SNCF, une grève
hors contrôle

édito Benoit Lasserre  Sud-Ouest

C’est la nouveauté de cette fin d’année à la SNCF. Le dialogue
entre la direction et les cheminots ne passe plus via les
partenaires sociaux mais via les réseaux sociaux. Pour les
augmentations de salaires, connectez-vous sur Facebook ! Le
mouvement de grève qui va gâcher les fêtes de Noël de milliers
de familles est une pierre dans le jardin de Jean-Pierre Farandou,
le PDG de l’entreprise, qui se faisait fort, à sa nomination, de préserver
le dialogue social à la SNCF.

Son parcours et sa personnalité légitimaient d’ailleurs cette
ambition. Mais il a été pris de court. Comme les syndicats et le
gouvernement, sans parler des usagers, à la recherche, souvent
vaine, d’un autre train, d’un car ou d’un covoiturage, contraints
pour beaucoup de dire adieu au réveillon familial.

Entendre des ministres implorer la CGT ou SUD-Rail de raccrocher
les wagons et reprendre le contrôle des contrôleurs grévistes
en dit long sur le climat social du pays et la méfiance, voire le rejet,
qui s’exerce désormais à l’égard de toute organisation ou de toute institution.
Ça vous rappelle quelque chose ? Dites gilets jaunes, vous
avez gagné. Le groupe Facebook sur lequel ces agents ont fait circuler
leurs revendications (1) et leurs consignes réunit environ 40 % du
métier. Cela justifie qu’on le prenne au sérieux (2).

Toute grève entraîne aussitôt sa querelle sémantique avec la rituelle
« prise d’otage » des voyageurs.
Aucun d’entre eux n’est menacé de décapitation ou d’une
balle dans la nuque. Ce vocabulaire manque de respect pour les
vrais otages qui ont payé de leur vie le fanatisme et la cruauté de
leurs assassins, tout comme les gilets jaunes s’étaient emparés
sans vergogne de la Résistance et de Jean Moulin.

Cela dit, si elle s’insurge contre le détournement d’un mot
lourd de sens et de drame, pourquoi la gauche, surtout la plus
radicale, vole-t-elle systématiquement, dans un réflexe pavlovien,
à la rescousse du gréviste, comme s’il ne pouvait qu’avoir
raison, et pourquoi manifeste-t-elle si peu, voire pas du tout,
d’empathie envers le voyageur cloué sur un quai ? Celui-ci n’est
pourtant pas, loin de là, un ennemi de classe. Il n’a souvent que le
train pour se déplacer et ce n’est pas du luxe. La grève va de surcroît
rogner davantage son pouvoir d’achat puisqu’il va falloir
dépenser plus dans un autre mode de transport.

Le député Insoumis François Ruffin assure que la gauche doit
reconquérir le pays périphérique. Il faudrait alors qu’elle écoute
ces Français qui gagnent souvent moins qu’un contrôleur et
n’approuvent sans doute pas la pagaille à la SNCF. Quant aux syndicats,
qu’ils aient le cran d’affirmer qu’il faut savoir terminer
une grève !

(1) Le groupe n’est plus visible depuis hier. (2) Lire en page 8.