2207- Le Grand Théâtre du pouvoir . Catherine Nay, 2 posts

     Le Grand Théâtre du pouvoir  Catherine Nay,

  • par Eugénie Bastié, pour Le Figaro - décembre 2022
ENTRETIEN - Catherine Nay, la journaliste, grande voix d'Europe 1, publie Le grand théâtre du pouvoir (Bouquins) dans lequel elle revient sur quatre décennies de vie politique française. Outre une baisse du niveau intellectuel, elle constate que la sphère privée est moins respectée aujourd'hui que dans les années 1980.
Catherine Nay est journaliste à Europe 1. Elle publie Le Grand Théâtre du pouvoir. Quarante ans de vie politique française, Bouquins.
 
Le Figaro.- Le Grand théâtre du pouvoir (Bouquins) réunit vos observations de 40 ans de politique française, du couple Giscard/Chirac à l'ascension de Nicolas Sarkozy. Quel est le point commun entre ces quatre monstres politiques ?
 
Catherine Nay.- Les présidents Mitterrand, Giscard et Sarkozy ont fait de la politique leur chemin de vie. Ils savaient que ce serait une longue patience et ont conquis le pouvoir marche après marche. Il leur fallait prendre le temps de se faire connaître des Français et de sentir le pays, de l'aimer. D'apprendre le métier. Ils ont été élus, ont tenu des permanences et connu l'échec. Sous la Quatrième République, Mitterrand a été onze fois ministre, il ambitionnait d'être président du Conseil. Il n'y a pas réussi. Sa chance a été l'arrivée du général de Gaulle au pouvoir. Il s'est hissé au rang d'unique adversaire. Il voulait lui succéder à l'Élysée. Il y a réussi au bout de 23 ans en menant, selon le mot de Chaban-Delmas «une vie de chien». Giscard était prédestiné dès la naissance. «Oh, le beau petit Napoléon!», s'était écriée sa mère. Il serait un jour ministre, et peut-être président. Le jeune Valéry héritait du siège de son grand-père Bardoux. Qu'un conseil de famille avait pressé de céder la place au brillant jeune homme. À 19 ans, Nicolas Sarkozy s'inscrit à la permanence UDR de Neuilly, 130 militants au compteur. «Si je fais de la politique, c'est pour monter haut», disait-il à ses amis. Il a fait de ce strapontin un marchepied en forçant le destin. Il est de tous les présidents celui qui est parti du plus bas. Jacques Chirac est un cas un peu à part. Il n'a jamais eu d'ambition présidentielle. Mais Marie-France Garaud et Pierre Juillet, impressionnés par son dynamisme et son charisme, en ont eu pour lui. Chaque fois qu'ils ont été élus, ceux qui ont voté pour eux l'ont fait avec le sentiment que leur tour était venu.
 
Qu'est-ce qui change avec François Hollande ?
 
François Hollande s'est porté candidat, parce que Dominique Strauss-Kahn a connu le sort que l'on sait. Avait-il une ambition présidentielle ? Il a été premier secrétaire du PS pendant dix ans, mais n'a jamais manifesté l'ambition faire l'aggiornamento idéologique du parti. Personne ne voyait en lui un futur président de la République. À l’époque, seuls 3% des Français lui prédisaient un avenir présidentiel. Aux primaires socialistes il l'a emporté sur Martine Aubry. Élu, il a eu du mal à endosser le costume. Il inventait la «normalitude». Il l'avait écrit «en démocratie un président doit ressembler à Monsieur Tout-le-monde». Une erreur d'analyse, un contresens, même. Il a eu du mal à incarner la fonction. Il n'a pas pu se représenter. Il était avant tout un commentateur qui avait les meilleures relations avec les journalistes. Qui le sollicitaient pour pimenter leurs papiers de ses bons mots.
 
Et Emmanuel Macron, comment le situez-vous dans ce paysage ?
 
De même que Mitterrand a profité «de la médiocrité du personnel socialiste pour se hisser à l'Élysée», à l'évidence, si Emmanuel Macron avait eu le sentiment qu'il lui était supérieur, il ne se serait pas lancé en politique. Emmanuel Macron, doté d'une grande ductilité intellectuelle, est à la fois hors-sol et hors normes. Il a été élu sans parti et a bénéficié d'une majorité de néophytes, ce qui lui a permis d'être Jupiter. Pas de frondeurs chez En marche. Avec ce revers : sur leurs ronds-points, les «gilets jaunes» n'avaient pas d'interlocuteurs. Ils ne connaissaient pas leurs députés. Ils ne savaient pas à qui parler. Le non-cumul de mandats ayant tué ce lien entre les territoires et l'assemblée. Les «gilets jaunes» sont montés à Paris pour tuer le roi.
 
Vous dites que non-cumul des mandats a en réalité profondément changé la vie politique française…
 
Un écosystème a été cassé, et on en paye aujourd'hui le prix. Il manque au Parlement tous ces seconds rôles puissants qui structuraient la vie politique française. Ils étaient des tuteurs pour les jeunes élus. En 10 ans, 95% de l'hémicycle a été renouvelé. Quand on écoute les questions d'actualité, on se rend compte que le niveau a baissé. Il n'y a pour l'heure que des braillards ou des technos. Certains vont s'améliorer, mais il faudra du temps.
 
Et puis il y a eu l'affaire Cahuzac, et la mise en œuvre de la transparence, dont vous dites qu'elle a eu aussi des effets pervers…
 
Après l'affaire Cahuzac, Hollande a créé la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Qui devient l'Autorité de la Suspicion propre à dégoûter tous les talents de faire de la politique. Contrôles tatillons. On demande des factures vieilles d'il y a dix ans. Celui qui a du bien est forcément suspect. Tout devient prise illégale d'intérêts. Le summum du ridicule : l'ancien premier ministre Jean Castex nommé président de la RATP n'a plus le droit pendant trois ans de parler au téléphone à ses anciens ministres et la première ministre Élisabeth Borne ! Roselyne Bachelot se voit interdire de parler de musique sur France Culture parce qu'elle a été ministre de la Culture mais peut s'exprimer sur BFM et RTL. Ridicule.
 
En 1984, vous publiez Le Noir et le Rouge, une biographie de Mitterrand qui reçoit le prix Aujourd'hui. Vous n'aviez pas révélé que Mitterrand avait une fille cachée. Vous le saviez à l'époque ?
 
Incroyable mais vrai. À l’époque, il y avait un consensus entre les journalistes pour préserver la vie privée des présidents. Il faut dire qu'il n'y avait pas de téléphone portable, pas de presse people, pas de réseaux sociaux. Mitterrand est le dernier président à avoir pu mener sa vie privée et ses amours plurielles à sa guise. C'était motus. Aujourd'hui, écrire un livre où l'on tairait cela serait considéré comme une faute professionnelle.
 
C'était mieux avant ?
 
En tout cas l'atmosphère était plus légère. L'insouciance des années 1980 ! Il y avait encore une sphère privée. Les rapports homme-femme, tels que je les ai vécus en tout cas, n'étaient pas pesants. Bien sûr, nous les femmes étions sollicitées, mais c'était comme dans la chanson de Zanini («Tu veux ou tu veux pas, si tu veux pas tant pis, j'en ferais pas une maladie»). Les hommes politiques nous racontaient leurs bonnes fortunes. Il y avait une fluidité dans la conversation, parce que le vrai «off» existait encore. L'ambiance était plus gaie, mais j'étais plus jeune aussi.
 
Il y a moins de liberté d'expression aujourd'hui ?
 
Les enragés de Mai 68 revendiquaient la liberté sexuelle, «jouir sans entraves», disaient-ils, il est interdit d'interdire. Les révoltés d'aujourd'hui veulent nous interdire de débattre. Il y a une montée de l'intolérance sur les réseaux sociaux. Une libre expression de la haine qui fait peur. Et à la fois les chaînes d'info en continu, la parole est donnée à tous. Chacun peut dire ce qu'il veut, sans filtres. Une parole en vaut une autre. Il n'y a plus de hiérarchie.
 
Comment avez-vous vécu, en tant que journaliste de droite, l'hégémonie médiatique de la gauche ?
 
Il y a toujours eu une hégémonie médiatique de la gauche. Quand on est de gauche, on est du côté de la morale, on se sent supérieur aux autres et on vous le fait comprendre. Arrivée dans un dîner où il n'y avait que des gens de gauche, on se sentait étrangers, on n'était pas de la famille. J'ai toujours été de droite. J'avais de bons rapports avec mes confrères de gauche. Mais je sentais que j'étais tolérée et que je leur étais inférieure (idéologiquement).
 
Vous avez été l'une des pionnières féminines du journalisme politique, à une époque où c'était encore largement un monde d'hommes. Qu'est-ce qui a changé ?
 
C'est qu'aujourd'hui, les femmes ont pris le pouvoir. Les grandes interviews sont toutes menées par des femmes... Léa Salamé, Caroline Roux, Laurence Ferrari, Sonia Mabrouk, Anne-Sophie Lapix et j'en passe. Sur LCI je suis éblouie par la façon dont mes jeunes consœurs mènent les débats sur l'Ukraine. Les grands hebdos sont dirigés par des femmes, Le Point, Marianne, L'Obs, l'Express… Mais où sont passés les hommes ? Vous avez dit parité ?�
  • Illustration : Catherine Nay et son livre «Le Grand Théâtre du pouvoir. Quarante ans de vie politique française», éditions Bouquins, novembre 2022, 1184 pages, 32 € (papier).
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29/12/2022
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