1231-Sarkozy:Des propos dangereux et indécents 4 posts

"Les arguties juridiques" dénoncées par Nicolas Sarkozy après l’assassinat du prêtre de Saint-Etienne-du-Rouvray ne sont rien moins que des règles d’ordre constitutionnel. A ce titre, les mots choisis par le président des Républicains sont à la fois dangereux et indécents. On ne les retrouve pas dans son interview au Monde et c’est heureux. Les propositions avancées dans cet entretien précisent les intentions d’un ancien chef de l’Etat qui aspire à le redevenir. Ce qui est logique et normal dans un débat démocratique digne de ce nom, même si le projet qu’elles dessinent attentent, en bloc et en détails, à ce qui en constitue le fondement.

 

Les institutions de la Cinquième République ne sont pas un bloc intangible. Elles peuvent être modifiées. Elles l’ont été à de nombreuses reprises. François Hollande avait d’ailleurs souhaité qu’elles le soient à nouveau au lendemain des attentats du 13 novembre 2015 sur l’état d’urgence et la déchéance de nationalité. Ce n’est pas parce qu’il a échoué dans cette tentative sous les tirs croisés d’une partie de la gauche et d’une fraction de la droite que toute tentative de révision doit être exclue par principe, dans un avenir proche.

 

De ce point de vue, Laurent Wauquiez est plus explicite et plus franc que Nicolas Sarkozy quand il suggère aujourd’hui, dans Le Figaro, d’«adapter» notre loi fondamentale aux exigences de la lutte anti-terroriste telle qu’il la conçoit. Sur la présomption d’innocence, via le sort réservé aux fichés S, la droite ne pourra pas avancer demain, si elle revient au pouvoir, qu’en modifiant le préambule de la Constitution qui se réfère explicitement à la déclaration des droits de l’homme de 1789. Rien ne le lui interdit à condition, bien sûr que cette révolution juridique soit validée par le peuple français, selon les procédures qui sont celles de notre démocratie. En l’occurrence, on imagine mal que tout cela ne passe pas par un référendum, en bonne et due forme.

 

Le jeu de l’émotion dans un calcul politique

Là est la vraie limite de cette stratégie du «toujours plus» qui sert de boussole à la droite depuis quelques semaines. Dans un premier temps, au lendemain de l’attentat de Nice, elle n’a eu pour seul objectif que de casser les réflexes d’unité et de rassemblement qui s’étaient manifestés dans la rue en janvier 2015, après Charlie et l’Hypercacher, puis, en novembre, au congrès de Versailles, après la réplique du Bataclan. Pour parvenir à ses fins, elle a utilisé toutes les armes de la polémique, fussent-elles les plus basses, face à un pouvoir d’autant plus faible qu’il ne dispose plus de bases politique suffisantes pour lui assurer une crédibilité minimale, au sein d’une opinion taraudée par la peur.

 

Christian Estrosi et, sur un mode mineur, Éric Ciotti, ont été les artisans de cette politique insensée, dictée par le court-terme, qui vise à rendre tout gouvernement, par nature, non pas responsable mais coupable de la moindre action terroriste sur le sol national. Sans doute fallait-il des hommes de sac et de cordes pour en arriver là. Mais comment ne pas voir qu’on ne peut à la fois admettre que le pays est «en guerre» pour longtemps tout en s’en prenant par principe et à la moindre occasion à l’action de ceux qui sont chargés de la mener?

 

Sur de telles bases, on souhaite du plaisir à quiconque prétend aux plus hautes fonctions de l’Etat alors que chacun sait bien que face au terrorisme le risque zéro, hélas, n’existe pas. Personne n’a jamais contesté qu’on puisse faire mieux dans ce combat-là. Mais ce n’est pas faire preuve d’on ne sait quel «fatalisme» que de dire aux Français qu’il ne sera pas gagné de sitôt. Le profil du tueur de Nice montre en tous cas combien il est illusoire de tout prévoir et de tout surveiller. Si la droite s’est saisie de ce drame pour faire le procès du gouvernement, c’est d’abord par calcul. Derrière l’émotion du moment, il y avait une intention déclinée de sang-froid.

 

On remarquera au passage que les leaders les plus «modérés» de la droite n’ont pas su résister à cette stratégie de délégitimation systématique, dictée par des enjeux liés à la future primaire de l’opposition. Alain Juppé a ainsi montré sa faible capacité de résistance aux ultras de son camp. Le maire de Bordeaux est peut-être «droit dans ses bottes» mais celles-ci sont en caoutchouc. S’il devient un jour Président, ce n’est pas ainsi chaussé qu’il parviendra à ne pas être, à son tour, un de ces «petits bouchons» ballotés par les frondeurs de tous poils.

 

Le chef des «Républicains» s'attaque aux traditions ... républicaines

Pour sortir de ce piège qu’elle a elle-même creusée, il fallait donc que la droite, par la voix de ceux qui, dans ses rangs, conservent un sens minimum de l’Etat, sache trouver autre chose que des coups de dagues destinés à faire tomber, un jour le ministre de l’Intérieur, un autre le Premier ministre, et à interrompre de facto le mandat du Président, neuf mois avant son terme. Nicolas Sarkozy s’y emploie à sa façon. A chaque attentat, depuis un an et demi, il procède de la sorte.

 

En janvier 2015, il n’avait rien trouvé mieux que de proposer une révision… du régime d’heures supplémentaires des policiers. En novembre 2015, il avait expliqué, au grand dam d’Alain Juppé, que «solidarité» ne signifiait pas «unité» avant de suggérer, face à un Président attentif, l’armement permanent des forces de sécurité ainsi que la déchéance de nationalité. Cette fois-ci, il s’engage sur un terrain qu’il avait jusque-là évité, en dépit des pressions de certains de ses proches, tel Laurent Wauquiez.

 

Dans l’arsenal sarkozyste, figurent désormais des mesures qui visent à créer, sur le plan juridique et pratique, ce qui ressemble trait pour trait à un Guantanamo à la française. Ce faisant, il répond aux injonctions d’une partie de la droite qui n’hésite plus à parler de la nécessaire «israélisation» de nos politiques anti-terroristes, sans d’ailleurs voir que ni les Etats-Unis, ni même Israël, n’ont su dresser les barrages qui les mettent à l’abri du moindre attentat. Ces politiques ne sont pas en soi illégitimes. On peut les défendre dans le cadre d’un débat politique démocratique. De même qu’on peut les combattre en notant qu’elles remettent en cause ce qui constitue le cœur de nos traditions judiciaires et, au-delà, de nos traditions républicaines.

 

Il n’est pas anodin que les révisions que ces projets impliquent renvoient à la déclaration des droits de l’homme de 1789. Si Nicolas Sarkozy préfère, pour une fois, ne pas aller jusqu’au bout de son raisonnement et que Laurent Wauquiez choisit d’euphémiser son propos en ne parlant que d’«adaptation» de la Constitution, n’est-ce pas aussi parce qu’ils mesurent l’ampleur du saut qu’ils proposent? «Le discours de la gauche ne correspond plus à la réalité», vient de dire le président des Républicains dans son interview au Monde. La question est maintenant de savoir si le nom de son parti est lui aussi conforme à cette réalité. Elle sera, quoiqu’il arrive, au centre de la campagne de la prochaine présidentielle et, après tout, au point où on en est, c’est très bien ainsi.

 

Challenges  François Bazin



28/07/2016
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