1485- Le Kiosque à journaux 73 posts

 

Olivier Véran, la quarantaine rugissante

Jean Duval·Jeudi 5 mars 2020·LE POINT

Propulsé ministre de la Santé à seulement 39 ans (il fêtera ses 40 ans en avril), le médecin grenoblois s'impose. Portrait d'un neurologue très politique.

Assemblée nationale, mardi 3 mars. Alors qu'un quatrième décès dû au coronavirus en France vient d'être annoncé et que l'angoisse populaire s'amplifie, le nouveau ministre de la Santé affronte les questions des députés. L'opposition demande des comptes sur la gestion de l'épidémie ; Robin Reda (LR) attaque : « L'hôpital, c'est un peu comme votre gouvernement. Quand ceux qui sont en première ligne sont épuisés, il y a de moins en moins de monde en deuxième ligne pour prendre le relais ! » L'hôpital français, au bord de la rupture, ne pourrait résister à la crise sanitaire ? Olivier Véran s'empare du micro, regard tendu, sourcils froncés. Et tempête, défendant « ses » troupes : « Nos hôpitaux sont à la hauteur, notre médecine de ville est à la hauteur, nos infirmiers, nos pompiers sont à la hauteur. […] Nos soignants sont parmi les meilleurs du monde, je crois que la représentation nationale s'honorerait à le reconnaître ! » Sur les bancs de la majorité, on entend courir un murmure d'approbation. « Les Français ont besoin de comprendre et d'être rassurés. En quinze jours, on a déjà oublié Agnès Buzyn, s'enflamme un cadre de La République en marche. Qu'est-ce qu'il est bon ! » Son collègue Roland Lescure : « Il maintient l'équilibre entre le professionnel qui rassure, et la vraie transparence. Il ne raconte pas des craques ! »
Le ministre a retenu la leçon de la catastrophe de l'usine Lubrizol, en septembre, quand la communication du gouvernement, jugée désastreuse, était montrée du doigt.
« À chaque fois qu'un événement a un impact sanitaire, on envoie l'administration, confiait-il alors au Point. Mais les gens veulent des blouses blanches ! Les médecins du travail de l'usine Lubrizol, eux, connaissent les produits. Est-ce qu'on les a mis à contribution ? »Depuis sa nomination, en catastrophe, pour remplacer Agnès Buzyn dépêchée au « sauvetage » de Paris, il se veut le porte-parole de la science et se démultiplie, répétant à longueur d'interviews les fondements « rationnels » de la stratégie des pouvoirs publics. Tout en restant « à l'écoute », précise son entourage : en 15 jours, il a reçu deux fois à dîner une poignée de députés à son ministère, en petits groupes. « Lorsque je suis arrivé, raconte l'un des convives, il était au téléphone pour gérer la crise, et il parlait au président quand je suis parti. » Entre-temps, Olivier Véran presse les jeunes députées Laetitia Avia ou Fiona Lazaar de questions. Que dit-on sur les marchés, dans les circonscriptions ? Qu'est-ce qui inquiète les Français ? Et le débat sur les retraites… Où en est-on, à l'Assemblée ?

Il n'y aura pas de problème, je suis prêt

Car si l'heure est à la gestion de crise, Olivier Véran va très vite devoir affronter les dossiers explosifs que sa prédécesseure a laissés en chantier : retraites, réforme de l'hôpital, dépendance… En a-t-il la carrure ?« Il n'y aura pas de problème, je suis prêt », a-t-il confié le jour de sa nomination à sa nouvelle compagne, la députée LREM Coralie Dubost, rencontrée sur les bancs de l'Assemblée et qui l'accompagne désormais le week-end dans le berceau familial de Corenc, près de Grenoble, où il retrouve ses deux jeunes enfants. Et d'où il se prépare depuis des années.
Seul médecin d'une fratrie de quatre enfants (ses trois frères et sœurs sont des littéraires), de parents éloignés du monde médical (sa mère est prof d'anglais au collège, et son père ingénieur en informatique), Olivier Véran, bon élève, s'inscrit à la fac de Grenoble, où, le cap de la première année passé, il intègre la corpo médecine. Chargé des fêtes et des soirées d'abord, des conditions de travail de ses camarades ensuite… « Il est arrivé dans mon service de neurologie en quatrième année », se souvient Olivier Casez, devenu, au CHU de Grenoble, son collègue et ami. « On ne parlait jamais de politique, mais il s'est très vite investi dans l'Intersyndicale nationale des internes des hôpitaux (ISNIH). »

Un mémoire sur les déserts médicaux

En 2007, lorsqu'est organisée une longue grève des internes pour défendre la liberté d'installation, il monte très vite en première ligne. « Il a révélé un grand talent à l'oral en AG, pour convaincre », se souvient son compagnon de lutte Benoît Elleboode. En à peine trois jours, il est propulsé délégué régional du syndicat, puis national, chargé de négocier la sortie de la grève avec le ministère de la Santé, à l'époque tenu par Roselyne Bachelot. « Il était très technique et s'est plongé dans les textes. On a obtenu une prime de responsabilité pour les plus vieux internes, puis on a travaillé sur la réforme du troisième cycle des études médicales… » La passion née du syndicalisme ne le quittera plus. En 2010, en parallèle de son travail de neurologue au CHU de Grenoble, il s'inscrit à Sciences Po pour un « executive master » en gestion des politiques de santé. Les allers-retours à Paris commencent. « Son mémoire sur les déserts médicaux était brillant », se remémore le médiateur national des hôpitaux Édouard Couty, qui dirige alors ses travaux, pendant deux ans. « Il était vraiment passionné par la chose publique, curieux de tout, comme un militant au service de la santé. Son mémoire était décapant, à contre-courant de ce qu'on entendait alors. »
À Grenoble, ce jeune médecin au débit de mitraillette, joyeux et dégingandé, a tellement d'idées qu'il agace. « Quand on a mis en place, avant l'heure, l'hôpital de jour, avec toute la filière de prise en charge entre les soins de ville et l'hôpital, il a fallu expliquer aux vieux patrons qu'on allait changer un peu leur manière de fonctionner », explique Olivier Casez. « Il a eu le courage de leur rentrer dans le lard », ce qui lui vaudra quelques inimitiés. « Il n'est pas arrogant, mais il est rapide et direct, ce qui peut parfois blesser… Ambitieux, oui ! Mais je ne l'ai jamais vu écraser personne pour grimper. » Ses amis voient en lui un hyperactif, souvent excessif dans ses entreprises. Sport, musique… Olivier Véran est violoniste, et s'est depuis deux ans mis au piano : « C'est quelqu'un de très joyeux, et il fait tout à fond. » Face à ses opposants, son enthousiasme est un atout. Le député de La France insoumise Adrien Quatennens, qui a féraillé contre lui à la commission des Affaires sociales, le trouve quand même « sympathique », il leur est même arrivé de pousser la chansonnette ensemble, en-dehors de l'hémicycle : « On est tous les deux fans d'Hubert-Félix Thiéfaine et incollables sur ses textes ! » La socialiste Geneviève Fioraso, députée de l'Isère, est aussitôt charmée : en 2012, alors qu'elle cherche un suppléant venu de la société civile susceptible de reprendre sa circonscription, elle lui propose le job. Il accepte d'emblée. « Il n'a pas réfléchi une seconde », s'amuse-t-elle. Ses copains le chambrent. « Au PS, toi ? » Il leur répond très sérieusement espérer qu'à 50 ans il sera député et en mesure de peser sur les politiques de santé.

Député à 32 ans, ministre à 39… Sans l'avoir provoqué

Un mois et demi plus tard, contre toute attente, Geneviève Fioraso quitte sa circonscription et entre au gouvernement en tant que ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Olivier Véran, qui n'a pas encore sa carte au PS, se retrouve député. Et il déploie très vite un double talent : incollable sur le fond, il apprend vite comment user des médias pour imposer ses sujets. Il prend la tête d'une mission sur la filière du sang auprès du Premier ministre, s'active contre les déserts médicaux (son sujet de mémoire), alerte contre les dérives de l'intérim médical, promeut les « salles de shoot », et s'attire même les faveurs de la presse people en lançant une croisade contre les mannequins anorexiques. « C'est nettement plus vendeur médiatiquement que le budget de la Sécu », remarque un opposant local.
Son ascension va être freinée brutalement. En plein examen du projet de loi santé, en 2015, Geneviève Fioraso quitte le gouvernement et reprend son siège de députée. Olivier Véran retourne à Grenoble. S'il reste dans le jeu en produisant plusieurs rapports pour le gouvernement, la politique lui manque. « Il adore ça », tranche Geneviève Fioraso. Il adhère donc au PS et se présente aux départementales – il échoue –, puis aux régionales. Il gagne. Mais de là à soutenir le candidat qui sortira de la primaire… « J'avais rencontré Emmanuel Macron à la commission Attali », raconte Geneviève Fioraso, qui lui présente aussi, à l'époque, Agnès Buzyn. Séduit par son intérêt pour l'innovation médicale, Olivier Véran adhère à En marche ! dès sa création, et s'attelle pendant des mois à rédiger le programme santé du candidat, avec l'actuel numéro deux du ministère de la Santé, Jérôme Salomon, devenu depuis deux semaines le visage médiatique de la crise sanitaire. Au soir même de la victoire de Benoît Hamon à la primaire socialiste, il annonce juger personnellement plus sage de se rallier à Emmanuel Macron. « Certains lui en ont voulu localement, confirme Geneviève Fioraso. Mais moi, je suis ravie qu'Emmanuel Macron reste entouré de gens de gauche ! »
Pressenti Rue de Ségur, il est finalement envoyé à l'Assemblée, où il reprend le rôle clé de rapporteur du budget de la Sécu. En parfaite intelligence avec Agnès Buzyn. « Ils ont des tempéraments opposés, lui est aussi volubile et passionné qu'elle est introvertie, mais ils partagent la même vision du système de santé », croit savoir Édouard Couty, qui les a tous deux fréquentés. Le député et médecin urgentiste Thomas Mesnier, élu en 2017 et auquel Olivier Véran « raconte sa vie en jouant à Mario Kart sur nos iPhone entre deux rendez-vous » (un ami, donc), a été témoin de leur entente : « Suppression du numerus clausus, réforme de l'hôpital, déremboursement de l'homéopathie… Ils sont sur la même longueur d'onde sur tous les sujets. »
Il a voté, sous la précédente mandature, tous les budgets déficitaires.
Reste la différence de style : « Olivier a une vraie culture de l'écoute. Son premier geste a été d'appeler et de recevoir les syndicats des professionnels de santé, les chefs de service démissionnaires… tout le monde. » Et la différence… de personnalité. Si l'indépendance et le poids politique supposés d'Agnès Buzyn nourrissaient l'espoir de personnels hospitaliers épuisés, ils doutent davantage de son successeur. « Il a défendu et voté tous les budgets déficitaires de Marisol Touraine sous le gouvernement précédent », rappelle Olivier Milleron, membre du Collectif Inter-Hôpitaux. « Et il n'a pas les budgets pour répondre à nos revendications. Les sommes qu'il a annoncées cette semaine (260 millions d'euros dégelés de la réserve prudentielle du ministère, NDLR) ne sont pas pérennes ! » Le porte-parole pour la santé des Républicains affûte déjà ses armes. « C'est un médecin hospitalier qui a une vision étroite de notre système de santé, comme tous ses prédécesseurs depuis en gros 25 ans », juge Jean-Carles Grelier (LR, membre de la commission des Affaires sociales). « Il aime faire des coups médiatiques, mais quand il a proposé une prime aux hôpitaux qui renverraient les patients des urgences, où est la logique ? Cette vision hospitalo-centrée est irresponsable. Il n'y a plus de médecine de ville ! »
La crise du coronavirus passée, ces débats resurgiront avec la même vigueur… En même temps que le plan dépendance, qui reste à financer. « Il va devoir se battre pour ses arbitrages », constate la députée LREM Olivia Grégoire, qui souligne : « Il est drôle, sympa, et il est apprécié pour cela. Mais il est aussi connu pour savoir tenir des négociations face au gouvernement… » Lorsqu'il était député, ses propositions pour dégager de nouveaux fonds (comme la suppression des allocations familiales pour les plus hauts revenus, ou l'étalement du remboursement de la dette sociale) n'ont pas été retenues. « Ces gens de Bercy me disent : “Les gens sont très attachés au respect des 3 % de Maastricht.”
Mais c'est n'importe quoi ! Ils sont surtout très attachés au prix de l'Ehpad de mamie ! »
maugréait-il alors, en privé. Gardera-t-il ce franc-parler au Conseil des ministres ?
 
Publié le 5 Mars 2020, Par Géraldine Woessner, LE POINT


12/03/2020
74 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 355 autres membres

blog search directory
Recommander ce blog | Contact | Signaler un contenu | Confidentialité | RSS | Créez votre blog | Espace de gestion