NUPES : la diagonale de Weimar

La NUPES présente une motion de censure, le RN la vote, les Insoumis s’en félicitent bruyamment : « Il n’a manqué que 50 voix pour renverser le gouvernement ! » dit l’un d’eux. Avec gêne mais un peu tard, les socialistes s’aperçoivent qu’on les a conduits là où ils ne voulaient pas aller, c’est-à-dire à voter le même texte que Marine Le Pen. D’où une question simple : combien de temps continueront-ils à jouer les dindons de la farce insoumise ?

Car cette soudaine collusion ne tombe pas du ciel. Négociant le texte avec LFI, certains socialistes – Valérie Rabault, par exemple - avaient proposé d’y introduire un paragraphe sur l’immigration, inacceptable pour le RN. Proposition écartée par LFI : il fallait une motion qui ratisse large. On comprend désormais le sens de cette soudaine ouverture d’esprit. Les Insoumis caressaient manifestement le rêve de voir le gouvernement Borne mis en minorité, quitte à accepter le douteux renfort des lepénistes. Manuel Bompard, l’un des stratèges mélenchonistes, avait même envisagé, avant cet épisode, de voter un texte de censure présenté par le RN…

Voilà donc le PS embarqué dans une stratégie définie par LFI et qu’il réprouve par ailleurs de toute évidence. Telle est la loi de la NUPES : dans cette coalition, il y a un pot de fer, LFI, et des pots de terre, les autres partis de gauche. Fort de sa prééminence électorale, Mélenchon dicte sa loi.

Pour quoi faire, en l’occurrence ? C’est là que l’absurdité de la situation éclate. Emmanuel Macron l’a annoncé : si son gouvernement est renversé, il sera très tenté de dissoudre. On voterait donc pour un scrutin législatif six mois après le précédent. Drôle d’idée, tout de même. D’autant que la NUPES, avec moins d’un tiers des voix, n’a pratiquement aucune chance de l’emporter et que, selon toutes probabilités, c’est le RN qui tirerait bénéfice de l’opération. On aboutirait donc, non à une victoire de la gauche, mais à un Parlement encore moins gouvernable, avec un RN encore plus fort.

Cette stratégie du chaos politique est bien dans la manière de LFI. Le PS la cautionne-t-il ou bien souhaite-t-il construire une alternative crédible à la majorité ? Est-il d’accord, si LFI persiste dans son oblique stratégie, pour se retrouver dans une « alliance objective » avec le RN destinée à faire tomber Macron ? Rappelons-le : en Allemagne, cette collusion tactique des extrêmes, dirigée contre les partis de gouvernement, avait abouti à la chute de la République de Weimar dans les années trente.

Sur un mode heureusement plus pacifique, LFI semble tentée de reproduire ce schéma pervers. Ses alliés souscriront-ils à la diagonale de Weimar, qui consiste à détruire le centre par la conjonction des extrêmes ? Ou bien reprendront-ils enfin leur autonomie intellectuelle et stratégique ?

Laurent Joffrin