2282- Après les "Bobos",Bienvenue chez les "Boluches" 4 posts

 Bienvenue chez les «boluches»

  • par Clément Pétreault, pour Le Point - février 2023 repris par JALR publication
Après les bobos, voici les bourgeois fans de «Méluche». Comment ont-ils contribué à la percée électorale des Insoumis en 2022 ?
 
Il y a des signes qui ne trompent pas : de manière systématique, Jean-Luc Mélenchon a enregistré ses meilleurs scores électoraux parisiens de 2022 dans les arrondissements qui se sont le plus enrichis ces dix dernières années. Dans le 11 e arrondissement -souvent considéré comme le cœur battant de la gentrification -, les données de la Direction générale des finances publiques sont formelles : pendant que la proportion de ménages imposés sur la tranche maximale de l'impôt sur le revenu y augmentait de 87 %, le score de Mélenchon à la présidentielle y explosait : 14 % en 2012, puis 24 % en 2017 et enfin 36 % en 2022… Même scénario dans le 19 e arrondissement, ancien bastion du PS, où l'on constate une corrélation très nette entre gentrification immobilière galopante et mélenchonisation électorale.
 
Entre la présidentielle de 2017 et celle de 2022, Jean-Luc Mélenchon a progressé de 5 points auprès des cadres et professions intellectuelles supérieures et de 10 points dans les villes universitaires ; mais son électorat demeure pourtant assez varié, «interclassiste», disent les sondeurs. «On notera à ce propos que l'Insoumis revendiquant un héritage marxiste, marqué par la grille de lecture de la lutte des classes, est le candidat présentant l'électorat le moins clivé sociologiquement», relevait Jérôme Fourquet dans «L'archipel électoral mélenchoniste», un article publié au lendemain de la dernière présidentielle.
En dix ans et trois présidentielles, le candidat Insoumis a opéré l'union d'un électorat diplômé des centres-villes avec celui des classes populaires des banlieues… soit la stratégie exacte préconisée par la note publiée par le think tank de gauche libérale Terra Nova en 2011. Ce document recommandait de renoncer en partie au vote des ouvriers et des employés pour mieux séduire un nouvel électorat urbain sous une bannière progressiste : femmes, diplômés, jeunes et classes populaires issues de l'immigration. Autrement dit, la fusion entre une gauche culturelle, une gauche radicale et une gauche communautariste ? «Non. Il s'agit de la fusion entre une gauche sociale, une gauche de rupture et une gauche populaire», se défendait auprès du Point le député Éric Coquerel en mai 2022.
«Boluches» ?
Après les bobos (bourgeois bohèmes), voici les boluches (contraction de bourgeois et de Méluche, surnom de Mélenchon).
Indignation de façade. Même s'il est loin d'être majoritaire, l'électorat bourgeois-révolutionnaire (l'écrivain américain Tom Wolfe dirait «radical chic») existe. «Il est doté d'un capital social et culturel important, il est très impliqué dans un milieu généralement très politisé», explique Emmanuel Rivière, directeur des études internationales de l'institut Kantar Public. «Ce sont des gens dont le mode de vie relativement confortable peut sembler assez contradictoire avec leur aspiration à se présenter en défenseurs du prolétariat», poursuit le sondeur. «Le vote de conviction peut tout à fait être déconnecté des intérêts économiques, note Bruno Cautrès, du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), spécialiste des comportements et attitudes politiques des Français, même si, souvent, dans les catégories supérieures, il y a une cohérence entre les intérêts économiques et les valeurs.»
 
«Les bourgeois révolutionnaires ont toujours existé. Ce sont même eux qui ont dirigé la plupart des révolutions», analyse le politologue Philippe Raynaud, qui rappelle la théorie léniniste selon laquelle le prolétariat ne saurait atteindre de lui-même une conscience de classe suffisante pour agir et nécessiterait, pour entrer en mouvement, le soutien théorique d'intellectuels révolutionnaires. Pour l'auteur du très précurseur L'Extrême Gauche plurielle (Autrement, 2006), la perdurance des vieux thèmes anticapitalistes est le signe de la prise du pouvoir de cette bourgeoisie révolutionnaire sur la gauche : «L'utopie communiste est morte, mais les aspirations perdurent. Plus personne ne croit sérieusement à l'économie planifiée, mais le vieux fond d'anticapitalisme revient toujours. En ce moment, c'est l'antilibéralisme qui permet à ces vieux réflexes de se cristalliser.»
 
La pensée marxiste qui tente de se régénérer n'échappe pas à la confusion qui règne sur l'époque… «Il faut vraiment ne jamais avoir eu besoin de travailler afin de s'émanciper et de s'en sortir pour confondre le droit à la paresse avec un discours populaire sur le travail», analyse Jérémie Peltier, le directeur de la Fondation Jean-Jaurès, qui voit dans ces nouveaux discours la marque d'une classe politique aveuglée par ses propres origines bourgeoises et par l'ennui et que viendrait divertir le discours révolutionnaire. «Si le cœur électoral de la gauche était la France des classes moyennes, nous n'aurions pas des discours sur la fin du travail, mais des discours sur le pouvoir émancipateur d'un travail de qualité et avec de meilleures conditions d'exercice - il suffit de reprendre les textes de Jaurès ou de Blum sur le sujet», veut-il croire.
 
«La bourgeoisie dite progressiste s'insurge contre l'égoïsme des 1 % les plus riches.» Christophe Guilluy
RobespierreSi la confusion entre droit à la paresse et droit au travail révèle les contradictions d'un personnel politique bien éloigné des classes populaires qu'il prétend représenter, le discours - assez convenu - sur les riches fait aussi partie de ces marqueurs qui trahissent l'origine bourgeoise - et le cynisme - de ceux qui le portent. Ainsi, en septembre dernier, le géographe Christophe Guilluy s'agaçait auprès de nos confrères de L'Express de cette tendance qu'a «la bourgeoisie dite progressiste» de «s'insurger contre l'égoïsme des 1 % les plus riches», une indignation de façade qui permet à ceux qui l'affichent de s'exclure de facto des rangs des privilégiés. «Pourtant, l'iniquité du système ne bénéficie pas qu'aux milliardaires, mais à 20 à 25 % de la population en Occident […] toute l'utilité du discours "anti 1 %" est de masquer cette réalité.» C'est pourquoi, depuis quinze à vingt ans, «le "reductio ad milliardaires" remplace la question sociale», notait l’auteur des Dépossédés (Flammarion).
 

«Rien ne vaut la défense d'idées révolutionnaires pour mieux conserver ses privilèges.»

Rien ne vaut la défense d'idées révolutionnaires pour mieux conserver ses privilèges, et tant pis s'il faut renoncer à des idéaux historiques de gauche (République, laïcité, égalité des chances) pour rester du bon côté de l'époque., et tant pis s'il faut renoncer à des idéaux historiques de gauche (République, laïcité, égalité des chances) pour rester du bon côté de l'époque . Car cette radicalité n'apporte aucun inconfort à ceux qui en font la promotion, elle n'interdit ni le mode de vie bourgeois - on peut tout à fait tweeter contre le capitalisme sur son iPhone dernier cri - ni la conscience de classe ou le sentiment d'appartenir à une élite. «Les étudiants de Sciences Po donnent le sentiment d'avoir perdu foi dans l'idéal méritocratique [voir l'étude page 41, NDLR], mais ils ne se déclarent pas pour autant prêts à renoncer à leur statut élitaire, analyse Olivier Galland, spécialiste des mécanismes de la radicalité et auteur de 20 Ans, le bel âge ? (Nathan). On a le sentiment qu'ils cherchent à expier leur péché d'appartenance sociale au moyen d'un surcroît de radicalité. C'est une vieille tradition : les plus radicaux à l'extrême gauche sont souvent des jeunes de l'élite universitaire qui s'assignent la mission de sauver le peuple.» Malgré lui.
 
Pour comprendre le rapport qu'entretient Jean-Luc Mélenchon avec la bourgeoisie, il faut regarder la composition du conseil scientifique de l'Institut La Boétie, l'école de formation des cadres Insoumis, où intellectuels et universitaires règnent en maîtres. «Le recrutement des troupes révolutionnaires chez les bourgeois est un des grands marqueurs de l'extrême gauche en France», analyse un ancien proche de Mélenchon qui assiste à l'évolution de son ancien ami avec la gourmandise de celui qui connaît les rouages de l'Histoire. «La jeune bourgeoisie qui rentre à La France insoumise se trouve un super papy qui n'a pas viré à droite. Une fois dans la machine, ça devient la course à celui qui sera le plus radical. Ce qui explique pourquoi certains néodéputés Insoumis se prennent réellement pour Saint-Just ou Robespierre», poursuit-il, regrettant presque la disparition de la gauche caviar, cette gauche fortunée et libérale dont les convictions étaient, rétrospectivement, à peu près alignées sur le mode de vie.�
Les oracles de Marx
«Une partie de la bourgeoisie cherche à porter remède au malaise social, afin de consolider la société bourgeoise. Dans cette catégorie se rangent les économistes, les philanthropes, les humanitaires, les gens qui s’occupent d’améliorer le sort de la classe ouvrière, d’organiser la bienfaisance, de protéger les animaux, de fonder des sociétés de tempérance [lutte contre l’alcoolisme, NDLR], bref les réformateurs en chambre de tout acabit. […] Le socialisme bourgeois n’atteint son expression adéquate que lorsqu’il devient une simple figure de rhétorique. Le libre-échange, dans l’intérêt de la classe ouvrière ! Des droits protecteurs, dans l’intérêt de la classe ouvrière ! […] Car le socialisme bourgeois tient tout entier dans cette affirmation que les bourgeois sont des bourgeois – dans l’intérêt de la classe ouvrière.»�
Extrait du «Manifeste du Parti communiste», de Karl Marx et Friedrich Engels (1848).
  • Illustration :  - Bienvenue chez les «boluches».  - Il y a des signes qui ne trompent pas : de manière systématique, Jean-Luc Mélenchon a enregistré ses meilleurs scores électoraux parisiens de 2022 dans les arrondissements qui se sont le plus enrichis ces dix dernières années.
 
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04/03/2023
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