On a le droit de ne pas tirer les leçons de l’Histoire, d’abandonner le Donbass et la Crimée comme d’autres, en leur temps, ont abandonné la Bohème et la Moravie ; on a le droit de croire que l’attentisme ou la collaboration avec un dictateur sanguinaire sont de meilleures boussoles que l’honneur ou la souveraineté d’un pays. La lâcheté n’a jamais tort et les raisons qu’elle se donne – à commencer par la crainte d’une extension et d’une aggravation du conflit – sont toujours excellentes.

 

Ce qui n’est pas acceptable, c’est que les gens qui disent « Surtout, n’armons pas l’Ukraine, sous peine de troisième guerre mondiale ! » présentent leurs adversaires (partisans, eux, de livraisons d’armes lourdes et de sanctions accrues) comme des « belles âmes » qui « jouent au petit soldat depuis leur canapé » (sic) tandis qu’eux-mêmes, conscients des réalités du terrain, nous encouragent à la plus grande prudence…

 

Dans Le Savant et le Politique, le sociologue Max Weber distingue « l’éthique de conviction» (dont le credo se moque des conséquences) de « l’éthique de responsabilité » (qui n’adhère à une thèse qu’après en avoir calculé les effets). Or parce qu’ils veulent en découdre avec la Russie nucléaire, les partisans de la fermeté contre Vladimir Poutine sont présentés par le camp d’en face comme des « irresponsables » qui ne mesurent pas les conséquences de leurs convictions. Tandis que, persuadés que leurs caresses dissuaderont le dictateur d’user de la Bombe, les gens qui consentent à l’amputation de l’Ukraine se vivent comme les seuls êtres à jeun dans l’ébriété russophobe, et s’attribuent flatteusement le monopole de la responsabilité.

 

Seulement voilà. Quand on est face à Poutine, c’est la prudence elle-même qui est irresponsable. C’est la lâcheté qui est dangereuse. Et il n’est pas moins rationnel de lui faire la guerre que d’obtempérer. Il n’est pas « irresponsable » de penser que les despotes ne respectent que la force, de se souvenir que Hitler a cru pouvoir envahir la Pologne parce que la France et le Royaume-Uni, terrifiés à l’idée d’une nouvelle guerre, lui avaient tout cédé à Munich un an plus tôt. Ni d’estimer que si un centimètre carré du territoire ukrainien tombe dans l’escarcelle des Russes, si Vladimir Poutine peut se prévaloir d’avoir gagné quoi que ce soit au terme de la guerre, les conséquences en seront dévastatrices : c’en sera fini de la souveraineté des États, et nous serons à l’aube de conflits territoriaux sans fin. Les effets de l’annexion d’une partie de l’Ukraine sont davantage à redouter que les effets de la fermeté contre un bourreau qui ne connaît que cela. Quand l’ennemi est aux portes de l’Europe, la peur est périlleuse, le compromis est mortel, le courage est salvateur, et l’irresponsable, c’est celui qui, avec les meilleures raisons du monde, se couche au passage du tyran. 

 

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