2207- Cri d'alarme d'un prof 3 posts

 Islamisme à l'école : «Deux femmes voilées prises à partie les émeuvent plus que Samuel Paty»

CRI D'ALARME
  • propos recueillis par Marie-Estelle Pech, pour Marianne - septembre 2022 (republié par JARL)
Laurent Valogne – un pseudonyme – est professeur de lettres dans un lycée de région parisienne depuis 1991. Sans tabous, dans son livre  «Ces petits arrangements qui tuent» (Plon), il décrit la montée de l’islamisme à l’école. Et surtout la lâcheté de certains de ses collègues face à l’endoctrinement des élèves.
 
Marianne : Pourquoi témoignez-vous anonymement ? Par peur ?
 
Laurent Valogne : Je n’avais pas envie de me sentir en porte-à-faux vis-à-vis de l’institution scolaire. J’aspire à une certaine tranquillité, je n’ai pas envie que ma personne soit médiatisée. Et je me méfie aussi. Tout peut survenir. Sans vraiment craindre un fait divers ou une agression, je n’ai pas envie de me prendre des réflexions d’élèves ou sur les réseaux sociaux, par exemple.
 
L’assassinat de Samuel Paty est l’évènement déclencheur de ce livre…
 
Oui, parce que ce fanatisme qui a mené à la décapitation de Samuel Paty, je l’ai vu doucement s’introduire dans l’école de la République. Cet assassinat m’a révolté, bouleversé. Samuel Paty, cela aurait pu être moi, professeur de lettres en banlieue parisienne. Il m’est arrivé d’évoquer l’art de la caricature en cours et le sujet est explosif. Concernant Samuel Paty, il avait fait son travail avec rigueur et n’avait rien à se reprocher. Il est pourtant resté tout seul face à l’engrenage et cela m’exaspère.
Lors de la journée d’hommage, j’ai évoqué la question des caricatures et constaté qu’ils ne supportent pas que «l’on se moque du Prophète». Et qu’ils sont tout autant choqués que l’on tourne le pape en dérision. Rabelais, Brassens, la tradition anticléricale française, pour eux, c’est du chinois. Idem pour la notion de laïcité. Ils ramènent tout à «l’islam-bashing». Deux femmes voilées prises à partie à la Tour Eiffel les émeuvent plus que la mort de ce professeur. Je suis sorti de la salle un peu groggy, amer.
 
À partir de quand avez-vous réellement été confronté à l’islamisme ?
 
C’était en 2011 au moment de l’incendie criminel visant les locaux de Charlie Hebdo. Je décide d’évoquer les caricatures via un texte de Philippe Val, clair, structuré. C’était au programme de ma classe de BTS. Sur 35 élèves, trois ont refusé de m’écouter. L’une d’elles fulmine, allant jusqu’à se boucher les oreilles. Il était hors de question que l’on représente le Prophète. J’étais effaré, abasourdi. Elle ne voulait rien entendre. Plus tard, lors de l’assassinat des dessinateurs de Charlie, j’ai compris que mes lycéens ne supportaient pas que l’on se moque des religions. Ils sont très sensibles au fait religieux. «C’est un manque de respect, c’est blasphémer» : ces phrases, je les entends depuis quinze ans.
 
Vous alertez également sur un antisémitisme insidieux ?
 
La critique du «Shoah busines» est récurrente. Pour les lycéens, c’est une évidence : on parle trop de la Shoah. «On peut se moquer des musulmans mais pas des juifs.» Ils vivent cela comme une injustice, évoquant souvent Dieudonné, banni des médias parce qu’il «se moque des juifs». L’argument du «deux poids, deux mesures» revient sans cesse. Je sais quoi leur répondre évidemment. Lorsque Dieudonné promeut Robert Faurisson qui dit que les chambres à gaz n’ont pas existé, on n’est plus dans le registre de la moquerie mais du négationnisme. Certains sont sceptiques mais ils écoutent.
 
Vous égratignez assez largement votre hiérarchie mais aussi vos collègues enseignants sur cette question de l’islam…
 
D’un établissement à l’autre, et j’en ai fréquenté beaucoup, c’est très variable. Par exemple, lors d’une sortie scolaire, une de mes élèves a voulu vêtir un voile intégral. Mon proviseur de l’époque a réagi de façon implacable. Cette élève n’est pas allée à la sortie scolaire. Mes collègues, eux, m'ont traité d'«islamophobe»… Plus récemment lors d’un conseil d’établissement, j’ai vu tout le monde lever les yeux au ciel, de l’élu local au proviseur, lorsqu’un enseignant a évoqué l’émergence du port de l’abaya chez certaines jeunes filles. Ce vêtement saoudien n’existait pas il y a vingt ans. Désormais, nous y sommes habitués.
Plus globalement, je dirai que la plupart de mes collègues ne sont pas à l’aise avec la question laïque. Une minorité de collègues gauchistes fait du militantisme bas de plafond. «De toute façon, le danger, maintenant, c’est l’islamophobie», lancent certains après chaque attentat ! C’est devenu un poncif. Certains vivent la laïcité comme une guerre contre l’islam. Et la salle des profs verse parfois dans le complotisme.
 
Vous n’êtes pas non plus bien tendres avec les syndicats d’enseignants
 
En début de carrière, je me suis affilé au Snes-FSU [Syndicat national des enseignements de second degré] comme beaucoup, presque par automatisme. Si sur les réformes éducatives, ils font du bon travail, je n’en dirais pas autant de leur positionnement dans l’affaire Samuel Paty par exemple. Le discours unanimiste lénifiant des syndicats m’a exaspéré à cette occasion. Un enseignant venait d’être assassiné et que lisait-on dans les communiqués ? «Attention à l’extrême droite» et «on va raviver le racisme» ! Pas question d’écrire les mots «islamisme» ou «terrorisme». C’est hallucinant.
Je préfère ne pas m’attarder sur Sud Éducation et son gauchisme mainstream avec ces réunions pour racisés et autres concepts fumeux sur le «racisme d’État». En ce qui me concerne, j’ai une sensibilité de gauche libertaire, voire anarchiste. Je déteste la gauche autoritaire, je suis un enfant des années 70, lecteur de Hara-Kiril’Écho des savanes et Métal Hurlant. Je me sens légèrement en décalage.
 
À qui adressez-vous prioritairement ce livre ?
Je m’adresse prioritairement à la gauche qui occulte largement ces questions liées à la montée de l’islamisme. Comme une grande partie de la gauche s’est éloignée de ses fondamentaux, la droite s’est engouffrée dans la brèche. Le fait même qu’un site d’extrême droite s’appelle Riposte laïque devrait interpeller la gauche, non ? C’est symptomatique. Quels médias s’intéressent prioritairement à mon livre d’ailleurs ? CNews et Valeurs actuelles ! C’est désespérant.
Je dénonce aussi bien sûr l’attitude de certains élus, de gauche comme de droite d’ailleurs, qui font preuve de complaisance et de clientélisme envers les salafistes en banlieue. C’est à qui arrosera le plus leurs associations. Je ne nie pas qu’il existe un racisme anti-maghrébin en France, je ne suis pas angélique. Mais certains transforment un peu vite les musulmans en prolétaires de substitution.
 
Êtes-vous définitivement pessimiste sur la façon dont l’institution s’est saisie du problème ?
 
Jean-Michel Blanquer était bourré de défauts. Je déteste sa réforme du lycée mais je lui reconnais une cohérence idéologique. Il a mis en place une bonne formation sur la laïcité à destination de tous les personnels. Tout le monde y passe actuellement. J’espère que cela va clarifier les choses dans l’esprit de mes collègues. Samuel Paty s’est certainement senti très seul dans son établissement, lâché par une partie de ses collègues. J’ose espérer que nous serions plus réactifs si un cas similaire se présentait.
Par ailleurs, j'aime mon métier, j'aime transmettre. Et l’irruption du religieux dans la classe n’empêche pas la plupart des élèves de jouer le jeu malgré les difficultés. Ils ont envie de réussir et on sent que certains parents aussi.◾


03/10/2022
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