2119- La force de l'aspiration à la liberté 3 posts

Dictateur, métier à risque

  • par Luc De Barochez, pour Le Point - octobre 2022
Contre les tyrans, le courage des Iraniennes comme la résistance des Ukrainiens témoignent de la force de l’aspiration à la liberté.
Le régime iranien tremble devant l'éruption populaire contre le voile islamique imposé aux femmes ; en Russie, des centaines de milliers de citoyens ont voté avec leurs pieds et fui le pays depuis que Vladimir Poutine a décidé d'envahir l'Ukraine ; en Chine, l'exode de Hongkong est massif depuis que Pékin y a étendu son système répressif il y a deux ans. Il n'est pas facile de satisfaire sa population lorsqu'on est un despote. C'est même une fonction à risque, tant l'aspiration à la liberté individuelle est une motivation puissante chez l'être humain. «Les dictateurs mourront, et le pouvoir qu'ils avaient pris aux peuples va retourner aux peuples», assurait Charlie Chaplin dans le discours qui clôt son film Le Dictateur sorti en 1940.
Les autocrates ont longtemps prétendu qu'ils étaient plus aptes que les démocrates à garantir au peuple prospérité et sécurité. Le cas toujours cité est celui de la Chine, qui a réussi en trois décennies à sortir massivement sa population de la pauvreté. Mais l'émergence d'une classe moyenne nombreuse, qui aspire à des normes de vie occidentales, pousse le régime communiste à exercer sur sa population un contrôle social toujours plus extrême. Sous prétexte d'épidémie de Covid-19, il est même devenu impossible aujourd'hui à la plupart des citoyens de la République populaire de simplement voyager à l'étranger.
Pour asseoir son pouvoir, le tyran contemporain utilise les outils de notre époque : les médias sociaux, la société du spectacle, le «storytelling», le culte narcissique de la personnalité. Il ne néglige pas pour autant des moyens plus anciens : la police secrète, la torture, l'emprisonnement de masse, comme celui des Ouïgours en Chine, voire le massacre de son propre peuple, comme le pratique le Syrien Bachar el-Assad. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a embastillé des opposants, ou supposés tels, par milliers. Vladimir Poutine, lui, a longtemps privilégié l'assassinat ciblé de dissidents.
Retours de bâton
S'il veut se maintenir, le dictateur doit éviter deux écueils. Lâcher la bride nourrit le désir de liberté. Mais à l'inverse, trop corseter sa population déclenche parfois des retours de bâton. La théocratie iranienne l'a expérimenté depuis qu'elle a redoublé de rigueur dans l'imposition du voile islamique. La mort de Mahsa Amini, 22 ans, interpellée parce qu'elle portait «mal» son voile, a mis le feu aux poudres. En Russie, Vladimir Poutine a fait une expérience similaire depuis qu'il a ordonné la mobilisation de 300.000 hommes pour servir de chair à canon sur les fronts ukrainiens. La grogne et l'inquiétude deviennent palpables dans de larges pans de la population russe, qui s'accommodait jusque-là de la guerre sans trop se poser de questions.
Un dictateur peut faire des erreurs plus facilement qu'un démocrate. Il est souvent mal informé, car ses proches ne lui disent que ce qu'il aime entendre. Poutine méconnaissait probablement, avant d'ordonner l'invasion du 24 février, l'état déplorable de son armée. Le numéro un iranien, Ali Khamenei, ignorait sans doute que l'exaspération affleurait à ce point dans sa population. Et pourtant, même dans une dictature aussi perverse que la République islamique, qui réprime toute dissidence depuis quarante-trois ans, il arrive que le peuple se révolte.
À peine un cinquième de la population mondiale vit désormais dans un pays libre. Minée par le populisme, le nationalisme et les crises identitaires, la démocratie ne cesse de reculer dans le monde depuis seize ans, selon l'ONG américaine Freedom House, qui place son apogée en 2004. Les nouvelles tribulations des despotes d'Iran et de Russie montrent cependant que le modèle autocratique n'est pas aussi porteur qu'il ne le paraissait. Tout espoir n'est pas perdu pour la démocratie, à condition qu'elle trouve la force de défendre son atout maître : la liberté. Le courage des Iraniennes contre les mollahs tout comme celui des Ukrainiens contre l'envahisseur, montrent la voie. «Tant que les hommes mourront pour elle, proclamait Charlie Chaplin, la liberté ne pourra pas périr.»�


15/10/2022
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