1292- La fin du nucléaire en France...Ce n'est pas gagné ! 10 posts

 

partage de l'article de Gilles Bridier (journaliste) dans Slate

 

 

Après les reports en tous genres qui ont marqué le quinquennat de François Hollande dans le désengagement français du nucléaire, le choix du nouveau président de proposer à Nicolas Hulot le ministère de la transition écologique et solidaire, avec le titre de ministre d’État, laisse supposer que le temps du passage à l’acte est arrivé. Ainsi Emmanuel Macron, qui n’a pas vraiment donné de gages aux écologistes pendant sa campagne, compterait-il sur son nouveau ministre pour tenir des promesses largement médiatisées mais non tenues par son prédécesseur.

Va-t-on assister pour autant à un changement de pied brutal de la politique du gouvernement? Pas sûr. D’abord, le chef de l’État et son premier ministre Edouard Philippe ne sont pas des adversaires acharnés du nucléaire, au contraire. Au nom de la sauvegarde d’une filière française internationalement reconnue, ils restent engagés par le choix historique de la France d’améliorer son indépendance énergétique en développant le nucléaire civil ; cette politique a permis au pays de réduire sa dépendance de 75% dans les années 70 à 45% aujourd’hui.

 

 

 

Même si Nicolas Hulot veut pousser les feux des énergies renouvelables et si cette ambition reçoit le soutien du chef de l’État, il va devoir malgré tout inscrire son action dans une politique globale du gouvernement… sauf à remettre en question sa participation.

Ensuite, l’écologiste préféré des Français a déjà indiqué que les fermetures de réacteurs seront décidées «sur la base de critères sociaux et de sécurité» et pas en fonction de positions dogmatiques. Certes, «à terme, le nucléaire ne fera pas partie de la solution», a-t-il réaffirmé pour évacuer tout quiproquo sur sa volonté d’engager la sortie du nucléaire. Une façon de répondre aux tenants de l’atome qui y voient, eux, une solution contre les émissions de gaz à effet de serre.

Mais si Nicolas Hulot se déclare partisan à long terme d’une sortie définitive de l’atome civil, il se cale sur l’objectif d’une réduction du nucléaire de 75% actuellement à 50% en 2025 dans le bouquet énergétique, objectif fixé par la loi de transition énergétique portée par Ségolène Royal et adoptée en août 2015.

Des promesses à la réalisation

Rien de nouveau à ce stade sauf que… tout reste à faire en matière de nucléaire. La fermeture de la centrale de Fessenheim avec ses deux réacteurs, initialement projetée pour la fin 2016 par François Hollande, a été repoussée. De la même  façon, la programmation pluriannuelle de l’énergie est sortie en avril 2016 malgré l’absence de son volet nucléaire, privant les acteurs du secteur d’une feuille de route sur laquelle se caler. Il faut croire que les freins furent nombreux et efficaces du côté des industriels de l’atome.

Certes en 2016, la part des énergies renouvelables a progressé à près de 20% dans le bouquet énergétique selon le bilan établi par RTE, alors que l’électricité d’origine nucléaire a représenté 72% de la production totale, soit près de cinq points de moins qu’en 2015.

Mais ce recul est, pour l’instant, conjoncturel. Il s’explique «par l’arrêt de plusieurs centrales nucléaires en raison de contrôles demandés par l’Autorité de sûreté nucléaire à partir du mois de novembre», commente RTE. Il faudra aller beaucoup plus loin pour manifester un réel désengagement du nucléaire, tout en restant dans le cadre de l’accord de Paris sur le réchauffement climatique signé à la COP21.

Nicolas Hulot va donc devoir donner de la consistance à un cadre légal demeuré, pour l’instant, dans l’abstraction sur le volet nucléaire. Or, même si personne n’envisage à moyen terme de désengagement total, l’objectif de la loi de transition énergétique semble déjà fort compliqué à atteindre. Ce qui explique que le nouveau ministre apparaisse très pragmatique sur ce dossier à sa prise de fonction.

Un effort gigantesque

Dans un pays qui puise les trois quarts de son électricité dans la production de ses 58 réacteurs nucléaires, la réduction de la part de l’atome à seulement la moitié du bouquet énergétique implique la fermeture de 17 à 20 réacteurs… en seulement huit ans, à compter d’aujourd’hui, pour tenir l’objectif de la loi de transition. L’effort, souligné par la Cour des comptes, est gigantesque.

La promesse faite en 2012 par François Hollande aux électeurs écologistes de fermer la plus vieille centrale nucléaire française n’a pu être tenue en cinq ans. Peut-on imaginer aujourd’hui réussir à stopper la production d’une vingtaine de ces réacteurs en guère plus de temps, sans créer sur le territoire des risques graves de ruptures d’approvisionnement préjudiciables pour l’ensemble de l’économie et pour la sécurité des personnes? 

 

 

Déjà, au cours du précédent mandat présidentiel, des experts jugeaient irréaliste l’objectif de 2025. Le temps passant, il le devient de plus en plus. Sans parler des problèmes sociaux et des reclassements à régler avant d’interrompre l’activité sur les sites concernés, et des contraintes techniques et réglementaires fixées par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) à respecter.

En Suisse, où les électeurs viennent d’approuver une stratégie énergétique prévoyant une sortie du nucléaire décidée après la catastrophe de Fukushima en 2011, le programme n’implique la fermeture que des cinq réacteurs, qui fournissent le tiers de l’électricité dans le pays, avant 2035. Cinq réacteurs à mettre à l’arrêt en dix-huit ans.

En Allemagne, où le nucléaire n’a jamais représenté plus du tiers de la production d’électricité, le rythme de sortie de l’atome décidée en 2000 a été accéléré après la tragédie japonaise. Malgré tout en 2014, il restait encore neuf réacteurs en activité (assurant 16% des besoins en électricité) dont l’arrêt définitif est programmé pour 2022. Ainsi, sur huit ans, l’objectif projeté pour la France impliquant la fermeture de dix-sept réacteurs serait deux fois plus ambitieux que ne l’est celui de l’Allemagne qui a pourtant préparé le terrain. Ces comparaisons soulignent l’ampleur du travail à accomplir en France.

Des freins au basculement vers les renouvelables

En outre, sur quelles énergies renouvelables pourrait s’opérer la transition dans un délai aussi court? Même en misant sur des économies d’énergie qui devrait réduire à la marge la demande en électricité, c’est le grand écart. D’abord, l’influence du lobby nucléaire regroupé autour d’EDF et d’Areva n’est pas de nature à favoriser le basculement. Ensuite, d’autres obstacles sont apparus.

L’essor de l’éolien supposerait par exemple de développer les parcs off-shore sur lesquels les gouvernements fondaient de grands espoirs, après les nombreux obstacles rencontrés sur l’éolien terrestre. Mais le rachat d’Alstom par l’américain General Electric et la vente de la filiale spécialisée d’Areva à l’espagnol Gamesa, ont douché l’ambition de créer une filière française dans la construction d’éoliennes géantes et retardé l’avancement des projets au large des côtes françaises.

Il s’agit là du deuxième échec dans les énergies renouvelables, après celui enregistré dans l’industrie du photovoltaïque à cause de la concurrence des panneaux chinois et de la réduction des subventions  pour l’électricité ainsi produite. Même si l’année 2016 fut bonne pour le solaire, le bilan global (solaire thermique et photovoltaïque) est encore insuffisant avec un total inférieur à la moitié de l’énergie fournie par l’éolien, selon le ministère du Développement durable.

Reste l’énergie d’origine hydraulique, la plus importante source renouvelable (après le bois énergie dans le thermique) : elle fournit trois fois plus d’électricité que l’éolien et huit fois plus que le solaire, mais elle tend à plafonner et est soumise, comme les deux autres, aux aléas des conditions météorologiques.

Autre obstacle dans cette course contre la montre: les délais incompressibles pour mener les enquêtes d’utilité publique préalables à la construction de grands projets, tant terrestres que maritimes. C’est l'une des raisons pour lesquelles la puissance installée de l’éolien en France, fin 2015, ne représentait que le quart des capacités disponibles en Allemagne, selon Connaissance des énergies. Le chemin à parcourir est énorme.

Sauvegarder l’expertise pour préserver la sûreté

Pour autant, Nicolas Hulot est tenu d’avancer sur ce dossier compte tenu de ses engagements personnels et des souhaits manifestés par des électeurs de la République en marche!. Souhaits dont Emmanuel Macron a tenu compte en lui confiant un poste éminent dans son équipe. Mais le ministre d’État qu’il est devenu ne peut ignorer les enjeux économiques liés au rayonnement de cette filière, ni les impératifs de sûreté liés à ce secteur particulier.

 

Or, cette sécurité passe par la sauvegarde de l’expertise et la mobilisation des ingénieurs sur l’exploitation des réacteurs qui subsisteront après 2025. Il ne s’agit, en aucun cas, de désorganiser le secteur nucléaire, même s’il ne devait rester que quelques centrales en fonctionnement. La sûreté nucléaire ne supporte aucune forme de démotivation, quels que soient les projets politiques. Et encore, après l’arrêt des réacteurs, faudra-t-il continuer à travailler sur le démantèlement.

 

Tout ceci devrait conduire Nicolas Hulot à lisser les procédures de désengagement du nucléaire, pour ne pas faire naître de situations à risques consécutives à un arrêt définitif et brutal d’une partie du parc des réacteurs. Au risque de décevoir les plus engagés des partisans de la sortie de l’atome civil, qui auraient espéré des décisions plus radicales.  

Gilles Bridier                
Gilles Bridier   Journaliste
 

 
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
 

 
 



 
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
 

 
 


 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 


10/07/2017
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