisol Touraine. La future ministre travaille à la constitution de son cabinet. « Un jeune homme assiste au rendez-vous, "son stagiaire", se souvient Mayada Boulos. Je me suis rendu compte, plus tard au ministère, à quel point le "petit" Gabriel était indispensable. Fin tacticien, expert en procédure parlementaire, hyper-ambitieux, se souvient-elle. Avec Benjamin Griveaux et Gabriel, on partageait le même bureau. On se marrait beaucoup, mais lui ne s’arrêtait jamais de bosser. Capable d’écrire un discours ultra politique pour Marisol aux universités d’été de La Rochelle du PS ou de manœuvrer pour faire adopter une réforme capitale : Gabriel a joué un rôle-clé pour le passage à 43 annuités de cotisations. » 

 

Il est capable d'avancer à la hache

Christophe Castaner
 
 

Attal roule aussi pour lui. Le militant socialiste a décidé de s’implanter à Vanves, dans les Hauts-de-Seine, où il est conseiller municipal. Éprouvé par la mort brutale de son père en 2015, il convie l’ensemble des socialistes de la fédération aux obsèques. « Lorsqu’il a pris la parole, se souvient un camarade, l’hommage à son père a tourné au discours politique, c’était assez surprenant. » 

Au crépuscule du règne de François Hollande, Gabriel Attal prend le train de la macronie en route. « On le voit débarquer au QG de campagne sur la fin, se souvient un proche de Macron. Au départ il rejoignait Stéphane Séjourné, son ami, puis il en a profité pour se faire une place. » Parrainé par Richard Ferrand et Christophe Castaner, barons socialistes ralliés de la première heure à Emmanuel Macron, il décroche une circonscription dans les Hauts-de-Seine. Un an après avoir été élu député, il devient, à 29 ans, le plus jeune membre d’un gouvernement sous la Ve République, en charge du Service national universel (SNU). Pas simple d’exister sous la tutelle de Jean-Michel Blanquer à l’Éducation. Édouard Philippe intervient personnellement pour calmer Blanquer et soutenir Gabriel Attal. Après le remplacement de Philippe par Castex à Matignon, l’as de la communication, dont les interventions médias impressionnent l’Élysée, devient porte-parole.

 

En pleine réussite, Attal commet ses premières fautes. « Il balance sur ses collègues dans les déjeuners avec les journalistes, raconte un ministre, il dézingue Édouard Philippe pour mieux complaire à Macron et Castex. » Depuis, il s’est expliqué avec le maire du Havre, mais les amis d’Édouard ne lui ont pas pardonné. Derrière les traits adolescents, un fauve de la politique commence à susciter la méfiance de ses pairs. « Attal c’est "me, myself and I », moi d’abord ! » tacle un communicant du gouvernement. « Il est capable d’avancer à la hache », prévient Christophe Castaner. L’hubris menace. « Gabriel ne peut plus passer devant un miroir sans se regarder, raconte un de ses amis, il doit se méfier du péché d’orgueil. » Après le Budget, il se voit proposer la Santé ou l’Éducation lors du remaniement. Ce sera l’Éducation sans hésitation. Lorsqu’il voit Emmanuel Macron et Élisabeth Borne quelques heures avant sa nomination, il a déjà réfléchi à sa première mesure : l’interdiction de l’abaya à l’école. « J’avais pris position très tôt dans ce débat alors que j’étais au Budget, explique-t-il. Je voulais sortir de l’ambiguïté, assumer un choix clair et enlever un poids aux chefs d’établissement. Il fallait le faire avant la rentrée pour que ce soit efficace. »

Quelques heures avant la publication de la directive sur l’interdiction de l’abaya, le ministre de l’Éducation organise une réunion Zoom ouverte aux 13 000 chefs d’établissement de France pour répondre à leurs questions. Une démarche saluée par les syndicats qui n’ont pas souvenir d’un ministre proposant un échange direct avec l’ensemble des proviseurs.

 

Cette rentrée politique fracassante a indéniablement étoffé la stature de Gabriel Attal. « Le président de la République, lorsqu’il déclare que l’Éducation est de son domaine réservé, ne cherche pas, comme certains l’ont interprété, à mettre Gabriel sous tutelle, décrypte un proche des deux hommes. Il établit une ligne directe avec le ministre de l’Éducation qui n’a plus à passer par la Première ministre. » Et la ligne fonctionne à plein, Macron et Attal se tutoient et se parlent presque tous les jours au téléphone. « Gabriel est en train de se glisser dans le rôle de la doublure parfaite de son boss », conclut ce témoin privilégié de leur relation. Emmanuel Macron a particulièrement apprécié qu’Attal avance au bulldozer sur la laïcité, lui évitant ainsi de s’exposer sur un terrain où il n’a jamais eu beaucoup d’allant.

 

Désormais, le ministre s’expose, surveillé de près par ceux qui postulent à la succession d’Emmanuel Macron en 2027. Mais il a déjà écrit la suite avec l’équipe resserrée qui l’accompagne depuis son premier poste ministériel : la mairie de Paris en 2026. Il ne l’a pas encore annoncé, mais il s’y prépare activement. Devenir maire de Paris, l’un des postes les plus prestigieux de la République, le rendrait « intouchable ».

En attendant que le temps s’accélère pour lui permettre d’atteindre, un jour, le graal élyséen, Gabriel Attal aime passer de longs moments à contempler des images de méduses. Ces animaux gélatineux et gracieux à la fois, pour lesquels il nourrit une fascination. Au point d’en avoir « élevé » chez lui dans un grand aquarium, pour s’y oublier à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Dotées d’une structure beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît, les méduses sont généralement des prédatrices redoutables qui paralysent leurs proies. Certaines sont même mortelles pour l’homme.