2486 - Landes: Eviter l'incendie du siècle 2 posts

 Dans les Landes, éviter l’«incendie du siècle»

  • par Claire Lefebvre,envoyée spéciale pour Le Point août 2023 Republié par Jacques Antoine Louis Rossi
  • Pompiers, forestiers, habitants, mairies, ONF, État : après les méga-incendies de juillet 2022, tout le monde se mobilise pour prévenir une nouvelle catastrophe.
 
 
Fausse alerte. Posté sur sa tour de guet, à 40 mètres de hauteur, le sapeur Romain Thévenet repose son téléphone, soulagé. La fumée qu’il voit à l’horizon est un nuage de poussière créé par un rouleau landais, l’un de ces outils permettant aux forestiers de débroussailler leurs parcelles. Le centre de contrôle a recoupé l’information auprès de deux autres tours de la zone ; un groupe d’intervention est allé vérifier sur place. Certes, avec une température moyenne de 25 °C et un taux d’humidité de 63 %, le niveau d’alerte reste modéré en cette fin juillet.
Mais tout le monde a encore en tête les incendies de l’année dernière : les flammes s’étirant jusqu’à 100 mètres de hauteur, les braises projetées à des centaines de mètres, et le bruit sourd de l’air chaud remontant vers le ciel.
 
L’apocalypse.
L’été 2022. Tout commence le 12 juillet 2022. Ce jour-là, le thermomètre affiche 41 °C à 14 heures. Les nappes phréatiques sont à leur plus bas niveau. «La végétation n’était plus qu’un tas de paille prêt à s’embraser», se souvient le commandant des sapeurs-pompiers Matthieu Jomain, au service départemental d’incendie et de secours de la Gironde (SDIS 33). À 15 h 11, au cœur de la forêt usagère de La Teste-de-Buch, un véhicule s’embrase après un problème électrique. Trois quarts d’heure plus tard, un autre départ de feu, d’origine criminelle cette fois, est déclaré du côté de Landiras. Les pompiers arrivent en quelques minutes, mais la simultanéité des brasiers combinée aux conditions climatiques extrêmes a raison du dispositif, pourtant rodé. Une vague incandescente se répand sur le massif des Landes de Gascogne. L’odeur de brûlé se fait sentir jusqu’à Bordeaux, à une quarantaine de kilomètres à vol d’oiseau. Le panache de fumée est visible depuis l’espace.
 
Pendant plus de deux mois, les pompiers cravachent sans discontinuer, ils évacuent 37.000 personnes, et protègent habitations, industries et zones sensibles (centrales photovoltaïques, site Seveso…). Des produits retardants ont été largués, des parcelles entières de bois sont coupées dans l’espoir de circonscrire le brasier, et la technique du feu tactique est utilisée dès que possible. À l’arrivée, plus de 32.000 ha de pinède, une trentaine de bâtiments et cinq campings sont détruits, ce qui en fait la pire catastrophe forestière depuis l’«incendie du siècle», qui, en 1949, en Gironde déjà, avait ravagé 50.000 ha et fait 82 morts. Cette fois, pas une victime n’est à déplorer. L’essentiel est là. Dans la région, personne n’oublie de le dire. Même pas ceux qui ont «tout perdu», à l’instar de Michel Bazin, sylviculteur et gestionnaire forestier qui a vu 90 % de ses 120 ha partir en fumée. Des pins vieux de 2 à 35 ans, qui auraient dû lui rapporter 800.000 euros s’ils avaient été coupés à maturité, mais qui sont désormais tout juste bons à faire de la pâte à papier. La perte n’est pas que financière : «Cette forêt, je l’ai acquise parcelle après parcelle, pendant trente ans. Je l’aimais.»
 

«Plus de 90 % des feux de forêt sont d’origine humaine : barbecues ou mégots mal éteints, étincelles…»

 

Les pins de Napoléon III. Alors bien sûr, il reboisera. Comme tout le monde, Michel Bazin, qui gère les parcelles de plus de 700 personnes, a passé des mois à couper, élaguer et évacuer le restant pour éviter que les troncs ne soient envahis de scolytes, cet insecte qui dévore de l’intérieur les arbres les plus faibles. Grâce au travail titanesque mené par les forestiers et l’ONF, cette catastrophe-là, au moins, a été évitée. À Belin-Béliet, la plaine de sable gris s’étend désormais sur des kilomètres, prête à être reboisée.
 
Reste à savoir quand, car les pépiniéristes risquent de se retrouver à court de plants, et surtout comment. Quel type d’arbres planter pour qu’une telle catastrophe ne se reproduise pas malgré le réchauffement climatique ? À nouveau du pin maritime ? Facilement inflammable en raison de sa résine, dégageant peu d’humidité à cause de ses aiguilles, cet arbre est particulièrement vulnérable aux incendies. À l’inverse, les feuillus résistent mieux grâce à la transpiration de leurs feuilles. «Intégrer les feuillus à la forêt la rendrait moins sensible aux départs de feux», explique Jacques Hazera, sylviculteur et expert forestier. Matraqué par les écologistes et les néoruraux, l’argument a porté jusqu’à Paris. L’État a promis d’aider financièrement les sylviculteurs qui implanteraient plus de feuillus sur leurs parcelles. Beaucoup, cependant, hésitent à suivre. «Nous sommes sur un sol pauvre et sableux, guère propice à la multiplication des essences», rappelle Bernard Rablade, sylviculteur à Belin-Béliet. Si Napoléon III a décidé, en 1857, de planter des pins maritimes pour assécher les marécages insalubres, c’est précisément parce que c’était le seul arbre à pouvoir y pousser.
 
Nouvelles obligations légales
La loi du 10 juillet vise à renforcer la prévention et la lutte contre les feux de forêts. Le texte concerne particulièrement la forêt des Landes, où il renforce la responsabilité des propriétaires forestiers. La TVA a été gelée à 10 % pour conduire l’entretien désormais obligatoire des parcelles, et le montant des amendes en cas de non-respect des obligations légales de débroussaillement a été doublé.
 

«Il faudrait aussi faire évoluer les pratiques pour se rapprocher de celles utilisées dans les pays soumis aux méga-incendies.»

 

De nouveaux moyens. Pour Bernard Rablade, «il ne faut pas se tromper de combat». Plus de 90 % des feux de forêt sont d’origine humaine : barbecues ou mégots mal éteints, étincelles lors de travaux, etc. «La réduction du risque d’incendie passe par cette prise de conscience, mais aussi par la remise en état des pistes forestières et des fossés, afin de permettre aux pompiers de mieux accéder au massif et d’augmenter le nombre de points d’alimentation en eau», rappelle-t-il. Pour répondre à ces besoins, l’État a annoncé de nouveaux moyens : 7,6 millions d’euros, principalement dirigés vers la DFCI Aquitaine, groupement de 212 associations syndicales de sylviculteurs, qui assurent la prévention du risque localement et bénévolement en appui des pompiers – «une présence qui s’est révélée décisive l’an dernier», précise le commandant Jomain. La plus grosse part de l’enveloppe permettra de réaménager l’accès au massif. Le reste servira à doter les bénévoles de véhicules, de camions-citernes et d’outils de relevés nécessaires à l’établissement par la préfecture d’une carte du risque d’incendie.
 
Les pompiers se sont eux aussi vu doter de moyens supplémentaires : neuf avions et hélicoptères bombardiers d’eau sont venus compléter la flotte nationale, désormais constituée de 47 appareils. Des patrouilles de quatre véhicules chacune sont également positionnées au cœur du massif en cas de risque modéré à extrême. Et des caméras de surveillance seront installées en haut des 21 tours de guet qui jalonnent le massif dès l’an prochain. Voilà pour l’aspect matériel. Mais il faudrait «aller plus loin», indique Sébastien Lahaye, expert des grands feux et coordinateur de projets européens sur ce sujet. Il faudrait aussi faire évoluer les pratiques pour se rapprocher de celles utilisées dans les pays soumis aux méga-incendies : Australie, Canada, États-Unis… Accepter que les flammes vont faire des dégâts. Se concentrer sur l’essentiel : gens, infrastructures critiques, biens. Les protéger. Et ne s’attaquer au feu que lorsque les conditions de température, de vent, d’hygrométrie sont favorables. En clair, «ne plus s’épuiser pour rien».
 
Faire appliquer la loi. À La Teste-de-Buch, où le destin de l’homme et de la forêt sont inextricablement mêlés, le maire, Patrick Davet, a un autre problème : celui de faire appliquer les obligations légales de débroussaillement (OLD), inscrites dans le Code forestier en 2001. Cette règle contraint les personnes résidant à moins de 200 mètres d’un massif forestier à réduire les matières végétales pouvant prendre feu. Et cela dans un rayon de 50 mètres. Simple, en théorie. Sauf que, en pratique, habitants et forestiers se renvoient la balle, les contrôles sont difficiles à réaliser et les verbalisations rares. La mairie envisage de faire débroussailler elle-même et de facturer la prestation à ses administrés. Le risque est «trop important», explique Patrick Davet. Unique en France, la forêt de la commune est régie par des règles en partie héritées du Moyen Âge. Les arbres ont donc pu y pousser et vieillir sans intervention humaine ou presque. Bien loin de la monoculture qui domine dans le reste de la région, cette forêt-là est dense, irrégulière, et abrite autant de pins centenaires que de chênes, hêtres, houx et arbousiers. «Plus de 7.000 ha sont partis en fumée l’an dernier, il s’agirait de ne pas détruire ce qu’il reste», justifie le maire, qui en a interdit l’accès. Les engins forestiers – c’est l’autre particularité du lieu – ont du mal à pénétrer le massif et le débardage n’est pas terminé. Depuis la route qui longe les côtes, c’est donc un paysage de désolation, fait de terre retournée, de pins calcinés et de baraquements détruits, qui s’offre aux regards des vacanciers.
 
Le retour des cigales. Au camping des Flots bleus, pourtant, Franck Couderc ne se laisse pas abattre. Tout l’hiver, lui et son équipe ont travaillé d’arrache-pied pour nettoyer le terrain, couper les arbres morts et implanter de nouveaux mobile homes et chalets. Aujourd’hui, le lieu n’a retrouvé que 20 % de ses capacités d’antan, mais il affiche complet jusqu’à la rentrée.
Julie et Grégory, qui viennent depuis douze ans, ont fait partie des premiers à réserver. Assis devant leur bungalow, ils savourent la vue désormais dégagée sur la dune, le chant des cigales revenues, et le souffle du vent dans les feuilles des rares arbres ayant survécu. À leurs pieds, au milieu des bruyères en fleur, des repousses de pins maritimes semblent elles aussi vouloir profiter de ce nouveau départ.�

Pourquoi les feuillus résistent mieux aux incendies

Faut-il diversifier la production de bois ? Certains se posent la question. Il faut dire que, grâce à l’évapotranspiration, les feuillus sont plus résistants face aux incendies. Leurs racines absorbent l’eau présente dans le sol, puis la restituent par l’intermédiaire de leurs feuilles, contribuant ainsi à refroidir l’air environnant de 2 à 8 °C, mais aussi à l’humidifier. Un chêne rejette en moyenne plus de 1.000 litres d’eau par jour dans la nature (!?). Un bouleau, 75 litres. Avec ses aiguilles, le pin maritime ne rejette que 50 litres, ce qui le rend plus vulnérable aux incendies… sauf s’il est entouré de feuillus, qui le protégeront grâce à l’humidité dégagée.�
Illustration :
  • Historique. La Teste-de-Buch (Sud-Ouest), le 21 juillet 2022, après le passage d’un mégafeu qui s’est répandu sur tout le massif des Landes de Gascogne.
  • Brasier. La Teste-de-Buch (Sud-Ouest), le 18 juillet 2022 : les vacanciers contemplent, impuissants, le terrible incendie, dont les flammes ont atteint jusqu’à 100 mètres de hauteur.
  • Désolation. 32.000 ha ont brûlé dans le massif des Landes de Gascogne. Ici à Belin-Béliet.
  • Vigies. La patrouille de surveillance et d’intervention des pompiers en action à Louchats, le 21 juillet.
 
 
 
 


23/08/2023
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