2156- Un air de Notre Dame des Landes 2 posts

Jacques Antoine Louis Rossi 

 

  À Sainte-Soline, un air de Notre-Dame-des-Landes

  •                                                                                   par Erwan Seznec, pour Le Point - novembre 2022
Devenus indésirables en Loire-Atlantique, les zadistes qui s’étaient mobilisés contre le projet d’aéroport se recyclent dans la lutte anti-bassines. Récit.
 
Samedi 29 octobre, Sainte-Soline (Deux-Sèvres). Vêtus de sweat-shirt à capuche, les yeux protégés par des lunettes de chantier, quelque 300 black blocs caillassent 1.700 gendarmes et gardes mobiles lors d'une manifestation, interdite par la préfecture pour risque de troubles à l'ordre public. Bilan du week-end, une trentaine de manifestants et 61 gendarmes blessés, dont 22 sérieusement. Les Soulèvements de la terre, un collectif de défense de l'environnement, déplorent la violence policière sans condamner celle de la frange dure des manifestants, que le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, qualifie d'«écoterroristes». Les communiqués des Soulèvements de la terre parlent de la terre et de l'eau, biens communs à soustraire à l'avidité destructrice du secteur marchand.
Pour quiconque a suivi le long feuilleton de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, les similitudes avec Sainte-Soline sont flagrantes, qu'il s'agisse du style vestimentaire des manifestants, de leur goût pour l'affrontement ou des éléments de langage de leurs soutiens. Et pour cause. Défense des terres, l'association qui se trouve derrière Les Soulèvements de la terre, est domiciliée à… Notre-Dame-des-Landes. À quatre ans d'intervalle, les mêmes militants sont à l'œuvre, prêts à rejouer les mêmes scènes. Leur arrivée dans les Deux-Sèvres n'est pas spontanée. Les zadistes de Loire-Atlantique ont été démarchés à un moment où ils sentaient le besoin de changer d'air.
 
Brouille sur les phytosanitaires. Leur nouveau combat n'a pas la même charge symbolique que l'ex-futur aéroport, définitivement enterré par Édouard Philippe, en 2018, ou même que le barrage de Sivens, qui devait noyer plusieurs kilomètres de vallée, un projet abandonné en 2015. En comparaison, les «réserves de substitution» sont presque anodines. Elles apparaissent sur les écrans dans les années 2010, sous le gouvernement de François Fillon. Jean-Louis Borloo, ministre de l'Environnement, et Bruno Le Maire, ministre de l'Agriculture, décident que les agences de l'eau pourront financer des retenues destinées à l'irrigation. Bio ou conventionnels, céréaliers ou éleveurs, les agriculteurs des Deux-Sèvres sont intéressés. Le bassin de la Sèvre Niortaise a une hydrologie compliquée, qui le fait alterner entre sécheresse et excès d'humidité. Des projets sortent des cartons. Ils suscitent la méfiance des défenseurs de l'environnement, sans surprise. Avec le Marais poitevin, à proximité, les conflits d'usages autour de l'eau sont très anciens dans le secteur.
 
Fin 2018, pourtant, un accord semble proche. La Coop de l'eau 79, qui représente 316 agriculteurs, signe un protocole portant sur la création de 16 réserves de substitution avec les poids lourds locaux de la protection de l'environnement. Deux-Sèvres Nature environnement (branche locale de France Nature environnement), la Coordination de défense du Marais poitevin, la fédération de pêche des Deux-Sèvres et le parc naturel régional du Marais poitevin acceptent le principe des bassines. En échange, les paysans lâchent du lest, sans doute un peu trop : après avoir promis une réduction de moitié des phytosanitaires en quelques années, la Coop de l'eau va traîner des pieds, se brouillant avec ses partenaires.
 
Députée de la deuxième circonscription des Deux-Sèvres et ministre de l'Environnement du gouvernement Ayrault (2012-2013), Delphine Batho applaudit. «Les Deux-Sévriens peuvent être fiers d'être les premiers en France à conditionner l'accès à l'eau, qui est un bien commun, à des pratiques agricoles vertueuses», déclare- t-elle à l'époque.
«En juillet 2019, six mois après la signature du protocole actant la création de 16 bassines, Julien Le Guet se rend à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes pour recruter "des soutiens".»
Recruter des «soutiens». De son côté, Julien Le Guet est moins satisfait. Batelier dans le Marais poitevin, ex-fabricant de yourtes, il est le fer de lance de l'opposition aux réserves d'eau, depuis le début. Hélas, il manque de soutien. Les manifestations non violentes de son collectif Bassines non merci mobilisent peu. Il regarde, impuissant, les associatifs institutionnels des Deux-Sèvres pactiser avec les productivistes honnis. En juillet 2019, six mois après la signature du protocole actant la création de 16 bassines, Julien Le Guet se rend à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Son but, recruter «des soutiens bien au-delà de la Sèvre Niortaise», explique-t-il alors à l'édition locale de 20 Minutes.
 
Les anciens combattants ligériens le reçoivent avec d'autant plus d'intérêt qu'ils sont en recherche de croisade. Suite à l'enterrement du projet d'aéroport par le gouvernement d'Édouard Philippe, début 2018, le secteur de Notre-Dame-des-Landes se normalise à toute vitesse sous leurs yeux. L'enclave autogérée, sans uniforme et sans profit, que rêvait de créer la frange radicale des zadistes ne se concrétisera pas. Les terrains libérés sont confiés, par le conseil départemental, à des éleveurs, bio parfois, soucieux de rentabilité toujours.
 
Passés à tabac. Dans les mois qui suivent, deux tentatives de ZAD bis lancées en Loire-Atlantique tournent court, d'abord à Saint-Père-en-Retz, pour bloquer la construction d'un centre de loisirs avec vagues artificielles, puis au Carnet, près de Saint-Nazaire, afin de contrer la création d'un parc d'assemblage d'éoliennes. L'accueil est très frais. En janvier 2021, deux zadistes du Carnet sont passés à tabac par des locaux. Les zadistes sont confrontés à leur tour à une violence difficile à canaliser. L'air de la Loire devient décidément malsain.
 
C'est alors que naît le collectif Les Soulèvements de la terre, lors d'une rencontre sur l'ex-ZAD. En octobre 2021, il a pris la forme d'une association, Défense des terres. C'est elle qui mobilise aujourd'hui dans les Deux-Sèvres. Enregistrée à la préfecture de Loire-Atlantique, elle est domiciliée au hameau du Liminbout, à Notre-Dame-des-Landes. Son porte-parole, qui se présente sous le nom de Benoît Feuillu, s'exprimait auparavant au nom des zadistes anti-aéroport.
 
Julien Le Guet cherchait des renforts, il les a trouvés. «Je me suis souvent rendu à Notre-Dame-des-Landes, où j'ai pas mal de camarades», admet-il sans détour. Il se présente lui-même comme modéré et pragmatique. «Je ne suis pas contre l'irrigation par principe», assure-t-il, sans cacher pour autant qu'il est prêt à s'allier avec des extrémistes. La majorité des zadistes refuse le capitalisme, la police, la justice, l'État et même l'argent. Son mantra est l'agriculture «vivrière», euphémisme désignant un mode de production tourné vers l'autoconsommation et, à la limite, la survie. Au nom de la lutte contre les bassines, Julien Le Guet s'en accommode. «On est en train de se rapprocher de ces mouvances», reconnaît-il. Parce qu'elles ont du muscle ? 
«Certains ne sont pas venus pour des motivations écologistes mais pour aller au charbon», admettait, le 30 octobre, Jean-Jacques Guillet, un ancien élu local membre de Bassines non merci. Lucide, il ajoute : «S'ils n'avaient pas été là, peut-être qu'on parlerait moins de nous !»
«Le collectif ne publie aucun compte, ne tient pas d'assemblée générale et refuse de communiquer les noms de ses membres.»
Cagnotte. Rodés par des années de coups médiatiques, les zadistes apportent aussi un savoir-faire précieux en termes de communication. C'est en partie grâce à eux que l'appel «Bassines non merci» a été cosigné par de nombreux acteurs fort éloignés du monde agricole : comités Action antifasciste, sections locales d'Attac ou d'Extinction Rebellion, Solidaires et même la CGT du spectacle. Ils ont aussi une indéniable capacité à susciter des dons. Encore aujourd'hui, il reste du combat contre l'aéroport quelques centaines de milliers d'euros, logés dans un fonds de dotation que les zadistes peinent à dépenser. L'objectif initial était d'acheter des terres, mais il n'y en a pas à vendre. La cagnotte servirait-elle à financer la lutte anti-bassines ? Benoît Feuillu assure au Point que ce n'est pas le cas. Il faut le croire sur parole, car le collectif ne publie aucun compte, ne tient pas d'assemblée générale et refuse de communiquer les noms de ses membres. À Notre-Dame-des-Landes, tous les militants se nommaient « Camille ». Personne n'a revendiqué la destruction d'une canalisation à la meuleuse, le 29 octobre, à Sainte-Soline.
Leur obsession du secret ne trompe probablement pas les services de renseignement, qui les laissent agir dans des limites implicites désormais assez nettes. En 2014, trois hackers hostiles au stockage de déchets nucléaires à Bure (Meuse) avaient piraté le site de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs. Ils ont été repérés et interpellés très rapidement. Leurs profils résumaient sans doute la diversité qui existe chez les zadistes. Cédric S., 36 ans à l'époque, passé par Notre-Dame-des-Landes, était informaticien, Loïc S., 20 ans, était étudiant et David D., 41 ans, vivait du RSA.
 
Black blocs. Lors du week-end du 30 octobre, cinq personnes ont été interpellées pour violence à Sainte-Soline : un enseignant à la retraite, un chef d'entreprise, deux chômeurs et un jeune, peut-être étudiant. Selon la préfecture, sur 4 000 manifestants, il y avait 400 black blocs. Le ministre de l'Intérieur a évoqué 40 fichés S, sans précision sur leur dangerosité présumée. Alors que 20 000 personnes en France sont fichées S, une seule classée à l'ultragauche est suivie par le parquet national antiterroriste. Passé par la Syrie, où il dit s'être battu contre Daech aux côtés des Kurdes, Florian D. a été arrêté en décembre 2020, des écoutes laissant craindre des assassinats de policiers imminents. Il est en liberté surveillée depuis mai 2022, et rien ne permet de penser qu'il était présent à Sainte-Soline.
 
Une ZAD pourrait-elle naître et durer dans les Deux-Sèvres«On n'est pas suffisamment cons pour se faire encercler !» s'exclame Jean-Jacques Guillet. De son côté, un porte-parole des Soulèvements de la terre évoque un futur fait d'actions ponctuelles, là où «des chantiers sont menés contre la planète», c'est-à-dire potentiellement partout. Pourquoi tel projet plutôt que tel autre ? Difficile à dire. La sécheresse de l'été 2022 a mis l'accent sur l'irrigation mais, globalement, la mobilisation semble avoir peu de rapport avec l'impact réel sur l'environnement. Inaugurée en 2017, la ligne TGV Tours-Bordeaux a rendu artificiels des milliers d'hectares dans l'indifférence générale, contrairement au projet de Center Parcs de Roybon, en Isère, prévu sur 150 hectares seulement et violemment contesté jusqu'à son abandon, en 2020. La construction de 30 bassines identiques à celles de Sainte-Soline est programmée dans la Vienne, sans mobilisation massive constatée pour le moment.
 
Une ZAD ? Selon le géographe Philippe Subra, directeur de l'Institut français de géopolitique de l'université Paris-8, créer une ZAD pérenne est plutôt une affaire de logistique. Elle doit bénéficier d'un minimum de soutien de la population et des organisations agricoles, se trouver près d'une grande ville étudiante, pour le renouvellement des troupes, et plutôt dans un bocage, afin de compliquer les opérations de police. Une météo relativement clémente est un avantage appréciable. Niort compte 3.200 étudiants seulement, les bassines sont plutôt en champs ouverts et l'hiver approche. Sainte-Soline remplirait donc un seul critère : la contestation est soutenue par la Confédération paysanne. Jusqu'où, c'est toute la question. Contacté par Le Point pour savoir ce qu'il pense des zadistes décroissants radicaux, Nicolas Girod, porte-parole national du syndicat, ne répond pas. Le sujet est délicat. Tous les adhérents de la Confédération paysanne (25 % des voix aux élections professionnelles de 2019 dans les Deux-Sèvres) ne sont pas hostiles à l'irrigation, loin de là.
 
Localement, les écoguerriers risquent de manquer de soutien populaire et politique. Le conseil départemental des Deux-Sèvres est tenu par l'union de la droite et du centre. Aux cantonales de 2021, les listes écologistes et d'union de la gauche et des écologistes n'ont pas dépassé 22 % des suffrages. Julien Le Guet se présentait dans son canton, Frontenay-Rohan-Rohan. Il a été éliminé au premier tour, avec 19,15 % des suffrages.
 
Batho pas venueSainte-Soline a fait le plein de célébrités les 29 et 30 octobre. Les EELV Yannick Jadot et Sandrine Rousseau, Philippe Poutou pour le Nouveau Parti anticapitaliste, l'écologiste radicale Léna Lazare, l'eurodéputé EELV Benoît Biteau, la députée EELV de la Vienne, Lisa Belluco, etc. En revanche, Delphine Batho n'est pas venue. «Les élus locaux étaient rares à la manifestation, parce qu'ils ne cautionnent pas la violence», tacle-t-elle.
«La violence, elle est pour ceux qui font face à l'inaction.» Sandrine Rousseau
Combien de temps durera l'union de circonstance entre EELV, les ex-zadistes, les syndicalistes agricoles et les acteurs historiques de la lutte anti-bassines, comme Julien Le Guet ?
Alliée des anti-aéroport à Notre-Dame-des-Landes, la Confédération paysanne a pris ses distances avec les plus radicaux à peine le projet enterré. Les appels solennels à l'union pour sauver la planète cachent mal une méfiance réciproque entre activistes et institutionnels. Interrogée par Le Point sur le recours à la violence, Sandrine Rousseau botte en touche : « Sont aujourd'hui écoterroristes ceux qui s'accaparent l'eau, émettent du CO2, dégradent la planète. La violence, elle est pour ceux qui font face à l'inaction.» Comprenne qui doit. «Les écologistes ont toujours eu un pied dans les mouvements sociaux et un pied dans les institutions», commente la députée EELV Éva Sas. Tout le monde ne semble plus de cet avis. Le 29 octobre, à Sainte-Soline, Yannick Jadot, pris à parti par des black blocs, a retrouvé son véhicule tagué avec un peu aimable «crevure»…▪️
 
 
Illustration :
  • Char. Dispersion avec des gaz lacrymogènes de la manifestation contre le projet de bassine, à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), le 29 octobre.
  • Vidéo. - À Sainte-Soline, un air de Notre-Dame-des-Landes. Durée 01:31
 
 
 


19/11/2022
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