2307- Le Coup d'Etat permanent / Revue de presse 15 posts

Jean-Éric Schoettl: «Opposition à la réforme des retraites, le coup d’État permanent»

  • par Jean-eric Shoettl, pour Le Figaro - mars 2023 Republié par Jacques Antoine Louis Rossi
  • (Opinion pas souvent vue ou entendue à la télé ou lue dans les journaux !)
L’ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel dénonce le modus operandi des opposants à la réforme des retraites. Les recours aux actions violentes sont des atteintes à la règle du jeu démocratique, estime-t-il.
 
Conseiller d’État honoraire, Jean-Éric Schoettl a récemment publié «La Démocratie au péril des prétoires. De l’État de droit au gouvernement des juges» (Gallimard, «Le Débat», mars 2022).
 
C’est un coup d’État permanent auquel nous nous accoutumons par fatalisme.
Coup d’État, le fait, pour une opposition minoritaire, d’empêcher le Parlement de voter la loi, s’octroyant ainsi un droit de veto que la Constitution ne lui confère pas.
Coup d’État, la pratique débridée de l’obstruction, alors que celle-ci est à la fois une démission du législateur et un attentat contre les fondamentaux de la démocratie représentative.
Coup d’État, l’affirmation selon laquelle les manifestations et les sondages invalident l’action de pouvoirs publics régulièrement élus et interdisent l’application d’un projet présidentiel dont on peut penser ce que l’on veut, mais qui a été énoncé en temps utile lors de la campagne.
Coup d’État, cette volonté de «bloquer le pays», de «mettre l’économie à genoux», qui, par la violence et l’illégalité de ses méthodes (occupation de sites stratégiques, actions «ciblées» destinées à punir des personnalités politiques ayant mal voté, intimidation des personnels non-grévistes), outrepasse grossièrement le droit de grève.
Coup d’État, cette rupture prolongée de la continuité des services publics qui affecte non seulement l’économie nationale, mais encore la liberté d’aller et venir, la liberté de travailler, la vie familiale, la santé, l’hygiène et la sécurité de nos compatriotes.
Coup d’État et coup bas, cette paralysie du pays assumée, organisée et glorifiée, y compris par des syndicats réputés «réformistes», alors que l’inflation se réinstalle, que nos services publics déclinent, que l’état de nos finances publiques laisse craindre un scénario catastrophe et que la guerre est à nos portes.
Coup d’État, ces éclats de voix insurrectionnels, quand la reconquête de notre souveraineté énergétique et industrielle, comme la restauration de notre cohésion nationale, devraient mobiliser les efforts de tous.
Coup d’État, cette «convergence des luttes» qui marie le sabotage de la loi là où elle se forme, et sa violation là où elle devrait s’appliquer.
Coup d’État, cet ensauvagement des institutions qui, non content de vociférer au Palais Bourbon, gagne la Haute Assemblée où la gauche sénatoriale a poursuivi le torpillage commencé par la Nupes trois semaines plus tôt.

«Par complaisance, par glissement du pays dans l’anomie ou par faiblesse régalienne, ces atteintes à la règle du jeu démocratique bénéficient de nos jours de l’impunité.»

C’est encore un coup d’État d’interdire aux pouvoirs publics issus de l’élection - sous peine de troubles sociaux et au seul motif qu’elle déplaît aux organisations syndicales - de mener, en matière de protection sociale, la politique qu’ils estiment la plus conforme à l’intérêt général.
Lever, comme le réclamait la gauche à cors et à cris, le huis clos protégeant les travaux de la Commission mixte paritaire (CMP) aurait été une autre brutalisation de la scène institutionnelle. Sous couvert de transparence, pareille exigence tentait de faire entrer le tumulte de la rue dans un organe parlementaire névralgique. La publicité des débats de la CMP aurait emprisonné les membres de la CMP dans un jeu de rôles, alors que la confidentialité des délibérations de la Commission, toujours respectée sous la Vème République, a précisément pour objet d’affranchir les parlementaires de leurs allégeances partisanes pour leur permettre de construire, à l’abri des pressions et des passions, un compromis d’intérêt général. Surtout si elle avait pris la forme d’une retransmission en temps réel, cette publicité aurait exposé en outre les membres de la CMP à des représailles sur leurs personnes ou sur leurs biens. Comme en témoignent en effet les menaces proférées contre les élus favorables à la loi, la «colère» qui anime les opposants à la réforme peut conduire certains d’entre eux à des extrémités.
 
Et l’impudence a des relents de coup d’État quand on mobilise sans vergogne la rue contre la loi, mais qu’on crie au coup de force parce que le gouvernement fait usage de moyens constitutionnels (vote bloqué, 49.3) en vigueur depuis 1958, utilisés sous tous les gouvernements (y compris ceux de gauche) et employés en l’espèce pour permettre aux assemblées de se déterminer, c’est-à-dire à la démocratie de fonctionner.
Et comment ne pas trouver séditieuse l’attitude de cet exécutif parisien qui méconnaît son devoir d’assurer la salubrité de sa ville, comme ses obligations de neutralité politique, pour manifester son opposition au gouvernement et son soutien à la grève de l’enlèvement et de l’incinération des déchets menée par des agents municipaux?
L’obstruction, comme le blocage du pays, comme la casse lors des manifestations, ne datent sans doute pas d’hier. On les a vus se déployer à propos de précédentes lois sur les retraites (1995, 2003, 2010) ou sur d’autres sujets (contrat de première embauche en 2006, diverses réformes de l’Éducation nationale) considérés comme intouchables par une gauche à la recherche de marqueurs existentiels et avides de mobilisations régénératrices.
Par complaisance, par glissement du pays dans l’anomie ou par faiblesse régalienne, ces atteintes à la règle du jeu démocratique bénéficient de nos jours de l’impunité. Elles se sont banalisées dans le regard des médias. L’opinion y consent pour des raisons multiples: inquiétude sur le devenir de ses droits, ressentiment à l’égard d’un État considéré (non sans raison) comme de moins en moins protecteur, croyance naïve que la puissance publique peut tout pourvu qu’on lui torde le bras… ou syndrome de Stockholm.

«Ces troubles graves de la santé démocratique que sont l’obstruction, les blocages et l’action violente sont désormais perçus comme l’expression d’une légitime colère du peuple.»

La nouveauté est que ces troubles graves de la santé démocratique que sont l’obstruction, les blocages et l’action violente sont désormais perçus comme l’expression d’une légitime colère du peuple contre la violence sociale que lui fait subir un pouvoir indifférent à son sort. Une violence que le pouvoir inflige au peuple - est-il subliminalement postulé - par sadisme ou en vertu d’un pacte passé avec des forces occultes dont les intérêts sont antinomiques à ceux des gens ordinaires. Éternel retour fantasmatique du mythe du vampire et de la théorie de l’extorsion de la plus-value.
La nouveauté est aussi dans la disproportion entre l’intensité des moyens mis en œuvre - avec quels accents martiaux - pour faire échec au projet de loi et la portée somme toute limitée du projet. Portée limitée, en effet, qu’on apprécie la réforme au regard des tempéraments consentis par rapport à l’épure initiale, ou par comparaison avec ce qui s’est fait sans drame depuis vingt ans chez nos voisins européens, ou compte tenu des enjeux financiers et économiques de la prolongation de la vie active (qui vont bien au-delà de l’équilibre du régime général vieillesse en 2030).
À force de surjouer l’indignation, la gauche politique et syndicale (et pas seulement elle), comme nombre de commentateurs campant sur les plateaux d’information continue, les donneurs de leçons de haute politique, sont entrés en transe.
Jusqu’où ira cette déraison? Passera-t-on, à force de véhémence et de diabolisation, de la décapitation symbolique d’un ministre à l’atteinte à son intégrité corporelle?
Le pire serait de voir l’exécutif capituler devant le bruit et la fureur comme en 1995 et pour le contrat de première embauche. Ce serait renoncer à toute réforme future pour peu qu’elle fâche les tribuns ou qu’elle soit mal accueillie dans les sondages. Ce serait la démonstration que le chantage paie. Ce serait s’interdire de faire le nécessaire si c’est impopulaire. La France se déclarerait ainsi définitivement irréformable.
 
C’est le propre des démocraties pluralistes que d’entretenir des controverses. Mais on sait, depuis les anciens Grecs, que la santé d’une démocratie exige le consensus sur au moins une chose: le respect de la règle du jeu fixée par la Cité pour délibérer des affaires publiques.�
  • Illustration : Jean-Éric Schoettl. Fabien Clairefond
Peut être une illustration de une personne ou plus
 
 


22/03/2023
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