3140-Xavier Bertrand se heurte aux rapports de force à l'Assemblée 3 posts
Matignon : l'option Xavier Bertrand se heurte aux rapports de force à l'Assemblée nationale
Un gouvernement emmené par Xavier Bertrand serait immédiatement censuré, ont prévenu ce mardi l'ensemble de la gauche et le RN. L'option Bernard Cazeneuve revient en force, mais l'ancien socialiste doit jouer une partition délicate.
Par Grégoire POUSSIELGUE, Jacques PAUGAM, Hadrien Valat Les Echos
Trouver un gouvernement qui ne se fasse pas censurer immédiatement est devenu le principal critère d'Emmanuel Macron pour le choix de son nouveau Premier ministre. Il n'a toujours pas trouvé la formule magique.
Ce mardi, un nouvel épisode est venu l'illustrer avec le retour de la candidature de Xavier Bertrand pour remplacer Gabriel Attal. Après l'épisode Thierry Beaudet, le président du Conseil économique, social et environnemental (Cese), promis à une censure par l'ensemble de la gauche et du Rassemblement national (RN) et soumis à une bronca d'une partie du camp présidentiel, c'est le nom du président de la région des Hauts-de-France qui est revenu en force.
Xavier Bertrand, qui se prépare de longue date, a été finalement soutenu par son camp : les chefs de file de la droite parlementaire, Laurent Wauquiez pour l'Assemblée nationale et Bruno Retailleau pour le Sénat, ont réuni leurs troupes pour évoquer cette piste et préciser une position commune. Conscients qu'une alliance avec le centre ne permettrait pas de dégager de majorité suffisante, les ténors de droite s'en tenaient jusqu'ici à leur proposition de « pacte législatif », autorisant un soutien à la carte mais sans participation.
Censure immédiate
La position de Laurent Wauquiez, à la tête des députés Les Républicains - le groupe s'appelle aujourd'hui Droite Républicaine (DR) - a évolué. « Il a fini par accepter pour ne pas donner l'impression d'être irresponsable », souligne un député de son camp, estimant acquis le soutien des 47 députés de droite à la candidature de Xavier Bertrand. « Si on nous a réunis, c'est pour valider l'option Bertrand à Matignon », complète un sénateur. Quant à l'intéressé, son entourage adresse des signes de prudence tout en vantant son « savoir-faire ». Pour échapper à une motion de censure, celui-ci devrait pourtant convaincre au-delà de son propre camp et du bloc central.
Or l'arithmétique du Palais-Bourbon s'est vite rappelée au souvenir d'Emmanuel Macron. Coup sur coup, le Rassemblement national (RN) de Jordan Bardella et la gauche, sous la bannière du Nouveau Front populaire (NFP) ont promis une censure immédiate d'un éventuel gouvernement emmené par l'ancien ministre de Nicolas Sarkozy. Les deux forces représentent plus de 330 députés, soit bien au-delà des 289 requis. Le RN a justifié cette censure par le fait que « ce serait un manque de respect envers les millions de Français qui se sont exprimés dans les urnes ».
Un refus qui n'aurait pas varié depuis l'entretien entre Emmanuel Macron et les deux dirigeants d'extrême droite à l'Elysée. « Ils avaient bien signifié au chef de l'Etat que Xavier Bertrand, c'était non pour eux », précise leur entourage. Le RN, premier groupe à l'Assemblée nationale avec 126 députés, est prêt à censurer tout gouvernement qui ne serait pas « technique » et prêt à mettre en place la proportionnelle. Le parti de Jordan Bardella et de Marine Le Pen parie depuis longtemps sur une nouvelle dissolution l'année prochaine. Ses députés avaient pourtant rejeté en bloc Thierry Beaudet, qualifié « d'outil dans les mains d'Emmanuel Macron ». Un vrai casse-tête.
Même tonalité à gauche, où même Nicolas Mayer-Rossignol, maire de Rouen et chef de file des opposants au premier secrétaire, Olivier Faure, et hostile à La France insoumise (LFI), a exprimé une position ferme contre Xavier Bertrand. « Il est impensable pour nous qu'un Premier ministre de droite soit nommé », a-t-il balayé dans l'après-midi en conférence de presse. Xavier Bertrand « serait immédiatement censuré », a assuré l'édile, pour qui l'ancien ministre du Travail incarne « des opinions et des orientations politiques » qui sont largement « incompatibles avec les nôtres ». La direction du PS n'en veut pas non plus : « Bertrand, censure immédiate », pronostique un cadre du parti.
Retour de l'option Bernard Cazeneuve
Une équation impossible pour Xavier Bertrand signe-t-elle le retour en force de l'option Bernard Cazeneuve ? Ayant fait le deuil de la nomination de Lucie Castets à Matignon, les courants minoritaires du PS de Nicolas Mayer-Rossignol et d'Hélène Geoffroy soutiennent franchement ce scénario. « Un homme d'Etat » et « de gauche », à même « de rassembler », selon eux. Au bureau national du PS ce mardi soir, ils entendaient mettre la pression sur la direction du parti pour qu'elle « annonce clairement » qu'elle « ne censurera pas un gouvernement de cohabitation mené par Bernard Cazeneuve », ont écrit les maires de Rouen et de Vaulx-en-Velin dans un SMS à l'adresse d'Olivier Faure et de Boris Vallaud, le chef de file des députés PS à l'Assemblée. Forçant le Premier secrétaire du PS, fervent défenseur de l'union des gauches, à prendre le contre-pied de LFI, qui a d'ores et déjà annoncé qu'elle voterait la censure contre l'ancien Premier ministre de François Hollande.
La direction du PS, pourtant très embarrassée par la perspective d'une nomination de Bernard Cazeneuve à Matignon, ne devrait, bon gré mal gré, pas le censurer automatiquement s'il s'engage « pour la mise en oeuvre d'une politique en rupture avec le macronisme », glisse un cadre du parti.
Un dossier cristallise les attentions : celui des retraites, dont la réforme a été votée dans la douleur en 2023 malgré une opposition unanime de toutes les composantes de la gauche. Pour obtenir le soutien des socialistes, Bernard Cazeneuve est obligé d'envoyer des signaux à son ancien parti, qu'il a quitté en 2022, tandis qu'il doit aussi tenir compte du fait qu'Emmanuel Macron, et avec lui nombre de macronistes sur lesquels il devra compter à l'Assemblée nationale, refuse de revenir sur cette réforme. « Si Bernard Cazeneuve donne trop de signaux à la gauche, on votera la censure », prévient un député de l'aile droite d'Ensemble pour la République (EPR).
Sur les retraites, l'ancien maire de Cherbourg est resté muet. « Il n'a pas pris position sur la question des retraites. C'est un homme de gauche qui tiendra compte de la situation économique et politique du pays », assure son entourage.
Mardi en fin de journée, Emmanuel Macron a rejoué le jeu des consultations, notamment en direction de la gauche. Il s'est entretenu avec Olivier Faure et Boris Vallaud, ainsi qu'avec Les Ecologistes. Il a tenté de joindre Manuel Bompard, le coordinateur national de la LFI et Mathilde Panot, la patronne des députés mélenchonistes, pour un nouvel entretien à l'Elysée, mais ceux-ci ont décliné. « Le président de la République me fait appeler avec Mathilde Panot pour un échange dans quinze minutes. Nous dénonçons ces improvisations et nous refusons les tentatives désespérées de diviser notre coalition », a dénoncé le premier. Mais la « décantation » tant voulue par l'Elysée est toujours à l'oeuvre.
Jacques Paugam, Grégoire Poussielgue et Hadrien Valat